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4. La famille des LIM Kinases, nouvelle cible thérapeutique dans le cancer

4.6. LIM Kinases et cancer

4.6.2. LIMKs et cancer

4.6.2.1. Surexpression des LIMKS dans les cancers invasifs

Les LIMKs sont dérégulées dans les cancers, et plus particulièrement dans les cancers invasifs et métastatiques. Bien que l’expression de LIMK2 et la phosphorylation de la cofiline diminuent progressivement en fonction du stade tumoral dans les cancers colorectaux152, les LIMKs sont surexprimées dans les tumeurs du sein et la lignée cellulaire issue de cancer du sein métastatique MDA-MB-23178, dans les tumeurs de cancer de la prostate et les lignées cellulaires issues de cancers de la prostate métastatiques, PC-3, M21 et LNCaP79, dans les tumeurs de mélanome153, celles de carcinome ovarien154 et les tumeurs du poumon81. Une étude épidémiologique sur des patientes atteintes de cancer du col de l’utérus montre également une corrélation positive entre la surexpression de LIMKs et le degré d’agressivité du cancer et une corrélation négative avec la survie des patientes154.

4.6.2.2. LIMKs, régulation de la transcription et EMT

De nombreuses publications font état de la présence d'actine, sous sa forme globulaire, dans le noyau. Un des rôles de l'actine nucléaire serait de réguler la machinerie transcriptionnelle, en réponse à des modifications du microenvironnement extracellulaire155. Or, même si la taille de l'actine reste petite (42kDa), sa diffusion passive au travers des pores nucléaires est exclue. Au contraire, parmi les acteurs de l'import de l'actine dans le noyau, la cofiline, sous sa forme non phosphorylée, a été clairement identifiée. Ainsi, en plus de leur rôle dans la dynamique des filaments d'actine cytoplasmiques, les enzymes régulant l'activité de la cofiline peuvent jouer un rôle important dans le remodelage des fonctions cellulaires156,157.

Le rôle des LIMKs dans la transcription des gènes peut aussi s'exercer par d'autres mécanismes.

En effet, des expériences ont montré que les LIMKs en modulant le ratio entre l’actine globulaire et l’actine filamenteuse, via leur action sur la cofiline, régulent la translocation nucléaire du facteur MAL (MAL pour " actin-binding SRF co-factor multimeric α-lactalbumin ") 158,159. Une fois dans le noyau, MAL peut s’associer au facteur de réponse au sérum (SRF) et induire la transcription des gènes cibles tels que les gènes codant pour les protéines smad, vinculine ou caldesmome qui sont principalement impliqués dans le processus de l’EMT160, qui, comme je l’ai décrit dans la partie 2, est une première étape du

ARN interférence ou à l’aide de petites molécules pharmacologiques réduisait l’activité de SRF159. Ce résultat est semblable à celui observé par l’équipe de B. Knöll dans les neurones161. Une autre étude visant à déterminer le rôle des kinases ROCK et LIMKs dans l’invasion induite par le TGF-β montre qu’elles sont toutes deux nécessaires à la stimulation de l’activité de SRF et la formation de fibres de stress au moment de l’EMT162(Figure 32).

Figure 32: Rôle de ROCK et des LIMKs dans la réponse induite au TGF-β au moment de l’invasion

Le TGF-β induit l’activation de ROCK ainsi que la phosphorylation de SMAD. A son tour, ROCK régule à la fois la génération de fibres de stress via la phosphorylation de MLC et l’activation de la transcription de gènes de l’EMT via SRF. L’activation de SRF est sensible aux variations du ratio entre l’actine monomérique et l’actine sous forme de filaments. Ce ratio est régulé par la voie LIMKs/cofiline. Tiré de Olson et al., European Journal of Cell Biology, 2010.

Enfin, il a été observé dans un modèle cellulaire de carcinome mammaire murin mimant l’EMT que l’expression de LIMK1 est augmentée, et celle de LIMK2 diminuée. A l’inverse, au moment de la MET (" mesenchymal to epithelial transition "), l’expression de LIMK1 revient à son état basal et celle de LIMK2 augmente de nouveau163. Ces résultats suggèrent une complémentarité entre LIMK1 et LIMK2 au moment de ce type de transition.

Enfin, un article récent publié en 2010 fait état pour la première fois du rôle de LIMK1 dans la transition mésenchymo-amiboïde (MAT pour " mesenchymal to amoeboid transition "). Cette transition permet aux cellules de passer d’un mode de migration mésenchymal vers un mode de migration amiboïde qui a l’avantage d’être plus rapide et qui ne nécessite pas de dégrader la matrice. Dans cette étude ils montrent que l’inhibition de LIMK1, ou l’expression

d’un mutant non-phosphorylable et donc inactivable, supprime l’effet d’arrondissement des cellules induit par l’activation de la voie ROCK, activation que l’on observe au moment de la MAT164.

4.6.2.3. LIMKs, dégradation de la matrice et migration

Comme décrit plus haut, on observe une forte corrélation entre l'augmentation de l'expression des LIMKs et le caractère invasif des tumeurs. Le processus d'invasion est un phénomène complexe qui requiert notamment deux mécanismes: la capacité des cellules à dégrader la matrice et à acquérir une motilité pour rejoindre la circulation sanguine et pour la quitter, lors de l'établissement des métastases. Différents articles ont montré que les LIMKs ont la capacité d’activer des systèmes de dégradation de la matrice extracellulaire tels que MT1-MMP dans le cancer de la prostate165 et le système uPA/uPAR dans le cancer du sein78. Par ailleurs, de nombreuses publications attestent du rôle des LIMKs dans la migration. La surexpression de LIMK1 dans des lignées non invasives de cancer du sein et de cancer de la prostate augmente la mobilité des cellules. Au contraire, l’inhibition de LIMK1 par ARN interférence atténue cet effet78,79. Il existe cependant des contradictions quant à l’effet de LIMKs sur la migration et dans certains types cellulaires la surexpression de LIMK1 inhibe la migration cellulaire. Les conclusions d'un article de l'équipe de J. Condeelis, publié en 2006 pourraient résoudre ces contradictions166. Ces auteurs proposent que ce soit finalement le niveau d'activité de la cofiline elle-même qui soit important pour l'effet migratoire. Ainsi, il convient de prendre en compte le niveau d'activité et d'expression de tous les acteurs de la voie cofiline, y compris la phosphatase SSH, par exemple. Selon les types cellulaires et les signaux intra et extra cellulaires, le niveau d'expression et l'activité des acteurs de cette voie peuvent varier. Plus récemment l’équipe de MF. Olson a montré in vitro sur des cellules de cancer du sein humain MDA-MB-231 que l’activité de LIMK1 est requise au moment de l’invasion et plus particulièrement pour les cellules têtes de files167. En effet, l’inhibition de LIMK1 avec des ARN interférences affecte la capacité de ces cellules à dégrader la matrice et leur capacité à former des invadosomes, les empêchant ainsi d’ouvrir le chemin. De manière surprenante, l’inhibition de LIMK1 ne perturbe pas la migration des cellules. Ainsi ils ont montré que LIMK1 était nécessaire dans l’invasion en permettant aux cellules en tête de file de remodeler la matrice et mener les cellules à l’arrière dans un mode de migration collective.

4.6.2.4. LIMKs et établissement des métastases

Enfin, une des dernières étapes du processus invasif repose dans la capacité des cellules cancéreuses à développer des colonies à un site distant de la tumeur primaire. Récemment, l’équipe de Weinberg a montré in vitro sur sphéroïdes et in vivo sur xénogreffes, l’implication des LIMKs dans les voies d’activation qui permettent aux métastases de s’établir et de croitre en tant que tumeurs secondaires. L’action combinée des voies de signalisation Rif/mDia2 et ILK/β-parvine/LIMK/cofiline permet la mise en place et le maintien respectivement de protrusions de type filopodes (FLPs pour " filopodia like protrusions "). Ces structures sont composées principalement d’intégrines-β1 et permettent l’interaction avec le microenvironnement. Cette équipe a montré que la capacité des cellules à former ces structures était corrélée à leur capacité à faire des métastases168. Des modèles cellulaires exprimant un mutant non phosphorylable de la cofiline ont été développés pour explorer plus précisément le rôle de la LIMK dans la formation des FLPs et dans le développement des métastases. L’expression de ce mutant diminue la formation des FLPs. Dans des modèles murins, l'injection dans la circulation sanguine des cellules exprimant ce mutant n’empêche pas la formation de métastases, mais celles-ci ne prolifèrent pas et restent sous forme de micro-métastases, contrairement aux contrôles qui forment des macro-métastases. Ainsi, l’inhibition de la phosphorylation de la cofiline par mutation ou à l’aide d’un inhibiteur pharmacologique pourrait prévenir la croissance des métastases.

Ainsi, l'implication des LIMKs dans le processus cancéreux via la régulation de la voie cofiline peut s'exercer à plusieurs niveaux. En revanche, les conséquences d'une dérégulation des microtubules par les LIMKs sur le cycle cellulaire, la croissance tumorale et la migration des cellules, résultant n'ont été que très peu étudiées, à ce jour.