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Avant d’entrer dans le vif de cet article de 1972, paru dans la revue Critique, que Marc Richir consacre à l’ouvrage de Max Loreau, paru chez Weber en 1971, au sujet du peintre Jean Dubuffet : Jean Dubuffet Délits, déportements, lieux de haut jeu, et intitulé « Pour une cosmologie de l’Hourloupe392 », il nous faut revenir sur le rapport de notre philosophe avec Max Loreau. Nous

l’avons déjà dit, ce rapport nous paraît essentiel, et ce, à plus d’un titre, d’autant qu’il peut paraître étonnant, à une lecture attentive, que Max Loreau vive littéralement dans les marges du travail de Marc Richir. En quoi ? Tout d’abord, parce qu’il y vit essentiellement, et littéralement, en bas de page, dans quatorze notes393. Comme s’il hantait les bords du texte. C’est très surprenant. En

effet, et en plus, notre philosophe ne cite Max Loreau, explicitement, qu’une seule fois. Une seule citation, en note, dans toute l’œuvre. Une exception, dans le texte de 1969 que nous avons

390 TL, p. 53.

391 TL, p. 53. 392

Dubuffet baptise ses œuvres entre 1962 et 1967 ‘l’Hourloupe’, où comme l’écrit Max Loreau « l’apparence demande à être reprise à neuf, aussi intégralement qu’elle a toujours appartenu aux formes » Délits,

déportements, lieux de haut jeu (DDLHJ), Weber Editeur, Lausanne, p. 415. L’Hourloupe est faite d’un nouvel

univers pictural, sculptural et architectural « par-delà forme et informe », c’est « le Grand œuvre » de Dubuffet, la quintescence de son art où « Houle qui roule entourloupe égale Hourloupe » (DDLHJ, p. 415), ce qui veut dire qu’un nouveau monde surgit avec son propre langage, bien loin de tous les mondes connus et où apparaît une nouvelle cosmologie, une nouvelle logique spatio-temporelle qui a bouleversé Marc Richir tout autant que Max Loreau , surtout par les enjeux philosophiques fondamentaux qui s’y déploient et que nous allons découvrir.

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analysé : « Prolégomènes à une théorie de la lecture ». Le nom de Max Loreau figure dans le corps du texte, mais c’est entre parenthèses394. Toutes les autres mentions à son égard, entre 1968 et

1976, se trouvent nichées en notes. Après, plus rien. Sauf, bien évidemment, mais c’est exceptionnel, dans l’article de 1972, dont nous sous-pèserons la dynamique ici, au sujet du livre de Max Loreau sur Dubuffet. Et nonobstant le fait qu’il faut aussi rappeler qu’il lui a dédié son article de 1970 : « Le Rien enroulé Esquisse d’une pensée de la phénoménalisation »395.

Lisons d’abord la note 10 de « ‘Grand’ jeu et petits ‘jeux’ » en 1968 :

« cf. Max Loreau, Art, Culture, Subversion, in Textures n°2, en particulier pp. 24-30, 46. C’est le

texte tout entier qu’il faudrait citer ici, et qu’il nous soit permis en cette occasion de souligner notre

dette à son égard » (Nous soulignons).

Nous avons déjà évoqué la question des dettes explicites chez Marc Richir. Rappelons-nous, elles sont très rares. Et seul Maldiney sera ainsi convié à sa créance. Mais que recouvre cette dette à l’égard de Max Loreau ? Que peut-elle bien signifier alors même que Marc Richir le renvoie quasi systématiquement en bas de page, en notes. D’autant plus que, en outre, jamais nous ne voyons notre phénoménologue reprendre les textes de Max Loreau eux-mêmes, pourtant très nombreux déjà en 1968 et très riches396, dans leur contenu philosophique spécifique et les traiter en tant que

tels. Car, une fois encore, ce sera, pour nous, un élément, parmi d’autres, menant à l’intelligibilité de toute la démarche richirienne et de sa destinée en refondation. Il y a tout lieu de penser, c’est ce que nous voulons démontrer, que les avancées de Max Loreau ont été fondues, refondues dans des concepts proprement richiriens, par micro-refontes successives, et ont participé, par là même, à la ‘re-fondationnellisation’ ‘ogkorythmique’.

Pour ce faire, examinons d’abord le texte de Max Loreau que Marc Richir cite et voyons à quoi il correspond. C’est un long texte de 83 pages (95 pages dans la réédition chez Gallimard) intitulé : « Art, Culture, Subversion » paru en 1968 dans la revue Textures 397. N’oublions pas que « c’est le

texte tout entier qu’il faudrait citer » nous dit Marc Richir. Synthétisons-en les lignes de forces essentielles afin d’y voir ce que Marc Richir a pu y trouver d’intéressant pour ses propres propos, au point d’avoir voulu le citer en entier. En sachant que nous n’aurons, en tout et pour tout, dans « ‘Grand’ jeu et petits ‘jeux’ », qu’une citation de quelques lignes, de ce long texte de Max

394

TL, p. 52.

395 RE, p. 3. 396

A cette époque, on compte déjà plusieurs textes, fort importants, de Max Loreau : “Les cadres ontologiques de la peinture contemporaine” en 1964, Dubuffet et le voyage au centre de la perception en 1964, “Infini, pensée apparaissante et nature” en 1966, “L’oeuvre d’art comme creation” en 1967 et “Art, culture, subversion” en 1968.

397

Article qui sera réédité en 1980 dans l’ouvrage de Max Loreau intitulé : La peinture à l’œuvre et l’énigme du

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Loreau398. C’est ce qui doit attirer toute notre attention sur la manière dont Marc Richir pense et

écrit. En effet, nous l’avons déjà mentionné, Marc Richir ne cite que très peu dans ses textes399 ;

mais, ce qui nous semble important, c’est qu’il reprend l’essentiel de la teneur philosophique de certaines notions, par exemple ici chez Max Loreau la question du mouvement, afin d’en dynamiser la substantifique moelle et la refondre dans ses propres concepts. Nous avons à en montrer l’efficace car cela nous permettra de mieux appréhender la démarche de notre philosophe.

On retrouve donc le bain philosophique dans lequel Marc Richir se meut, qui nous permet de mieux comprendre ce qu’il a écrit depuis 1968, et qui déteindra sur tous les textes postérieurs. Nous allons montrer que la dynamique loreautienne joue à plein dans les premiers écrits de Marc Richir, comme ce qui vient donner une part de la consistance au mouvement ‘ogkorythmique’ qui imprégnera tous les gestes philosophiques de notre phénoménologue.

Reprenons tout d’abord le passage de Max Loreau à propos de la question de la révolution, celui que nous avons cité plus haut400, le seul et unique passage de Max Loreau que Marc Richir cite

dans tous ses textes, en note401 dans « ‘Grand’ jeu et petits ‘jeux’ » en 1968 :

« La révolution s’effectue dans le cercle de la règle, dans la mesure du cercle. Elle s’opère dans la visée de sa propre fin (de son propre achèvement). Elle est une théorie posée au-devant, que l’acte a simplement à accomplir. Quand celui-ci sera conduit à terme, viendra le temps d’une autre ré- volution, de même qu’à la révolution d’un astre en succède une nouvelle. La révolution est condamnée à se déployer dans un espace déjà organisé et formé, donc dans un espace théorique (visible) : c’est-à-dire, en dernier ressort, dans l’espace de la Théorie. Comme telle, si elle instaure un changement, celui-ci s’effectue à l’intérieur du cadre fondamental de la Théorie : elle n’est qu’une autre interprétation de l’organisation de cet espace, un autre étagement de ce qui doit être dessous et de ce qui est supérieur. L’essentiel subsiste : la distinction du dessus et du dessous, la Théorie. La mutation qu’elle opère a lieu : dans le cercle du même (de la Forme) ; elle n’est qu’une ré-forme, une trans-formation »402.

Marc Richir arrête cette citation de Max Loreau en pleine argumentation car celui-ci poursuit, avec probablement le plus important, à savoir la conséquence de tout cela, que

398

GJPJ, p. 25.

399

Notons que Max Loreau lui-même ne cite que très rarement dans ses textes. Et, comme on sait qu’il a formé Marc Richir, on ne sera pas étonné que l’ ‘étudiant’, l’ ’élève’, travaille dans la foulée du ‘professeur’, du ‘maître’. On comprend, d’ailleurs, que, c’est la condition pour arriver à écrire de façon inédite et novatrice, au cœur d’un geste créateur qui avance sans savoir, pour plonger vers l’énigme de la chose à dire, de la Sache.

400 Cfr, page 105. 401

GJPJ, p. 25, note 57.

402

Max Loreau, La peinture à l’œuvre et l’énigme du corps, Paris, Gallimard, 1980, p. 142. Reprise de l’article « Art, culture, subversion » (ACS), Textures n° 2, Bruxelles, 1968, pp. 11-94.

125 « seule la subversion est non-théorique, donc non-métaphysique et non-culturelle. Son avancement, elle ne le voit pas devant elle. Sans but, sans fin, sans limite à voir, elle est inépuisable ; elle n’a

pas elle-même de limite : elle trace la limite dans l’illimité, elle est la limite illimitée se pro-duisant et se frayant en tant qu’il-limitée »403.

Marc Richir ne mentionne donc que la manière dont l’espace de la Théorie s’organise dans le cercle de la Forme quant à la révolution. Alors même que la démonstration loreautienne ne tient qu’avec la considération corrélative, c’est la suite du texte qui n’est pas cité404, du champ de force

non-théorique de la subversion du mouvement illimité du geste de la production. Ceci est capital puisque c’est justement sur ce nouveau point d’articulation problématique que repose la démonstration richirienne entamée dès l’article de 1968 et centrée sur cette question fondamentale du mouvement illimité.

Ainsi, ce texte, dans sa totalité, pose la question des limites, de leur transgression possible, qui touche, écrit Max Loreau, « au premier chef l’organisation spatiale élémentaire de la pensée : qu’est-ce qu’une limite qui est dans ce qu’elle limite, et non pas autour ? »405. Cela répond, comme

en écho paradoxal, à ce que Marc Richir a commencé à penser dans les textes que nous avons examinés. Cette question revient à se poser celle de ce que peut bien vouloir dire la subversion des limites. Ou comment arriver à penser hors limite, hors cadre, sans théorie, sans concept déterminé par la culture afin de produire un geste inédit, un mouvement réellement neuf. Voilà la question loreautienne. Sa réponse étant de manière synthétique Ŕ car tout le texte mériterait effectivement d’être cité Ŕ que seul un mouvement de production subversif considéré tel un faire comme tracement en cours peut venir à bout, par sa non finalité intrinsèque, de l’espace théorique, fût-il révolutionnaire. Ce problème de l’expérience des limites aura des répercussions importantes chez Marc Richir et deviendra paradigmatique de son travail. Souvent, on se retrouvera confronté aux lisières problématiques, au lieu de rebroussement immaîtrisable ouvrant sur un mouvement lui-même sans limite, sans archè et sans telos. Pensons au revirement du double mouvement de la phénoménalisation ou à celui de l’instantané qui eux-mêmes jouent de ce mouvement subversif. Pensons aussi à la délimitation de l’aire symbolique par ce qui y échappe comme aire vivante, créatrice de nouveautés, source de la production de sens inouï. Pensons aussi à toutes les formes d’expériences limites dont il tracera les contours minutieusement, comme l’expérience phénoménologique du sublime et la question de la mort, l’ ‘épochè’ phénoménologique hyperbolique, la réduction architectonique ou les transcendances auxquelles il se frottera et qui toutes seront corrélées à la question de l’illimitation. Chaque fois il s’agira de (se) mesurer (à) ce qui n’a pas de mesure, qui échappe, fuit, part et ne revient que chargé de la même non mesure Ŕ

403 ACS, p. 142, nous soulignons. 404

Démonstration loreautienne qui avait commencé 80 pages plus tôt, du reste, et qui se pousuit pendant 13 pages, jusqu’à la page 155 dans l’édition chez Gallimard.

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le ‘moment’ du sublime ou la transpassibilité à la base phénoménologique du registre fondé, par exemple. Dans le fond, toute la phénoménologie est travaillée, de part en part, par cette problématique spatiale fondamentale des limites. Nous pensons qu’elle est intimement liée à celle du temps et de ses limites. Notre dimension ‘ogkorythmique’ en synthétise le suc dans sa radicalité à envisager ces rapports non spatiaux et non temporels en mouvement compris comme dépassant les ressources propres à l’espace et au temps institués, ceux-ci même que Max Loreau tente d’exorciser dans son texte au profit du « non-point »406 et de la « non-fin »407 « d’un

mouvement (tracement) in-fini, non finalisé »408, «hors point et hors origine »409.

L’entre-appartenance du dedans et du dehors, de l’extérieur et de l’intérieur, de l’enroulement et du déroulement, leur cohabitation intime, subtile, au sein de l’unité du double mouvement de la phénoménalisation dont nous avons étudié les premiers entremêlements montre, de façon exemplaire, cette réorganisation spatiale et temporelle dans la pensée richirienne cette fois. Elle marque un lieu irrécupérable par la culture mais créé en son sein, avec sa langue et l’institution symbolique de la philosophie. Cette ambivalence était déjà présente dans les préoccupations loreautiennes.

En langage richirien, la culture réside dans l’aire de la forme instituée dont l’inachèvement, l’imperfection et l’informe sont exclus et renvoyés à l’aire phénoménologique.

Ce que Max Loreau met ici en évidence est la sphère dont le centre est partout et la périphérie nulle part qui caractérise avec force pour Marc Richir l’espace/temps traditionnel (cartésien) de la cosmologie copernicienne, et qui décrit ici les conditions de la structure globale unitaire de la culture.

Point et instant, point/instant, point d’identité avec soi de pure et pleine identité, instant comme point immobile du temps, double point d’où naissent l’espace et le temps mais qui y échappent, voilà à quoi tient l’existence de la métaphysique : « un point, c’est tout »410 écrit Max Loreau. Cette

analyse est et sera partagée par nos deux philosophes tout au long de leur itinéraire. Marc Richir en fera un axe majeur de ses démonstrations.

Il serait injuste et faux de dire que tout Richir sort de ce que Max Loreau avance ici dans ce texte. Mais, en revanche, il faut voir que les problématiques auxquelles ce dernier fait accéder sont celles avec lesquelles Marc Richir va avoir affaire et, surtout, ce sont celles-là même qui vont apporter un souffle singulier à la préparation des nouveaux concepts proprement richiriens. En effet, ce

406 ACS, p. 79. 407 ACS, p. 114. 408 ACS, p. 114. 409 ACS, p. 116. 410 ACS, p. 73.

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que Max Loreau pense avec le devenir, la non-forme, l’inachevé, le mouvement, le non-visible, l’impensable, le non-point seront ce qui va donner consistance à ce qui deviendra, nous sommes en 1968, le phénomène et sa phénoménalisation, et son mouvement impensable, invisible et inachevé. Et, ce sont ces éléments qui radicaliseront les enjeux de la phénoménologie. Bien plus, l’univers philosophique loreautien apporte une clef intellectuelle dont nous reconnaissons les linéaments dans nos éléments ‘ogkorythmiques’ fondamentaux, clef qui aura destin phénoménologique décisif dans les nouvelles avancées richiriennes.

Max Loreau pointe également ce que fait la phénoménologie lorsqu’elle pense l’image comme pur corrélat de l’imagination, coextensive de la conservation du point de visée et de la vision. Et même si on fait de l’image une image mentale ou une construction de l’esprit, cela ne change rien à l’affaire puisque la forme imitative est conservée. Ainsi, un ‘élément’ surgit auquel l’image n’arrive pas à faire un sort, qu’elle masque et radie, c’est « le travail de construction »411, de

production. C’est le mouvement invisible, impensable, du devenir : le non-point. Nous trouvons ici quelque chose de ce que Marc Richir avancera au plus profond de sa phénoménologie qui aura comme ambition de retourner en amont de l’image et de l’idée, vers les contrées génétiques et phantastiques relatives au mouvement sans corps mobile ni trajectoire, ‘ogkorythmique’, notamment mouvement du revirement de l’instantané et de son enjambement.

D’ailleurs, la connivence chez Marc Richir entre l’art, la poïesis et la dimension phénoménologique est consubstantielle à sa phénoménologie dont le mouvement s’enracine dans celui mis en avant par Max Loreau. Elle s’origine ici dans son principe. Et, de surcroît, le bouleversement et la mise en question de la pensée tout entière qui découle de tout ceci sont communs à nos deux philosophes. Simplement, Marc Richir va pousser ces concepts à leur paroxysme eu égard à la phénoménologie en particulier et à la philosophie en général.

De plus, la non coïncidence et le porte-à-faux dont parle Max Loreau au sujet du mouvement de production seront à maintes reprises utilisés par Marc Richir tout au long de son œuvre. Ce sera même un leitmotiv, un commun dénominateur fort chaque fois qu’il s’agira de penser le phénomène, l’humain, le sens ou, entre autres, le schématisme. Chaque fois également la coïncidence sera ramenée à ce qui est symboliquement institué et au résultat d’un appauvrissement, par exemple, la coïncidence à soi du schématisme dans le schème spatial de l’idéalité géométrique, Stiftung du point, ou, dans le schème temporel de l’idéalité arithmétique,

Stiftung de la diastasis. Ici, l’espace et le temps coïncident avec eux-mêmes. On est donc ici à

l’opposé de ce que recherchent Max Loreau et Marc Richir.

411 ACS, p. 89.

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Voilà l’objectif déclaré par Max Loreau : arriver à pied d’œuvre pour un travail de sape systématique sur la pensée traditionnelle qui ne pense pas, ne peut pas penser, un mouvement infini, un mouvement littéralement impensable. Gageons que Marc Richir y a vu très vite de l’intérêt. On peut dès lors affirmer qu’il va prendre Max Loreau au pied de la lettre et tenter, pour son propre compte, l’aventure de déconstruction de l’édifice tout en ayant à l’esprit la construction d’une nouvelle pensée phénoménologique basée sur de nouveaux fondements eux- mêmes soutenus par de nouvelles fondations. S’en suivra, nous le verrons, une architectonique d’un nouveau genre qui nous fera pénétrer dans des registres plus archaïques que ceux de la vision, de la perception, de l’imaginaire ou de l’idéalité, de la forme ou de la théorie, du point ou de l’instant, « dans la production in-finie » où, comme l’écrit Max Loreau, « pensée (centrée) et rêve (inconscient), rentrant dans le fil continu d’une geste unique, sont renvoyés à l’unité Ŕ à l’indistinction plutôt Ŕ de leur trame originelle »412.

Le sens comme devenir traçant est encore un exemple insigne, comme mouvement d’entrer dans le sens et « entrer dans le sens », écrit Max Loreau, « c’est se servir d’une trace » « issue d’un geste in-fini de telle façon qu’elle soit traçage »413. Très belle illustration de ce que sera le sens se faisant

chez Marc Richir. Entrer dans le sens, le faire du sens, c’est effectivement partir à l’aventure par le fil d’un geste infini.

Nous avons ici, en définitive comme mis en abyme, les caractéristiques ‘ogkorythmiques’ essentielles du phénomène richirien : « ce qui n’a pas commencé ne s’achève pas »414, « sans

commencement ni but ni fin ni eidos qui viennent se proposer à sa vue », hors point et hors origine, infini, illimité, « non visible »415.

Marc Richir n’aura de cesse de construire une phénoménologie qui fera une place à un mouvement in-fni, an-archique et a-téléologique, sans corps mobile ni trajectoire, sans point d’attache ni de fixation, un mouvement ‘ogkorythmique’ foncièrement non spatial et non temporel Ŕ malgré qu’il ouvrira à la possibilité de la spatialisation et de la temporalisation Ŕ tout en ‘(s’) espaciant’ et en ‘(se) temporellisant’ néanmoins comme nous le soutenons.

« Masse qui se bosselle et se ravine continûment au gré de sa pulsation pullulante »416, voilà une

‘préfiguration’ loreautienne de notre ‘ogkorythme’ lorsque celui-ci sera importé au cœur des nouveaux concepts richiriens en formation afin de leur donner corps et qu’il deviendra masse pulsatoire et rythme volumique hors espace et hors temps.

412 ACS, p. 152. 413 ACS, p. 106. 414 ACS, p. 117. 415 ACS, p. 80.