• Aucun résultat trouvé

4. La famille des LIM Kinases, nouvelle cible thérapeutique dans le cancer

4.3. Substrats

Le principal substrat des LIMKs est la famille des protéines ADF/cofiline constituée de la cofiline 1 (musculaire), la cofiline 2 (non musculaire) et la destrine (aussi connue sous le nom de facteur de dépolymérisation de l’actine, ADF) (Figure 19). Dans la suite du manuscrit j’utiliserai le terme générique de cofiline pour faire référence aux trois protéines.

La cofiline est une petite protéine ubiquitaire de 19 kDa qui se fixe aux filaments d’actine et induit leur fragmentation. Cela entraine la génération d’extrémités barbées disponibles pour la polymérisation de nouveaux filaments d’actine, et participe à la dynamique du cytosquelette d’actine.

Figure 19: Les LIMKs régulent l’activité de la cofiline en l’inactivant par phosphorylation

La cofiline déphosphorylée se fixe au filament d’actine et provoque une fragmentation des filaments générant ainsi des extrémités barbées disponibles pour la polymérisation de nouveaux filaments et le renouvellement du pool d’actine globulaire. Tiré de Scott R.W. et Olson F., J. Mol. Med. 2007.

Le maintien de la dynamique du cytosquelette d'actine est primordial pour de nombreux processus tels que la mobilité et la migration cellulaire. Sous forme active, c’est à dire non-phosphorylée, la cofiline est ancrée et séquestrée à la membrane plasmique via l’interaction avec le phosphatidylinositol-4,5-biphosphate (PIP2). Toute variation de pH ou hydrolyse du PIP2 par la phospholipase-γ (PLCγ) entraine la libération et la translocation de la cofiline dans le cytoplasme (Figure 20). La phosphorylation de la cofiline cytoplasmique est réalisée par les LIMKs sur le résidu sérine en position 3 (Ser3) ce qui inactive sa fonction de fragmentation des filaments d’actine. D’autres protéines telles que les TESK 1&2 et les NESK1&2 sont aussi capables de phosphoryler la cofiline sur le résidu Ser3. Les TESK1&2 sont exprimées de manière spécifique au niveau du testicule, ce qui suggère un rôle de ces protéines dans la spermatogenèse93. De plus, la séquence protéique du domaine catalytique des TESK1&2 possède 50% d’homologie avec celle du domaine catalytique des LIMKs93. Une étude phylogénétique a même montré que les TESKs, plutôt que de représenter une famille de protéine à part entière, s’apparentent plus à une sous famille des LIMKs93. Quant aux NESK1&2, elles sont exprimées principalement dans le muscle squelettique et semblent jouer un rôle important au moment de la migration des cellules musculaires lors des phases tardives du développement embryonnaire94.

D'autres sites de phosphorylation de la cofiline ont été identifiés. Par exemple, la forme active de l’oncogène Src, v-Src, est capable de phosphoryler la cofiline sur le résidu tyrosine en position 68, ce qui entraine l’ubiquitination et la dégradation de cette dernière par le protéasome95. A noter que cette phosphorylation n’a aucun effet sur la dynamique de l’actine. Il est également possible de réactiver la cofiline en la dé-phosphorylant grâce à l’action de phosphatases. Deux phosphatases ont été décrites: la phosphatase Slingshot (SSH)96 et la chronophine (CIN)97. SSH a également la capacité de dé-phosphoryler les LIMKs et sera plus amplement détaillée dans la partie suivante. CIN fait partie de la famille des déshydrogénases haloacides (HAD), elle dé-phosphoryle de manière spécifique la cofiline et colocalise avec cette dernière dans les cellules en migration et en division97.

Ainsi, l'activité des LIMKs, de SSH et de CIN, en activant et désactivant de manière coordonnée la cofiline, participe à la régulation de la dynamique des microfilaments d'actine (Figures 20).

De nombreuses études ont montré qu’il est difficile de prédire les effets physiologiques d’une dérégulation de la voie de signalisation aboutissant à la phosphorylation/déphosphorylation de la cofiline (couramment appelée "voie cofiline") en se focalisant uniquement sur la dérégulation d’un des gènes impliqué dans la voie (kinase ou phosphatase). Le cycle de phosphorylation/déphosphorylation de la cofiline est un processus dynamique. Ce n’est finalement que le niveau d’activité de la cofiline, résultant de l'activité de chaque acteur de la voie, qui décidera du phénotype engendré98,99.

Deux autres substrats de LIMK1 ont été identifiés dans le cerveau: le facteur de transcription CREB et le récepteur nucléaire Nurr1 (Figure 21). LIMK1 phosphoryle CREB sur un résidu sérine en position 133 ce qui mène à la transcription du gène de l’élément de réponse à l’AMP-c. Ce processus semble être important pour la différenciation neuronale100. Quant à Nurr1, il est phosphorylé par LIMK1 ce qui diminue son activité de transcription101. Cependant cette phosphorylation ne semble pas indispensable à l’activité de Nurr1 puisque l’interaction physique de Nurr1 avec les domaines LIM et le domaine kinase de LIMK1 suffit à inhiber son activité de transcription101.

Figure 20: Régulation spatiale de la voie cofiline

La cofiline est séquestrée à la membrane par le PIP2. Suite à l’hydrolyse du PIP2 par la PLCγ, la cofiline est relarguée dans le cytoplasme et accessible aux différents régulateurs de la voie. Les régulateurs négatifs tels que les LIMKs phosphorylent et inactivent la cofiline, les régulateurs positifs, tels que SSH, la déphosphorylent, la rendant de nouveau active et capable de remplir son rôle de protéine de fragmentation des filaments d’actine. Tiré de Wang W., Eddy R. et Condeelis J, Nat. Rev., 2007.

Enfin, les LIMKs, en plus de réguler la dynamique du cytosquelette d’actine, régulent la dynamique d’assemblage des microtubules. En 2005, une équipe de Chicago a montré pour la première fois que l’activation de LIMK1 dans des cellules endothéliales de cordon ombilical humain (HUVECs) entraîne le désassemblage du réseau microtubulaire. L’inhibition de l’expression de LIMK1 par des ARN interférences restaure la dynamique des microtubules et démontre qu’il existe un lien entre l’expression de LIMK1 et la dynamique des microtubules. Plus récemment, grâce à un nouvel inhibiteur sélectif des LIMKs, « Pyr1 », notre équipe a démontré que l’inhibition des LIMKs induit une stabilisation des microtubules dans des cellules de cancer du col de l’utérus (HeLa, voir article en Annexe 1)102. En effet, les paramètres d’instabilité dynamique ainsi que la capacité à générer des microtubules stables en

présence de Pyr1 sont clairement affectés par le composé et sont semblables à ceux que l’on pourrait observer en présence d’agents stabilisateurs des microtubules tels que les taxanes. Ces effets s’accompagnent d’un arrêt des cellules en G2/M et l’apparition de fuseaux mitotiques anormaux. Ces effets sont indépendants des effets de Pyr1 sur la dynamique de l'actine, puisqu'une dépolymérisation préalable complète du réseau d'actine par la cytochalasine n'empêche pas la stabilisation des microtubules par Pyr1. Nous avons également montré que Pyr1 ne se fixe pas directement sur les microtubules, indiquant que l’effet de Pyr1 observé n’est pas dû à une interaction directe avec les microtubules. De plus, une surexpression des LIMKs abolit l'effet stabilisateur de Pyr1 sur les microtubules.

Des résultats similaires ont été récemment observés par l’équipe de MF. Olson dans des cellules de cancer de la prostate (LNCaP), en utilisant un autre inhibiteur des LIMKs: LIMKi103(développé par BMS, plus de détail dans la partie 5. « Les inhibiteurs de LIMKs »). Dans ce modèle cellulaire, en présence de LIMKi une augmentation de la tubuline acétylée, qui est un marqueur de stabilité des microtubules, est observée, en Western blot et immunofluorescence (MF Olson, séminaire présenté le 20 octobre 2014 à l’Institut Albert Bonniot).

L'ensemble de ces résultats indique que les LIMKs sont des enzymes capables de réguler, indépendamment, la dynamique du réseau d'actine et celle du réseau microtubulaire.

A l’heure actuelle, on ne connait toujours pas le mécanisme d’action exact qui permet aux LIMKs de réguler les microtubules. Des travaux de l’équipe du Dr. O. Bernard avaient montré initialement que LIMK1 était capable de phosphoryler et d'inactiver p25/TPPP. Cette protéine est connue pour sa capacité à favoriser la polymérisation de la tubuline104. On sait maintenant que ce résultat était artéfactuel et il est démontré que la phosphorylation de p25/TPPP résulte de l'action de ROCK et non de LIMK1105. Ainsi, la possibilité que p25/TPPP soit l'intermédiaire entre les LIMKs et les microtubules est désormais exclue. Plus récemment, une étude a montré que LIMK1 pouvait interagir directement avec les microtubules dans un modèle cellulaire de cancer de la prostate106, suggérant que LIMK1 se comporterait comme une protéine associée aux microtubules (MAPs) capable de stabiliser les microtubules à l’état non phosphorylé. Ce mécanisme serait régulé principalement par la voie de signalisation CXCL12/Pak4/LIMK1.

Un des objectifs de notre équipe est de comprendre comment les LIMKs régulent les microtubules. Parmi les différentes hypothèses explorées, nous avons observé que les LIMKs sont capables de phosphoryler la tubuline in vitro et que Pyr1 inhibe cette phosphorylation.

Des études de phospho-protéomique ont permis d’identifier les sites de phosphorylation et nous cherchons actuellement à savoir si ces phosphorylations affectent la dynamique des microtubules cellulaires. Ces aspects ne seront pas abordés dans ce manuscrit puisqu’ils ne font pas l’objet de mon projet de thèse.

Figure 21: Schéma récapitulatif des différents substrats des LIMKs connus à ce jour