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Vers une résurrection (assistée) des pratiques de médecine vernaculaire ?

4. Les Ethnies Originaires

4.13. Vers une résurrection (assistée) des pratiques de médecine vernaculaire ?

Depuis quelques années, on assiste dans certains cercles à une prise de conscience de

l’importance primordiale d’établir des liens entre la pratique médico-sanitaire officielle et les pratiques et croyances de santé de tradition vernaculaire et indigène. Les arguments militant pour cette attitude comprennent notamment le droit légitime des populations indigènes à une pleine reconnaissance de leur identité culturelle, la diminution du seuil d’accès aux soins demeuré élevé pour les populations indigènes, la construction d’un espace commun et

participatif pour la prise en charge des affections, la nécessité impérieuse d’introduire dans un système de santé autoritaire et peu participatif, des valeurs fondamentales de respect et de considération envers les usagers de souche indigène, ainsi qu’une plus grande participation des communautés dans les processus de soins et de préservation de la santé. En filigrane de ce dernier argument on trouve peut-être encore une certaine préoccupation, plus prosaïque et moins exprimée, qui prend ses sources dans les coûts engendrés par la médicalisation des populations.

Le revirement d’attitude (malheureusement de loin pas majoritaire dans le pays et le milieu de la santé) doit beaucoup aux travaux exemplaires de l’équipe du Dr. Jaime Ibacache Burgos à l’hôpital rural de Maquehue, près de Temuco (IXe région), solidement appuyée par des équipes de chercheurs de l’Université de la Frontière (Temuco). Pour référence, on peut consulter le rapport établi pour l’organisation panaméricaine de santé (Ibacache et coll. 2001). Les dispositifs mis en place à Maquehue et certains postes de santé environnants ont éveillé un intérêt universitaire à niveau international et ont fait l’objet de plusieurs travaux de thèse. Bref, ils constituent une référence en la matière et c’est en suivant leur modèle que diverses

tentatives de rapprochement sont menées dans d’autres lieux du pays. Nous le verrons

cependant, le modèle de Maquehue n’est pas nécessairement exportable tel quel dans d’autres

régions en raison notamment des différences historiques dans la colonisation et le degré de trans-culturation des populations.

Nous avons récemment découvert un rapport établi à l’intention de l’Université du Chili (Ochsenius C. 2000) au sujet d’une expérience transculturelle en matière de santé dans l’île de Chiloé, impliquant d’une part les services de santé présents sur l’île, d’autre part l’organisation traditionnelle « Conseil des caciques de Chiloé », réunies en une commission interculturelle, assistées par des anthropologues associés au Conseil des caciques et, à l’occasion, par une ou deux organisations non gouvernementales présentes localement. Munie de très modestes moyens issus des budgets habituels de fonctionnement, la commission interculturelle a cependant tenté un certain nombre d’expériences, notamment la formation des techniciens paramédicaux aux traitements par les plantes et la préparation de divers produits. Elle a compté en cela avec l’appui de spécialistes formés à l’étranger collaborant avec l’ONG de conservation des forêts « Bosque Modelo ». Le constat de fond pour Chiloé est toutefois réservé :

«...on remarque en effet une population quelque peu «médicalisée» dans ses conceptions, dépendant des services et des traitements professionnels officiels, selon la manière à laquelle a été habituée toute la population chilienne, en particulier les secteurs populaires où tout

«folklore» médical a été systématiquement combattu et éradiqué. Les pratiques de santé traditionnelles et ethniques paraissent être effectivement très détériorées. Il n'y a pas de registre ni de connaissance certaine de ses agents. Herboristes, rebouteux, accoucheuses traditionnelles et «curieux» ont été jusqu'il y a peu d'années systématiquement poursuivis et isolés de la communauté. Les techniciens paramédicaux avaient pour mission explicite de dénoncer ces pratiques au service de santé. Au cours des dialogues avec les communautés, aucune référence n'a été faite à des pratiques curatives d'inspiration religieuse ou spirituelle (chamanisme). »

L'auteur explique ensuite que lors des rencontres cérémonielles, les prières présentées comme

«indigènes» ressemblent plus, en style et en prosodie, aux prières habituelles que l'on peut entendre dans n'importe quelle église, qu’à des pratiques identifiables comme authentiquement Mapuche. Cette situation n’est finalement pas du tout étonnante compte tenu de l’ancienneté de la christianisation de l’île, où les croyances vernaculaires les plus enracinées revêtent

volontiers des apparences chrétiennes, comme par exemple le culte du Christ « miraculeux » de Caguach. La hiérarchie de l’Eglise ne s’y trompe pas, qui cherche dans ce cas précis à étouffer les expressions de ferveur populaire.

« Cependant, au delà du questionnement sur l'existence d'une identité indigène vraiment distincte de l'identité métisse sur l'île, il existe une mémoire collective récente (pas plus d'une

génération) de pratiques traditionnelles et auto-soutenues de santé, en particulier dans le domaine de la reproduction (soins de la grossesse et accouchements). »

Le constat de l’auteur au niveau des programmes « indigènes » de prévention de la santé développés dans certaines écoles : « Rien ne permet de les différentier en leur forme et leur contenu des programmes de prévention développés dans l’ensemble du pays ».

En résumé on pourrait distinguer trois étapes dans l'attitude adoptée à l’égard des pratiques traditionnelles en matière de santé, qui peuvent s'observer dans d'autres contextes également:

1) Suppression active des pratiques traditionnelles par une politique délibérée des autorités et du système de santé «officiel», dans une optique de modernisation nationale

autoritaire à modèle unique.

2) Perte d'autonomie des populations et accentuation de leur dépendance envers la médecine «officielle» et ses produits. C’est la situation largement prédominante à l’heure actuelle.

3) Préoccupation des autorités face à une dépense «excessive», et rationnement de fait des médicaments comme de services «officiels» dont la qualité stagne ou se dégrade.

Tentative de réintroduction exogène des médecines traditionnelles dans un discours

«d'autonomisation des populations» qui, bien que reposant sur des bases fort louables, cache mal les préoccupations budgétaires sous-jacentes.

A ces considérations il faudrait encore ajouter le constat établi par Ibacache et coll. (2001) qui a quant à lui rencontré dans la IXe région des pratiques de médecine vernaculaire bien

vivantes, mais présentant un coût fort élevé en comparaison avec celui de la médecine

« officielle » subventionnée par l’Etat. Ce coût intrinsèque élevé des pratiques traditionnelles, qui ont connu comme le reste des activités une monétarisation importante, semble un obstacle important à un plus grand recours aux guérisseurs traditionnels dans les processus de soins et de guérison.

Il importe certainement de mesurer l’étendue de l’évolution de l’attitude officielle vis à vis des pratiques vernaculaires, toutefois dans nombre de cas il semble légitime de se demander si l’on ne s’y prend pas un peu tard, mais surtout si le processus de déculturation est vraiment

réversible en l’absence d’un changement plus profond des valeurs dominantes. Les efforts qui portent dans ce sens méritent d’être poursuivis en tout cas.

4.14. Synthèse : Les populations indigènes dans les provinces de