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Comme la plupart de ceux qui ont exercé en ville et dans l’urgence, certaines questions

m’assaillent avec une certaine fréquence: Pourquoi les motifs de consultation, en particulier la consultation urgente, semblent-ils se modifier au fil des ans en se teintant de plus en plus de raisons extramédicales? Pourquoi de plus en plus de patients ont-ils l’air d’être plongés dans un désarroi de plus en plus profond en matière d’organisation personnelle? Pourquoi va-t-on de plus en plus chercher la pilule magique chez le médecin comme au supermarché1, tout en refusant catégoriquement d’entrer en matière au sujet de recommandations d’hygiène de vie par exemple? Quel système mutualiste peut-il tenir avec des gens qui estiment ouvertement que leur propre temps est bien plus important que les frais que leur consultation en urgence peut engendrer ? Dans un registre un peu différent on peut citer la consultation-promenade du dimanche puisque la semaine on n’a pas le temps ou parce qu’on n’ose plus aller consulter ou prendre rendez-vous pendant les heures de travail.

1 D’où peut-être une intéressante tendance globale des confrères à s’installer au cœur même des centres commerciaux.

En somme : Quel est le sens de la transformation en cours, et quelles sont les interactions possibles avec l’évolution des dispositifs de santé et la santé des populations tels que nous les connaissons et tels que nous les souhaiterions? Quelles en sont les conséquences et comment les prévoir?

On peut toujours tenter d’échafauder des explications au cas par cas : la culpabilité inavouée de l’abandon de l’enfant par les deux parents qui travaillent se manifeste le soir au retour à la maison, se potentialise avec la fatigue, et le moindre soupçon de fébricule que l’on ne prend plus la peine de vérifier au thermomètre (c’est une responsabilité de plus) adopte des

significations menaçantes qui déclenchent la consultation d’urgence, consultation qui doit plus rassurer et dédouaner les parents que calmer le gamin bien portant par ailleurs. Nombre de services de pédiatrie pâtissent des vagues de ce syndrome au risque de voir s’émousser leur capacité de tri efficace des cas graves.

Mais l’explication ponctuelle nous laisse insatisfaits et le fatalisme n’a pas (encore?) sa part dans une approche scientifique. Ne peut-on dégager des lois générales qui régissent ces comportements en matière de consommation de ressources qui puissent nous éclairer ? Est-ce que cette analyse relève de la psychiatrie –mais que fait la psychiatrie des comportements de masse?- ou de la médecine communautaire, de l’anthropologie, de l’analyse épidémiologique et du raisonnement de santé publique?

Que peut nous apporter le fait « d’aller voir ailleurs comment cela se passe »? Certes la comparaison permet de faire avancer la compréhension et dégager des règles générales. De plus, un environnement distinct qui offre des contrastes importants permet aussi de mieux découvrir et dégager des corrélations inapparentes dans un environnement plus homogène.

Et si l’analyse des faits et des comportements nous ramenait –supposons- aux aléas et retombées de l’incessant modelage au corps du « citoyen-consommateur », quelle serait la marge de manœuvre effective? Le spécialiste en santé publique ne se donne-t-il pas pour

« produire la connaissance dont a besoin le décideur pour agir1 »? Si c’était bien le cas, quelle est la marge de manœuvre réelle du décideur, et quelle est l’étendue des limites, des interdits et des tabous imposés par les dogmes d’une époque, ciment essentiel d’un pouvoir aux ambitions globales? Et en dernière analyse, quelle est la part de la morbidité et des coûts engendrés directement imputable aux dogmes et interdits en question?

Comme dans toute démarche de recherche, plus de questions que de réponses. Or, « He who asks many different questions will receive many different answers1 ».

Si on choisit de se limiter aux contingences les plus immédiates, le but de ce travail est de fournir les bases cognitives et descriptives préliminaires à la constitution d’un projet de

coopération concernant les populations rurales dans trois provinces de la Xe région du Chili, et d’apporter chaque fois que cela sera possible des réponses aux interrogations que suscite la consultations de données éparses sur un grand nombre de sources. Nous avons choisi de les traiter dans l’ordre suivant :

• Quelles sont les caractéristiques physiques, historiques, humaines et organisationnelles qui modèlent la réalité de la région étudiée, de sa population, et du ou des systèmes de santé qui la desservent? (Chap. 3.1.1. a 3.1.3.) Quelles sont les grandes lignes du débat actuel sur la réforme du système de santé au Chili et quelles sont les positions des principaux

interlocuteurs? (Chap. 3.1.4.) Comment se répartit la ou les population(s) rurales(s) (Chap.

3.1.5) et comment s’articulent les indicateurs de pauvreté ou d’indigence qui lui sont souvent associés? (Chap. 3.1.6.).

Nous passons ensuite en revue les données sanitaires proprement dites :

• Quelle est la distribution du taux de mortalité et du taux de mortalité infantile, et quels en sont les principaux déterminants décelables? (Chap. 3.3.1.) Comment la population se distribue-t-elle par rapport aux ressources périphériques du système de santé et aux obstacles à l’accès? (Chap. 3.3.2.) Quelle est la variabilité interne du fonctionnement des services de santé et quels en sont les déterminants principaux? (Chap. 3.3.3.) Quelle est l’accessibilité des services d’urgence ? (Chap. 3.3.4.) Quelle sont les caractéristiques et la distribution d’une population avec des besoins particuliers, celle des personnes âgées de 65 ans et plus? Est-ce que les besoins particuliers de cette population se reflètent-ils dans la perception subjective de l’état de santé telle que saisie par un questionnaire simplifié, et sinon, quels sont les paramètres reflétés? (Chap. 3.3.5.). Quels sont les rapports entre les indicateurs de pauvreté et la perception subjective de l’état de santé ? (Chap. 3.3.6).

• Nous abordons ensuite les aspects révélés par une enquête portant sur la couverture de la population par le programme de dépistage du cancer du col de l’utérus et étudions les moyens possibles pour améliorer la prévention (Chap. 3.3.7.) puis étudions les données disponibles sur le statut nutritionnel maternel et infantile. Quels en sont la distribution et les déterminants ? (Chap. 3.3.8. a 3.3.9.) Enfin, la question de la signification de la perception subjective de handicaps est brièvement abordée (Chap.3.3.10.) de même que les indicateurs

1 Anonyme, organisations internationales, fin du XXe s.

de mortalité dits standardisés IMC et AVPP (Chap. 3.3.11.) Quelle en est la distribution et que nous suggère-t-elle sur la distribution de la charge de morbidité? Quels paramètres ne sont pas détectés par les indicateurs standardisés et quelles seraient les conséquences d’une politique de santé orientée exclusivement par eux?

• Une section à part (4.) a été consacrée à la problématique des ethnies originaires, et en premier lieu à l’instrument de mesure retenu. Correspond-il à la réalité observée au niveau de la culture matérielle et des stratégies de vie? Quelles sont les éventuelles spécificités des populations indigènes rurales telles que présentées par l’instrument de mesure? Peut-on comparer la situation à celle qui est observée en Amérique du Nord?

• Nous tentons enfin de caractériser la distribution des subventions et allocations aux ménages (section 5.) Quelle est la doctrine appliquée, quelle est la population-cible et quelles sont les effets pervers à redouter ?

Pourquoi le Chili? Un certain nombre de raisons historiques et personnelles sont mentionnées dans le préambule. Mais surtout, le pays constitue depuis un demi-siècle un modèle

d’observation et (souvent pour son plus grand malheur) d’expérimentations de toutes sortes.

Les transformations y sont rapides et aisément observables, peut-être en raison d’un volant culturel et social allégé par rapport au vieux continent. La collecte des données socio-démographiques y est plutôt fiable et fait l’objet d’un investissement considérable de ressources de la part du gouvernement. Nombre des caractéristiques (comme le système de santé bicéphale) et des transformations en cours rapprochent les problèmes qu’il doit affronter de ce qui se passe dans les pays du premier monde. Bref, de nombreux signes suggèrent que les conditions y sont favorables au développement d’études comparées, et la comparaison est l’un des meilleurs moyens pour dégager des principes généraux.

Pourquoi encore cette étude? parce qu’il existe sur place des besoins et des problèmes criants qui ne relèvent pas de la fatalité, parce que des êtres humains en meurent, et parce qu’une fonction par excellence de la santé communautaire est d’établir sur le terrain un diagnostic précis quant au système avant de proposer un traitement.

Parce qu’il est des aspirations similaires de par le monde, ce qu’on peut faire de mieux à cet égard, en particulier dans une époque troublée, c’est de collaborer à tisser des liens,

promouvoir la compréhension mutuelle et construire des ponts.

En somme, le mouvement qui conduit à un travail, comme la plupart des comportements humains, peut être essentiellement multifactoriel.

2. Méthodologie.