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3. Thérapie des cancers du sein

3.1. La chimiothérapie

Il existe deux grandes classes d’agents de chimiothérapie pour traiter le cancer du sein: les agents ciblant l’ADN et les agents ciblant les microtubules.

Les agents ciblant l’ADN incluent les anthracyclines, les gemcitabines et les capecitabines. Les anthracyclines sont les plus connues et les plus utilisées. Ce sont des molécules chimiques d’origine naturelle qui ont été isolées pour la première fois en 1963 à partir d’un microorganisme du genre streptomyces. Inhibitrices de la synthèse de l’ADN elles induisent l’apoptose des cellules. Ces molécules s’intercalent au niveau des bases de l’ADN créant une déformation de la double hélice, une stabilisation du complexe topoisomerase II – ADN et la rupture du double brin d’ADN.

Parmi les anthracyclines les plus connues on distingue la doxorubicine (Adryamicin®) et l’épirubicine (Ellence®). Malgré leur grande efficacité thérapeutique, les anthracyclines présentent une toxicité cardiaque importante qui peut limiter leur usage.

La deuxième classe d’agents de chimiothérapie utilisée dans le traitement du cancer du sein est celle des agents ciblant les microtubules (MTAs, pour "Microtubule Targeting Agents"). Ils incluent les vinca-alcaloides, l’éribuline, les épothilones et les taxanes. Ces agents cytotoxiques modulent la dynamique et la structure des microtubules en se liant directement au niveau des microtubules ou des sous unités de tubuline, menant à des défauts au moment de la mitose. Ces effets entrainent la mort cellulaire.

Ces molécules peuvent être administrées en traitement néo-adjuvant avant une chirurgie de résection. Cela permet d’affaiblir la tumeur pour pouvoir l’enlever plus facilement mais aussi de tester le comportement de la tumeur en réponse à un premier groupe de drogues. Elles peuvent également être administrées en traitement adjuvant après la chirurgie de résection, le but étant ici de cibler les cellules tumorales qui auraient pu échapper à la chirurgie ou les possibles métastases déjà formées.

La plupart du temps les chimiothérapies sont administrées par voie intraveineuse de manière cyclique avec des phases de traitement suivies de phases de rétablissement. Elles peuvent occasionner de nombreux effets secondaires allant des troubles digestifs jusqu’aux

neuropathies périphériques. L’administration de combinaisons de molécules est très fréquent et souvent plus efficace dans de nombreux cas de cancer du sein.

La classe d’agents ciblant les microtubules qui nous intéresse est celle des taxanes car ils partagent, en partie, le même mécanisme d’action que notre inhibiteur. Pour cette raison, c'est cette classe que je vais détailler plus particulièrement.

3.1.1. Les taxanes

Les taxanes sont des diterpènes et existent sous la forme de 2 molécules commercialisées: le paclitaxel et le docetaxel (Figure 12). Le paclitaxel, isolé pour la première fois en 1962, est extrait, à l'origine, de l’écorce de l’if de l’ouest ou Taxus Brevifolia. Il obtient l’autorisation de commercialisation de la FDA pour la première fois en 1992 pour le traitement du cancer de l’ovaire, puis pour le traitement du cancer du sein. Il est commercialisé sous le nom de Taxol®, Paclitaxel Ebewe® ou encore Paclitaxel Mepha®. Il peut également être couplé à l’albumine et est commercialisé sous le nom d’Abraxan®.

Le docetaxel quant à lui fut isolé 10 ans plus tard. Il est extrait des aiguilles de l’if européen (Taxus baccata) et est un analogue du paclitaxel. Sa structure est voisine du paclitaxel mais son activité est doublée. Il fut prescrit dans un premier temps pour les cancers du sein métastatiques résistants aux anthracyclines, sous le nom de Taxotère®. On l’utilise également pour le cancer du poumon et de la prostate.

Figure 12: Formule chimique du paclitaxel et du docetaxel

3.1.2. Mécanisme d’action

Les taxanes ne se lient que très faiblement à la tubuline soluble cependant leur affinité pour la tubuline sous forme de microtubules est très grande. Le site de liaison du paclitaxel est situé sur la sous-unité β, à l’intérieur du microtubule (Figure 13). Il est capable de se lier à deux sous unités β adjacentes: deux liaisons hydrogènes sont établies entre le paclitaxel et une poche hydrophobe appelé « boucle M » de deux sous-unités β adjacentes34.

Figure 13: Mécanisme d’action des taxanes

A gauche, un dimère de tubuline complexé à une molécule de zampanolide (zampa). Ce nouvel agent stabilisant les microtubules se fixe sur le même site que le paclitaxel (tiré de Steinmetz MO. et al., Science, 2013). A droite, la coupe d’un microtubule montrant l’intérieur du polymère. Le paclitaxel se lie dans la lumière du microtubule entre deux sous-unités β adjacentes ce qui mène à la stabilisation du microtubule. Tiré de Jordan MA. And Wilson L., Nat. Reviews, 2004.

Contrairement aux vinca-alcaloïdes, la fixation du paclitaxel à la tubuline stimule la polymérisation du microtubule35. Le mécanisme d’action reste encore mal compris mais il semblerait que la fixation du paclitaxel entraine un changement conformationnel qui augmenterait l’affinité du microtubule pour les molécules de tubulines voisines36.

La fixation du paclitaxel entraine également une stabilisation des microtubules, diminuant ainsi leur dynamique37. Les répercussions sont principalement visibles au moment de la

mitose avec un blocage entre les étapes de métaphase et d’anaphase, conséquence des défauts de mise en place du fuseau mitotique. Ce blocage aboutit à l’apoptose des cellules37.

Toutefois, l'idée classiquement admise que l'effet des MTAs sur les tumeurs résulte d'un effet sur la prolifération des cellules tumorales, via un blocage de la mitose est actuellement remise en cause. En effet, Timothy J. Mitchison38 a, par exemple, montré que la fréquence de division des cellules dans la tumeur n’est pas particulièrement élevée comme il l’a toujours été pensé39–44. Par exemple, une cellule de cancer du sein cultivée en boite de pétri a un temps de doublement d’environ 24h alors qu’une cellule dans la tumeur primaire a un temps de doublement compris entre 40 et 300 jours. Comment se fait-il alors qu’une drogue ciblant les cellules en division exerce un effet anti-tumoral alors que les cellules se divisent aussi lentement dans la tumeur primaire ? Comment est-ce compatible avec la durée de mise en contact avec la drogue?

De nombreuses hypothèses pour tenter d'expliquer ce paradoxe ont été élaborées (Figure 14). Selon certaines l’effet du paclitaxel passerait par un effet cytotoxique non seulement sur les cellules en division mais également sur les cellules quiescentes, voire même sur les cellules du microenvironnement. Ainsi, après 40 ans d’usage intensif des taxanes en cancérologies, leur mode d’action précis reste encore mal connu.

Figure 14: Mécanismes d’action potentiels du paclitaxel sur les cellules tumorales

Les flèches vertes représentent les transitions entre les différentes phases du cycle cellulaire. La flèche rouge indique le mécanisme d’action le plus connu et le mieux caractérisé du paclitaxel, c'est à dire de cibler les cellules en division. Les flèches bleues indiquent les mécanismes alternatifs du paclitaxel qui permettraient notamment de cibler les cellules quiescentes. Modifié de Mitchison TJ., MBoC, 2011.

Bien que très efficaces dans le traitement des cancers du sein, les taxanes entrainent des effets secondaires lourds tels qu’une toxicité neuronale et une myélosupression45,46. A cela s’ajoute le fait que de nombreux phénomènes de résistance sont développés en réponse à une chimiothérapie réduisant ainsi l’efficacité des thérapies disponibles pour le traitement du cancer du sein.