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son fondement

Ce premier ouvrage, paru en 1976, synthétise tout ce que Marc Richir a cherché à avancer depuis 1968 Ŕ ce dernier n’hésitant pas à reprendre de nombreuses phrases ou paragraphes et passages de plusieurs de ses textes antérieurs Ŕ et que nous avons tenté de dégager dans les premières parties de ce premier chapitre de notre thèse à travers les notions de double mouvement de la phénoménalisation, de distorsion originaire de l’apparence, de cosmologie de la périphérie infinie et distordue, de logologique et d’archaïque. Toutes notions qui conbinées, outre qu’elles véhiculent une problématique ‘ogkorythmique’ commune, sont nées de vagues successives de micro-refontes, et nous aiderons, à n’en pas douter, à mieux comprendre la manière dont, ensuite, cette synthèse va se déployer ici, en passant par « le sillage de la tradition philosophique contemporaine : Husserl, Heidegger et Merleau-Ponty »848, et celui de l’ ‘idéalisme allemand’ :

Kant, Fichte, Schelling et Hegel, en direction de la constitution des ‘concepts’ phénoménologiques fondamentaux propres à Marc Richir. En effet, nous sommes arrivés à la croisée des chemins philosophiques qui ont été parcourus depuis 1968. Ils mènent tous à la caractérisation d’une phénoménologie telle que l’entend désormais Marc Richir lui-même : sa propre phénoménologie.

L’essentiel de ce premier ouvrage nous plonge dans la problématique spatio-temporelle de la nouvelle cosmologie de la sphère infinie exclusivement périphérique qui, à la différence de la cosmologie classique de la sphère centrée que nous avons, entre autres, dégagée dans les premiers écrits, va être ici reprise et relancée en vue de constituer une part des bases des fondements phénoménologiques de la pensée richirienne.

Ainsi, dans le chapitre intitulé « De la doctrine classique de l’espace à la cosmologie classique », Marc Richir nous renvoie en note, et y écrit ceci : « Pour tout ceci, voir notre article :

Phénoménalisation, distorsion, logologie, Textures 72/4-5, pp. 63-114. En particulier : pp. 63-71 »849. Et,

848 ARC, p. 164.

849

ARC, 1, note 1. En particulier, en effet, car il s’agit, en réalité, du texte jusqu’à la page 78. Par ailleurs, signalons que ce système de renvoi interne chez Marc Richir sera souvent utilisé. Nous l’avons déjà remarqué, ce dernier ne cite que très peu et, nous le verrons à suffisance, notre phénoménologue renverra régulièrement

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on se souvient, nous l’avons expliqué, qu’effectivement le début de cet article avait été consacré à l’analyse du cadre de la représentation et à celle de la doctrine husserlienne de la perception par ‘esquisses’. Ici, ce chapitre reprend d’ailleurs plusieurs phrases et notes de l’article de 1972 in

extenso et en arrive, mais en les développant davantage, aux mêmes conclusions. On voit ainsi

toute l’importance d’avoir lu les premiers articles. Ainsi, la doctrine husserlienne de l’intentionnalité implique une « doctrine de l’espace qui est la doctrine classique élaborée à la Renaissance »850 ; essentiellement, nous l’avions vu en 1972, parce que « s’opère dans

l’aperception une réunion instantanée du centre et de la périphérie infinie, qui confère à l’espace- temps son homogénéité et fait de tout lieu spatio-temporel l’équivalent d’un centre »851. En effet,

dans la cosmologie métaphysique considérée comme cosmologie philosophique transcendantale (théologie rationnelle), qui est l’univers de la pensée divine, l’espace/temps de la pure idéalité, par opposition à l’espace/temps sensible (l’étendue), qui est homogénéisé par la répétition infinie du point et de l’instant, est défini comme sphère infinie dont le centre est partout et la périphérie nulle part. C’est, en définitive, la même sphère infinie qu’on retrouve avec la cosmologie physique et avec celle où cosmologie et théologie se fondent dans un sujet divin qui, du dessus, voit absolument la dite sphère en totalité. Pour Marc Richir, aucune de ces trois solutions à la tension de l’intentionnalité entre le sensible et l’intelligible ne parvient à résoudre le carcatère irréductible de cette tension entre le fini et l’infini. C’est ce qu’il appelle, en l’empruntant à Merleau-Ponty, la « diplopie ontologique »852 dont la cosmologie classique est responsable en écartelant le sensible et

l’intelligible et en les faisant se superposer, instantanément, sous l’espèce du centre où « les apparences se phénoménalisent comme fragments superficiels d’une chose en soi »853. Le

renversement copernicien consiste alors à fonder toute la philosophie dans le voyant fini, dans une « métaphysique de la finitude »854 dans laquelle restent, au yeux de Marc Richir,

profondément enracinées « la phénoménologie husserlienne »855 et « la doctrine

heideggérienne »856, qui impliquent également toutes deux la diplopie, et donc si l’on veut passer

« au-delà du renversement copernicien »857, il faut « articuler dans une pensée unique ce que le

renversement copernicien inclut et exclut de soi » : « ‘prendre possession entière’ des deux images

à ses propres textes. Nous voyons en cela, à la fois, une pensée qui, en toute cohérence, s’articule sans cesse à elle-même ; et, à la fois, la volonté manifeste de relier ses recherches autour de fils conducteurs internes chargés d’éclairer la démarche philosophique chemin faisant. C’est aussi le signe d’une pensée qui n’hésite pas à revenir sur ses propres pas, tout en ne cessant de relancer sa dynamique vers de nouvelles contrées car, et il faut s’y habituer, tout est toujours, chez Marc Richir, à penser et à repenser infiniment.

850

ARC, p. 4.

851

PDL, p. 70 et ARC, p. 12. Phrase identique en 1972 et en 1976, comme la plupart de celles qui, ici en 1976, reprennent l’essentiel de celles du texte de 1972 à propos de Husserl et de la doctrine classique de l’espace.

852 ARC, p. 20. 853 ARC, p. 23. 854 ARC, p. 25. 855 ARC, p. 28. 856 ARC, p. 42. 857 ARC, p. 42, et notamment p. 40, 31, 28, 46.

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séparées dans la diplopie »858. Et, c’est Merleau-Ponty qui ouvre à cette possibilité avec sa

« ‘philosophie de la chair’ qui signifie, si elle est prise dans sa radicalité, un véritable renversement de la pensée : la voie est ouverte à l’au-delà du reversement copernicien »859 qui « bouleverse profondément

le sens de la diplopie ontologique »860 si l’on ne veut pas « revenir en-deçà du renversement

copernicien », « c’est-à-dire dans la philosophie de l’en-soi appréhendé comme tel au point de vue divin de l’absolu survol »861et, donc, s’il on veut aussi « subvertir le renversement copernicien »862

lui-même.

C’est la raison pour laquelle Marc Richir nous rappelle, en note, qu’il avait déjà, à son insu, nous dit-il, « renversé le renversement copernicien, passé au-delà, en le commentant dans Le Rien

enroulé, sans nous rendre compte », poursuit-il, « des implications de ce passage, qui sont, nous

allons le voir, la distorsion originaire et une cosmologie philosophique tout à fait nouvelle »863. Et, c’est

également dans ce sens que doit être compris son article Phénoménalisation, distorsion, logologie qui, souligne Marc Richir, « constitue le squelette d’une phénoménologie qu’il faudrait réarticuler rigoureusement, selon la stricte nécessité phénoménologique »864. Heidegger dans « Le Rien

enroulé » et Merleau-Ponty dans « Phénoménalisation, distorsion, logologie », ont été, en effet, nous l’avons vu dans le détail, deux champs de recherches particulièrement féconds à cet égard. Même si, concernant Heidegger, Marc Richir précise que si le « commentaire est toujours pertinent », c’est à condition « qu’il n’y a pas à proprement parler, de pensée de la phénoménalisation »865 chez lui. Ce qui, nous l’avons vu précédemment, ne va pas de soi puisque

c’est elle-même que Marc Richir avait montrée être à l’œuvre chez Heidegger afin de donner un exemple du double mouvement, précisément celui de la phénoménalisation.

Et pourtant, avant d’envisager Merleau-Ponty, c’est ce qui permet à Marc Richir de lire Heidegger autrement. En effet, « le passage à l’au-delà du renversement copernicien consiste à pousser la pensée de Heidegger au bout d’elle-même, en un ‘lieu’ où tout se renverse : pour nous, si l’explicitation heideggérienne a un sens, ce n’est qu’à condition de ne ‘positiviser’ aucun des ‘termes en présence’, à savoir l’être et l’étant, l’être et l’être-là »866. A condition donc, et c’est « en

ce point précis » que « s’ouvre le passage à l’au-delà du renversement copernicien », - « que », ajoute Marc Richir, « nous avions pratiqué autrefois sans très bien savoir où nous allions »867 -, que « l’être-là et

l’être ne soient pas premiers et originaires, mais dérivés et seconds, surgissant d’un seul et même

858 ARC, p. 46. 859 ARC, p. 31. 860 ARC, p. 31. 861 ARC, p. 46. 862 ARC, p. 29. 863 ARC, p. 49, note 37. 864 ARC, p. 80, note 50. 865 ARC, p. 48, note 36. 866 ARC, p. 48. 867 ARC, p. 48.

187 mouvement dans le double-mouvement d’explicitation de l’être de l’être-là et d’ouverture de l’être », où la

« différence devient première » et où « il faut s’efforcer de penser à partir d’elle »868. De plus, si donc

cette différence ou cet « écart interne ne doit pas à son tour être ‘positivisée’ en distance factuelle et spatiale entre des lieux différents et positifs, si donc la différence est première en tant que telle, il faut la penser », et ceci est d’une importance tout à fait cruciale, « comme pur mouvement de dif-

férer le rien à partir de rien »869. De manière telle que c’est « un seul et même double-mouvement

d’ouverture/fermeture : c’est dans un seul et même double-mouvement que l’être s’ouvre en son lieu et se

ferme en ce qui est, d’une part, et que l’être se ferme en son là et s’ouvre au lieu de l’être d’autre part, si bien qu’il y a, dans ce double-mouvement unique, identité et différence du là de l’être-là et du lieu de

l’être, double déhiscence et double invagination de l’être-là dans l’être et de l’être dans l’être-là, double- mouvement de différenciation/indifférenciation du là de l’être-là et du lieu de l’être »870. Et donc Marc Richir

d’en conclure que « toute la démarche heideggérienne prend sens dès lors que le là de l’être-là et le lieu de l’être sont en double rapport d’exclusion interne et d’inclusion externe, qu’ils s’indiffèrent dans un

mouvement d’in-différance, et qu’ils s’indiffèrent dans un mouvement de différance, par conséquent, dès

lors qu’ils adviennent dans un double-mouvement de différance/indifférance »871. Un « double-mouvement

de différance/indifférance » qui s’avérera plus loin dans le texte « double-mouvement de la

phénoménalisation »872.

Ce qui nous intéresse ici, au plus haut point, c’est, et nous venons d’en souligner l’essentiel à même le texte, la manière dont Marc Richir importe, au cœur de la philosophie de Heidegger, la dynamique de ce que nous pouvons appeler ce ‘moteur’ ‘ogkorythmique’ non ‘spatio-temporel’ du double-

mouvement dont nous avons assisté à la genèse dans nos précédents commentaires. Comme si

pousser à bout la pensée de Heidegger, comme le dit Marc Richir, équivalait à faire en sorte que les éléments les plus essentiels de sa pensée, respectivement l’être et l’être-là, se mettent à surgir d’un seul et même mouvement, à partir de rien, et apparaître ainsi en double rapport d’internalisation externe et d’externalisation interne, de telle sorte que « l’être-là et l’être ne soient pas premiers et originaires, mais dérivés et seconds ». Et que, pris dans ce mouvement unique, dont nous avons déjà montré l’extrême subtilité, par là, la différance soit première, et non les termes, mis en rapport seulement a posteriori.

Marc Richir note ceci, et ce n’est pas si étonnant lorsqu’on sait toute l’ampleur de l’enchevêtrement spatio-temporel, justement, du ‘concept’ derridien de différance :

868 ARC, p. 49. 869 ARC, p. 49. 870 ARC, p. 50. 871 ARC, p. 50. 872 ARC, p. 97.

188 « nous reprenons à dessein le ‘néo-graphisme’ inventé par J. Derrida, qui pour nous, n’a de sens que dans la démarche venant d’être esquissée. Il n’y a de différance que dans l’indifférance, c’est-à-dire dans un double-mouvement de différer/indifférer »873.

C’est aussi ici que nous voudrions encore pointer le rapport qu’entretient Marc Richir avec Derrida. Nous avions déjà ouvert le dossier lors de notre lecture de l’article de 1968 « ‘Grand’ jeu et petits ‘jeux’ » où étaient apparus, dans le texte richirien, à la fois le terme derridien de ‘relève’ et à la fois les références explicites aux textes de Derrida : « La Pharmacie de Platon », le texte extrait de L’Ecriture et la Différence : « De l’économie restreinte à l’économie générale », ainsi que celui intitulé La voix et le Phénomène. En 1969, dans « Prolégomènes à une théorie de la lecture », texte à connotation derridienne encore plus marquée, Derrida était également présent avec ces mêmes références ; mais surtout apparaîtra déjà, en 1970, dans « Le Rien enroulé », dans le texte lui-même, le terme de « différance » à l’occasion du traitement de la même interrogation fondamentale tournant, déjà, autour du double-mouvement de la phénoménalisation et de son ‘grincement’ appelé « Dif-férance du mouvement dans son contre-mouvement et de celui-ci dans celui-là »874.

Différance donc qui resurgit ici, en 1976, au moment de réanimer la pensée heideggérienne et de tenter de passer au-delà du renversement copernicien dont nous savons que ce dernier constituera le lieu d’expansion de la nouvelle phénoménologie à l’intérieur de laquelle prendra place une nouvelle cosmologie philosophique liée à la pensée de la phénoménalisation et de la distorsion originaire. C’est donc à un moment crucial de l’évolution de la pensée richirienne que Derrida est repris, rappelé, relancé et utilisé afin d’affiner ce double-mouvement plus spécifiquement phénoménologique qui est et sera l’expression la plus forte de la singularité de l’approche philosophique de Marc Richir. D’autant plus que Marc Richir précisera lui-même plus loin dans ce texte de 1976, en note, que « c’est en quoi la pensée derridienne de la différance n’est intelligible pour nous que comme pensée du double-mouvement »875. Très belle manière, fort subtile, de

reprendre l’essentiel de la dynamique de la différance proprement derridienne, dont on sait par ailleurs que la densité économique de ses possibilités est extrêmement riche et puissante, comme pensée qui rend intelligible la pensée du double-mouvement qui, elle aussi, est d’une densité philosophique particulièrement forte, notamment parce qu’elle viendra animer, par sa très large tessiture intellectuelle, le cœur même de la refonte et de la refondation richirienne de la phénoménologie transcendantale. N’est-ce pas d’ailleurs avec la même finesse que Marc Richir s’est rapporté à Max Loreau notamment avec les notions de distorsion et de logologie ? Nous avons essayé, précédemment, d’en montrer toute la prégnance philosophique. Mais revenons à Derrida et à la façon qu’a Marc Richir de penser avec l’intelligence aiguë et l’habilité rusée d’un Derrida, ce qui n’est pas peu dire lorsque les deux caractéristiques sont associées. En effet,

873

ARC, p. 50, note 38. Et aussi, pour la différance dans ARC : pp. 59, 61, 62, 84, 96, 97, 102, 103, 106, 117, 119.

874

RE, p. 9.

189

Derrida continuera de hanter la textualité richirienne, même si, avec le temps, comme avec Max Loreau, et plus tard Merleau-Ponty, le poids de l’importance des influences sera immergé dans la densité océanique richirienne elle-même. Elle, l’importance des influences, et c’est ce que nous pensons, n’en a pas moins de force pour autant, que du contraire. En 1979, dans Le Rien et son

apparence, et en 1981, dans les Recherches phénoménologiques, Derrida sera encore convié, à de

multiples reprises876, avec sa différance et son « ‘néo-graphisme’ »877 pour toujours et encore venir

tenter de préciser, tant que faire se peut, le double-mouvement unique de déroulement/enroulement qui sera actif au cœur d’une « dif-férance immaîtrisable parce qu’indéfinie »878 dont nous verrons toute la précision dans notre second chapitre. Plus tard

encore, en 1988, dans Phénoménologie et Institution Symbolique, et à l’occasion de l’analyse de la philosophie heideggérienne de l’animalité, Derrida sera convoqué à nouveau également à de multiples reprises879, avec sa « différance (avec un a) »880, pour expliciter la structure de la capacité

de l’animal où les préoccupations spatio-temporelles seront prégnantes. Il sera encore convoqué dans les textes plus tardifs, nous y arriverons aussi.

Revenons à Heidegger. Ce qui est remarquable, c’est que ce double rapport d’exclusion interne et d’inclusion externe (entre le lieu de l’être et le là de l’être-là) emporté dans un double-mouvement de différance « implique la distorsion originaire »881. Nous définissons la distorsion origniaire comme

l’absence irréductible de solution de continuité spatiale et/ou temporelle entre le dedans et le dehors mais également entre le passé et le futur. La distorsion originaire constitue, à nos yeux, une dimension ‘ogkorythmique’ fondamentale en insistant sur la compénétration incommensurable de l’antre immatériel que constituent ensemble dans un mouvement une masse et un rythme en cela non spatiaux et non temporels. Il faut donc considérer que cette distorsion vit, indissociablement, d’un double mouvement ‘interne’ et fait vivre un mouvement un double mouvement ‘externe’. Distorsion en vertu de laquelle, chez Heidegger par exemple, « le lieu de l’être (respectivement : le là de l’être-là) n’est pas fermé sur soi en la sphéricité du bien arrondi, mais ouvert à son

dehors en même temps que fermé à lui, l’appelant en lui-même tout en le rejetant hors de lui-même, l’aspirant et le refoulant d’un seul et même mouvement »882. Appel et rejet mais aussi aspiration et refoulement que

nous avons déjà rencontrés dans « Phénoménalisation, distorsion, logologie » à propos du tourbillon du noyau d’absence du visible chez Merleau-Ponty. Unique double-mouvement qui constitue, à vrai dire, le cœur du problème. En tous cas, Marc Richir peut écrire que « nous

876

Marc Richir, Recherches phénoménologiques (I, II, III) – Fondation pour la phenomenologie transcendantale (RP 1), Bruxelles, Ousia, 1981, pp. 198, 206, 239. Et aussi, RA, pp. 175, 339, 341.

877 RP 1, p. 187. 878

RP 1, p. 187.

879

Marc Richir, Phénoménologie et Institution symbolique - Phénomènes Temps et Etres II (PIS), Millon, Grenoble, 1988, pp. 235, 239, 241, 244, 245, 246, 247, 250. 880 PIS, p. 233. 881 ARC, p. 50. 882 ARC, p. 50.

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sommes passés dans l’au-delà du renversement copernicien », et que « de la sorte, la diplopie

ontologique se trouve effectivement résolue par une ‘prise de possession entière’ des deux vues

qu’elle tenait séparées »883. Diplopie ontologique dont le mouvement « résulte de l’institution du

lieu et du non-lieu comme ‘entités’ exclusives l’une de l’autre »884 mais mouvement qui « résulte

lui-même de la distorsion originaire, d’une manière énigmatique »885. En effet, « il appartient à la

distorsion de se distordre elle-même en distorsion de la distorsion et en distorsion résiduelle »886. Ce qui

entraîne que l’erreur ou l’illusion est inscrite dans la vérité. Mais ce qui est encore plus important, c’est que cette approche de la distorsion originaire (du lieu de l’être) « fait qu’il est en même temps ‘lieu’ distordu de la phénoménalisation, en lequel l’apparence est aussi distordue », et ceci est capital afin de bien comprendre toute la phénoménologie richirienne à venir, « appelant et excluant d’elle-même un voyant Ŕ un être-là Ŕ possible mais non plus nécessaire »887. C’est pour cela que Marc

Richir peut déjà affirmer, dans cette lecture de Heidegger, que le « renversement copernicien est renversé dans la mesure où désormais le point de départ de la philosophie n’est plus exclusivement situé dans l’homme » et que d’une certaine manière, « qui ne peut certes pas être absolument exclusive du ‘point de vue’ humain, la phénoménalisation est pensable à partir de rien, à partir de ce rien qui se localise en être et se délocalise en non-être d’un seul et même mouvement »888.

Bref, maintenant que Marc Richir a effectué sa « ‘percée’ au-delà du renversement copernicien en poussant à bout la démarche de Heidegger »889 et qu’avec la distorsion originaire il possède un

‘concept’ dynamique qui « inclut en même temps qu’elle exclut toute composante opposée à une autre »890, comme on peut dire que « la phénoménalisation se produit dans la distorsion et la

distorsion affecte la phénoménalisation », on peut dégager, conclut Marc Richir :

« la chaîne suivante : double-mouvement, distorsion, phénoménalisation, rien, apparence, tous éléments qui prennent possession entière des concepts écartés par la diplopie et qui peuvent nous servir de titre, pour indiquer seulement le déplacement où nous a conduit l’exposé critique de la pensée