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Ces dernières années ont vu une politique active de soutien du gouvernement orientée vers la pauvreté dite extrême, suivant en cela les recommandations à se concentrer sur la « poverty alleviation » de la Banque Mondiale1. Des méthodes de localisation géographique très précises des « poches de pauvreté » ont été employées récemment, recourant largement à la

cartographie informatisée et aux systèmes de positionnement par satellite (GPS).

Comment la distribution des subsides se caractérise-t-elle dans les faits?

En pratique, les subsides entrent en jeu dans les communes présentant des revenus autonomes des foyers inférieurs à 350 000 pesos, soit 500 USD (Annexe 4, Fig. 5.0.3). Les sommes distribuées sont très modestes (jusqu’à 30 USD par ménage) même pour le Chili, et ne dépassent pas 7% des revenus ( à Quemchi, Annexe 3).

Les subsides constituent plus de 5% du revenu moyen des foyers dans les communes rurales de Cochamó, Curaco de Vélez, Hualaihué et Quemchi (Annexe 4, Fig. 5.0.4), et dans l’immense majorité des communes rurales les foyers doivent plus de 3% de leurs revenus à des subsides. La corrélation entre taux de population rurale et subsides est en effet élevée. Du point de vue de la distribution

géographique (Fig. 5.0.1), les subsides touchent en particulier les zones rurales de difficile accès (îles, zones montagneuses), soit celles qui se trouvent tout

particulièrement hors limites pour l’agriculture

commerciale. Cette distribution recoupe essentiellement (à l’exception de Cochamó) les zones de forte identité indigène.

D’après les corrélations du paramètre « subventions en % du revenu » (Tableau 5.0.a) il existe une bonne concordance des subsides avec deux indicateurs nominaux de pauvreté : l’index de pauvreté du Fonds commun municipal (FCM) et l’index d’indigence rurale (Annexe 4, Fig. 5.0.2). Il existe des corrélations négatives fortes avec un

1 Qui par ailleurs passe comme chat sur la braise sur les causes possibles de l’extreme poverty, tout comme sur les questions de répartition des richesses qui pourraient se poser de façon plus large. Pour une revue détaillée de la doctrine actuelle à ce sujet,

Fig. 5.0.1 : Distribution géographique de la proportion du revenu due aux subsides, par quartiles.

ensemble de paramètres de consommation et d’accès aux services qui viennent valider la précision du ciblage sélectif des populations en ce qui concerne les allocations.

Les communes où les gens reçoivent le plus de subsides sont celles où l’index d’indigence rurale et/ou l’index du FCM est le plus élevé. Les communes à forte composante indigène : Hualaihué, Calbuco, Chonchi, Quinchao, Quemchi, figurent en bonne place, de même que Puqueldón et Curaco de Vélez. Il n’y a pas d’arguments pour affirmer que les communes à forte composante indigène soient favorisées ou défavorisées à cet égard.

Tableau 5.0.a : Corrélations significatives du paramètre "subsides en % du revenu".

Item

coeff corrélation r

(Pearson) p (2-tail) N

Coeff

détermination r2

Subsides 0.913 0 16 0.834

taux de pop possédant un frigo -0.91 0 16 0.828

Taux de pop avec service d'égouts -0.87 0 15 0.757

taux de pop possédant une machine à laver -0.867 0 16 0.752

Taux de pop avec eau potable du réseau -0.864 0 15 0.746

taux de pop rurale 0.795 0 16 0.632

Index de pauvreté FCM 99 0.783 0 16 0.613

revenu autonome du foyer -0.737 0.001 16 0.543

taux d'organisation communautaire 0.733 0.004 13 0.537

index d'indigence rurale 0.709 0.002 16 0.503

taux de cs médicales en urgence -0.694 0.003 16 0.482

taux de pop participant à des réunions sociales 0.664 0.005 16 0.441

taux analphabétisme femmes 0.654 0.006 16 0.428

taux affiliés isapres (privé) -0.639 0.008 16 0.408

Rapport de mortalité standardisé -0.628 0.009 16 0.394

cs medecin urgence / hab / an -0.612 0.012 16 0.375

taux analphabétisme h+f 0.6 0.014 16 0.360

toutes cons paramédicales / hab / an 0.581 0.018 16 0.338

taux affiliés fonasa (public) 0.547 0.028 16 0.299

% obésité gravidique -0.541 0.03 16 0.293

coefficient de difficulté d'accès 0.54 0.031 16 0.292

% obésité infantile -0.537 0.032 16 0.288

cs paramed urgence / hab /an 0.528 0.035 16 0.279

Revenu municipal par habitant 0.516 0.041 16 0.266

coefficient de difficulté d'acces x distance x

population 0.507 0.045 16 0.257

coefficient de difficulté d'accès x distance 0.482 0.059 16 0.232

De façon remarquable, le groupe-cible des subventions présente des liens privilégiés avec le taux d’organisation communautaire et la participation aux réunions sociales. Alors qu’il peut certainement exister des synergies entre le fait de s’organiser collectivement et le fait de se faire entendre et toucher des subventions, le recours à des stratégies d’organisation

collective doublant une indigence apparente élevée peut aussi signer la persistance dans ce groupe d’une proportion significative d’une économie non monétaire1 – un ensemble de mécanismes d’entraide et d’échange au sein de la communauté, forgés par la culture, parfois désignés à tort ou à raison sous le terme de « communisme primitif », et qui échappent essentiellement au calcul économique classique. Il existe de nombreux indices qui pointent dans ce sens à Chiloé, mais seul un travail de recherche systématique permettrait de quantifier leur part exacte actuelle.

Relevons que les expériences passées de politiques de subvention systématique à bas niveau de populations indigènes (comme cela a été pratiqué aux USA par exemple) semblent avoir eu des effets extrêmement controversés en ce qui concerne leur structuration et la morbidité. Mais sur ce point précis, la liquidation ou l’affaiblissement des structures communautaire traditionnelles est présentée par nombre d’auteurs anglo-saxons, de façon plus ou moins explicite2, comme une condition préalable indispensable à la mise en concurrence généralisée et à l’incorporation au « marché3 » qui doit miraculeusement conduire les méritants à l’accumulation des biens et à la prospérité généralisée. Tout mécanisme de solidarité familial ou communautaire qui pourrait s’interposer dans ce processus inéluctable est suspect. Pour résumer le point de vue d’un satellite attitré de la Banque Mondiale, « While family networks have great importance as coping mechanisms, the strong sense of reciprocal obligation that makes them successful in times of crisis also makes them resistant to individual entrepreneurship and accumulation. » (Narayan et coll. 1999). En d’autres termes, centraux à la pensée économique mais rarement exprimés avec une telle clarté, le capital social serait néfaste car il s’opposerait à l’exposition optimale de chaque individu au Marché et à l’expansion du capital monétaire. Alors qu’une vision aussi simpliste des processus d’intégration économique et d’organisation sociale peut paraître confortable et séduisante lorsque l’on défend des politiques globales « one size fits all », le risque est réel sur le terrain, à vouloir monétiser de façon accélérée les plus

1 A distinguer de la notion d’économie informelle très usitée par la B.M. et qui correspond à une économie, souvent urbaine, de petite débrouille, sans contrats formels ni garanties institutionnelles, mais largement monétisée.

2 Prenons par exemple F. Fukuyama (2002), qui après s’être livré au distinguo habituel dans certains milieux entre « bon » et « mauvais » capital social (qui n’est pas sans rappeler la distinction de jadis entre « bons » et « mauvais » pauvres) conclut quand même au caractère globalement néfaste du capital social, surtout lorsqu’il est comparé aux autres formes de capital : « Physical and human capital, of course, also produce negative externalities,.. However, as a whole, social capital tends to produce more externalities than these other forms of capital do;

furthermore, these externalities often overwhelm the utility of social capital underlying them »

3 Pour autant que cette entité nébuleuse et élusive affiche encore quelques signes d’existence autrement que comme justification métaphysique

« pauvres » au moyen de des paiements ciblés, de fragiliser leur principale stratégie de vie et de sécurité alimentaire, la communauté rurale, de même que leur déterminant essentiel de protection vis à vis de la morbidité, le capital social. La politique de subventions ciblées aux plus démonétisés renferme un certain potentiel de nuisance et de chaos que l’étude de la suite des évènements pourra dévoiler.

Une autre particularité remarquable de la population qui reçoit des subsides est le lien négatif significatif qu’elle entretient avec le l’indicateur comparatif de mortalité (Fig.5.0.5), paramètre corrélé avec la population urbaine et avec un certain niveau de consommation exposé dans le chapitre 3.3.11. Il est clair qu’une dépense de santé orientée par les seuls AVPP et ICM manquerait de beaucoup le groupe le plus défavorisé et le moins monétisé de la

population.

Une population indigente et rurale présentant une morbidité moindre qu’une population à meilleur niveau de vie et urbaine, voilà qui pourra sembler bien étonnant à un observateur du premier monde habitué à observer un rapport inverse entre morbidité et niveau

socio-économique. Cette situation n’est cependant pas exceptionnelle dans les pays « en voie de développement » et elle a été bien documentée en Inde du Nord en particulier en ce qui concerne l’obésité et ses complications (voir par exemple Kumar A. P. 2002).

Remarquons par ailleurs l’excès d’ICM à Cochamó et à Chonchi, carrefour de toutes les morbidités.

Subsides en % du revenu et ICM

La surface des points est proportionnelle à la population totale dans la commune.

Hualaihué

Subsides en % du revenu

Indicateur comparatif de mortalité

Fig. 5.0.5 : Subsides en % du revenu et indicateur comparatif de mortalité (ICM).