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SECTION 1. APPROCHE EMPIRIQUE DE L’ECONOMIE INFORMELLE EN AFRIQUE

1.3.2. Structure et gestion de la production

La structure de la majorité des entreprises informelles repose en grande partie, sur les liens familiaux et une faible division du travail. Les employés sont souvent frères, cousins entre eux, fils ou neveux du chef d’entreprise. Le statut de l’employé respecte plus ou moins la règle du droit d’aînesse qui prévaut au sein de la communauté. Ainsi, la personne la plus âgée est souvent celle ayant le statut le plus élevé dans l’entreprise. Une telle structure traditionnelle affecte les prises de décisions prononcées dans le sens de la verticalité ; une seule personne qui prend les décisions finales.

62 N. Benjamin et A. Mbaye (2012) soulignent qu’en règle générale, une seule personne contrôle les fonctions principales (ressources humaines, comptabilité, finance, marketing,…), comparativement aux entreprises formelles au sein desquelles des départements distincts existent chacune en fonction de ses activités. Xavier Galiègue (2006) note que la convergence de toutes les décisions à la tête de l’entreprise donne de l’entreprise l’image d’une famille élargie avec à sa tête, un dirigeant agissant en bon père de famille envers des subordonnés sans grandes responsabilités.

La micro entreprise africaine est conçue avec l’appui des proches parents de l’initiateur en vue d’assurer la survie de l’ensemble de la famille ; elle ne s’appuie généralement pas sur des prêts bancaires. Le capital financier provient soit d’économies personnelles, de tontines ou de parents ou proches amis. Les problèmes d’ordre technique et financier sont la plupart du temps réglés sans emprunt bancaire, avec l’aide d’amis ou de tontines du quartier. En fait, les banques sont inaccessibles aux entreprises informelles ; les garanties exigées étant trop contraignantes aux yeux du micro-entrepreneur qui s’en détourne de peur de tout perdre, ou bien les taxes et frais sur l’emprunt sont trop importants.

Ainsi, les acteurs des entreprises informelles effectuent peu de formalités en dehors de leur entreprise et de leurs réseaux. Et ceci s’explique entre autre, par la méfiance à l’égard de tout paramètre extérieur non maîtrisable à leurs yeux. La confiance est davantage placée dans le réseau de famille élargie, et dans les traditions culturelles (Marchand Geneviève, 2005).

L’entreprise informelle ne tient pas compte des règles et des normes institutionnelles. L’entrepreneur est conscient que ces normes existent, mais le fonctionnement même de son entreprise ne se prête pas au respect de celles-ci. De surcroit, le chef d’entreprise peut recruter de nouveaux apprentis ou de nouveaux salariés ; il les fera travailler quelques heures de plus ou de moins en fonction de la demande du moment. S’il n’y pas de demande, il n’y a pas de travail et par conséquent pas de revenus distribués (Marc Penouil, 1985).

Silm Ayari (2008) souligne l’existence d’un lien étroit entre le chef d’entreprise et son entreprise. Ainsi, la personnalité et le comportement du chef d’entreprise imprègnent les systèmes et les pratiques de gestion. Son influence se fera fortement sentir sur l’organisation et la gestion de l’entreprise. Ses aspirations, ses préjugés et son comportement déterminent le

63 style, les structures et les procédés de gestion ainsi que les relations interpersonnelles au sein de l’entreprise informelle. De ce fait, le patrimoine et les ressources des propriétaires ne sont pas clairement distincts de ceux de l’entreprise (N. Benjamin et A. Mbaye (2012). De même, l’entreprise informelle africaine entretient des relations très étroites avec la famille, la communauté et d’autres cercles sociaux et commerciaux évoluant dans l’entourage du chef de l’entreprise. Les caractéristiques et les valeurs culturelles de la famille et de la communauté gravitant influencent fortement les pratiques et les systèmes de gestion des entreprises informelles. Ainsi, dans les communautés africaines, la culture et les traditions rejaillissent fortement sur la culture et les valeurs de l’entreprise informelle. Cette emprise de la famille et de la communauté n’est pas sans conséquences sur l’unité de production. Ainsi, Khan et Ackers (2004) notent que les marabouts peuvent exercer des pressions sur le chef d’entreprise pour que le personnel en surplus ne soit pas licencié.

De même, la particularité des rapports sociaux peut constituer un frein au changement technique, un tel changement nécessite la mise à l’écart des apprentis et aides familiaux au profit de salariés plus qualifiés ; or ce choix s’avère très difficile pour l’entreprise informelle (Lautier, 1994). En outre, les gestes de solidarité vus comme une obligation pour des évènements sans rapport avec l’entreprise : mariage ou de funérailles ne sont pas de nature à dynamiser l’entreprise. Sylla Karima (2013) note qu’au Bénin, le contrôle familial est associé à de mauvaises performances des entreprises informelles et que très souvent l’embauche dans ces entreprises se fonde sur les recommandations de parents et amis ou les membres de la famille.

Pour Coquery-Vidrovitch (1991), l’esprit d’épargne semble peu développé en Afrique, l’individu est fortement intégré au groupe et souhaite donc améliorer sa position sociale par des dépenses sociales pourtant contraignantes. Dans l’entreprise informelle, l’accumulation de profits va donc servir au départ à engager quelques autres membres de la famille. Elle contribuera ensuite à l’amélioration de l’habitat ou de la qualité de vie de la famille, mais pas à l’extension de la taille de l’entreprise (Lautier, 1994).

Bien que les rapports sociaux soient préservés à l’intérieur de l’économie informelle pour des raisons économiques, la logique de reproduction du groupe social est prioritaire par rapport au développement de l’entreprise ou de la maximisation des bénéfices. Ainsi, M. Niang (1988) remarque que les traditions et valeurs communautaires engendrent une dynamique

64 organisationnelle particulière dont la finalité est la soumission de l’entreprise aux impératifs de la communauté en tant que groupe social et système de parenté réglé par des normes et des valeurs qui se traduisent par des pratiques particulières repérables au niveau de tous les domaines concernant la vie de la communauté. L’entreprise informelle est en grande partie la pourvoyeuse de la famille ; ce qui fait que la plupart des profits lorsqu’il y en a, sont destinés à la famille d’une façon ou d’une autre et sont rarement réinvestis dans le développement de l’entreprise (Brilleau et al, 2005). Pour sa part, Marchand Geneviève, (2005) confirme qu’au Sénégal les entreprises informelles sont habituellement dirigées par des chefs d’entreprises qui n’investissent pas pour agrandir ou développer leurs activités. Les investissements sont faits dans la famille par solidarité. Le même auteur constate qu’il est possible de voir qu’en fait, presque tous les profits engendrés par l’entreprise sont destinés à la famille. Une faible partie des dividendes est reversée sous forme de salaires au personnel extérieur à la famille.

Marchand Geneviève (2005) souligne que les rapports entre l’entreprise informelle africaine et la famille du Chef d’entreprise sont basés sur des valeurs de solidarité, d’entraide familiale, des devoirs et des obligations, de respect de l’ordre établi, et de croyance en Dieu et en la magie. Le marabout, détient des pouvoirs magiques, écrit des paroles sur un grigri pour la réussite de l’activité. Présent dans toutes les sphères de la vie, il est donc à la fois un conseiller dans le domaine social et économique et en même temps, un guide spirituel. Quand il faut lancer un petit commerce, le marabout est là qui donnera un grigri à accrocher dans la boutique pour porter chance. C’est le marabout encore qui indiquera le moment le plus propice pour faire de grands bénéfices. Le sujet de magie est tabou, le seul fait d’en parler peut réduire les effets magiques des grigris.

Bacchetta et al. (2009) notent que le capital social (les réseaux sociaux) joue un rôle fondamental pour les performances des entreprises informelles africaines, en raison de l’imperfection des marchés. Ainsi, le capital social peut faciliter la fidélisation d’une clientèle, grâce à la bonne réputation et la confiance. Laure Pasquier-Doumer (2010) souligne elle, qu’une grande partie des réseaux sociaux mobilisés pour améliorer l’activité de l’entreprise informelle tient à la famille. Fafchamps et Minten (2002) notent que les réseaux sociaux améliorent la circulation de l’information sur les opportunités technologiques et celles qu’offre le marché. Par exemple, l’information sur les listes noires d’agents non fiables (Fafchamps et Minten, 2002). De même avec ses réseaux sociaux, l’entrepreneur peut bénéficier d’une expérience passée dans une entreprise informelle avant de créer la sienne.

65 Cette expérience peut lui apporter de bonnes connaissances de la technologie de production, des opportunités sur le marché, de la clientèle et des fournisseurs.

La production et les choix technologiques sont influencés par la rareté du capital et le degré de maîtrise de la technologie. L’entreprise au capital faible utilise des procédés de fabrication simples, peu mécanisés compensés par une main d’œuvre importante. La production en série est donc très rare. Il n’y a pas de standardisation systématique des articles; pas non plus de répartition des tâches (Sylla Karima, 2013 ; Marchand Geneviève, 2005). Dans une enquête à Djibouti, Philippe Adair et Ismail Mahamoud (2006) confirment que les moyens de production étant souvent réduits au strict minimum, le procédé de travail repose sur une division technique très rudimentaire. Il n’existe pas de séparation des tâches techniques et administratives. Il arrive souvent par exemple que dans le même garage, le patron fasse office de mécanicien, de comptable et de commercial. Ces petits patrons ont recours parfois aux aides familiaux pour effectuer certaines tâches périphériques, notamment dans les activités commerciales où des qualifications particulières ne sont pas généralement requises. Ils s’occupent par exemple de l’approvisionnement et de la livraison des produits aux clients ; de la vente lorsque le patron s’absente.

Les petits producteurs associent souvent à leur activité des éléments extra économiques et des relations paternalistes liées aux formes d’organisation et de solidarité traditionnelle des nomades (P. Adair et I. Mahamoud, 2006). De même, la division du travail des entreprises informelles est en général assez simple. L’entreprise étant relativement petite, avec un nombre d’employés limité, il n’y a dans tous les cas qu’une seule unité de travail et aucune diversification du produit. Du point de vue technique, les entreprises informelles sont en général des entreprises à faible valeur ajoutée. Le manque de moyens laisse peu de chances à l’entreprise d’améliorer de façon significative la production et d’accroître sa valeur ajoutée (Ivan Samson, 2012 ; et Marchand Geneviève, 2005).

Marc Penouil (1985) note en effet que l’utilisation d’un équipement moderne suppose la disponibilité de moyens financiers, or généralement cela est loin d’être le cas; elle suppose également une production importante et régulière, ce n’est pas non plus le cas. La production informelle est basée sur le facteur travail. C’est le volume et la qualité du travail qui influencent pour l’essentiel le volume et la qualité du produit.

66 Silm Ayari (2008) note que l’entreprise informelle s’appuie en général sur les connaissances techniques du chef d’entreprise, d’employés clés, d’où une capacité limitée à innover et moderniser les procédés de production et la qualité des produits. Face à la concurrence et guidées par le désir de demeurer compétitives, les entreprises informelles cherchent à baisser le coût du travail plutôt qu’à améliorer les techniques de production. Amadou Diagne (1984) remarque que les structures et les objectifs de l’entreprise informelle africaine existent mais, contrairement à l’entreprise formelle, ils ne sont pas simplement perçus de tous. De plus, il n’existe pas au sein de l’entreprise informelle des règles écrites ou codifiées, réglementant le fonctionnement de l’entreprise. Pas d’organigramme, de documents décrivant la structure, les tâches des employés, les règles et les normes codifiées servant à l’identification et à la résolution des problèmes. Les problèmes sont réglés par la discussion, par les moyens transmis de bouche à l’oreille ou par expérience tout simplement.

Plusieurs auteurs soulignent le fait que les populations africaines sont encore fortement fondées sur une culture orale. L’aspect oral de la culture apparaît non seulement dans les entreprises informelles, mais un peu partout. Ce n’est pas une habitude répandue que de tout écrire ou codifier. Olivier Torres (2000) note que le système d’information interne de l’entreprise informelle est généralement simple et faiblement structuré. L’entrepreneur préfère les médias les plus informels fondés sur la communication orale. Les entreprises informelles fonctionnent par dialogue ou par contact direct à l’inverse des entreprises formelles. Les systèmes d’informations sont simples parce qu’ils sont fondés sur une forte proximité physique entre le dirigeant et les principaux acteurs de l’univers de l’entreprise. La circulation de l’information repose sur un ensemble de relations interpersonnelles informelles et non structurées, privilégiant la communication orale de préférence à la communication écrite. W. H. Newman (1986) constate que, la gestion du temps pose toujours problème au sein de l’entreprise informelle africaine. Selon lui, le dirigeant comme le personnel doivent constamment faire preuve d’une disponibilité extrême vis-à-vis des membres de leurs communautés et des événements imprévus de la vie privée : mariages, funérailles, interfèrent dans la gestion de l’entreprise.

Olivier Torres (2000) et Silm Ayari (2008) soulignent que le patron de l’entreprise informelle se caractérise par une forte polyvalence. Il prospecte de nouveaux clients, répond aux sollicitations de tout nouveau fournisseur, répare une machine en panne… De même, au plan décisionnel, ces auteurs soulignent l’existence d’une forte imbrication entre les décisions

67 stratégiques, administratives et opérationnelles. Le chef d’entreprise est à la fois compositeur, chef d’orchestre et parfois, exécutant. Un grand nombre de tâches sont exécutées par le patron qui non seulement dirige, mais encore joue le rôle de chef de service, voire exécute des tâches. La petite taille de l’entreprise va de pair avec la limitation des ressources, ce qui oblige cette dernière à fonctionner sur le court terme et au jour le jour, freinant ou décourageant par là-même toute stratégie de développement.