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CONCLUSION CHAPITRE 1

SECTION 1. THEORIES POSITIVES DE L’ECONOMIE INFORMELLE

1.4.7. Modèle de la mobilité professionnelle de Lopez (1989)

Les deux modèles de la mobilité intersectorielle de Lopez (Lopez Castano, 1989 ; Lopez Castano in Roubaud, 1994) étudient la mobilité professionnelle entre l’économie structurée et l’économie dite informelle. Si dans les sociétés occidentales, la trajectoire professionnelle est relativement stable par la salarisation, il n’en est pas de même dans les Pays en Développement (P.E.D.) où il y a plutôt une grande fluidité de la main d’œuvre. Lopez établit que la forte rotation de la main d’œuvre d’une économie à une autre, passe par une trajectoire que l’on peut décrire comme un « cycle triphasé » entre le formel et l’informel. En effet, l’ouvrier s’installe d’abord dans l’informel « inférieur » comme apprenti, aide familial ou jeune salarié. Il se déplace ensuite vers l’économie formelle, quand l’occasion lui est offerte, en tant que salarié où il passera 10 à 15 ans pour acquérir une qualification et se constituer une épargne suffisante. Puis, il s’installera à nouveau, plus tard, par choix dans l’informel « supérieur » à son propre compte comme indépendant ou petit patron. A ce cycle triphasé correspondent les tranches d’âges suivantes.

167 Age : 15-25 ans 25-40 ans 40 et+

Durée : 1 à 5 ans 10 à 15 ans reste de la vie professionnelle Source : Youghourta Bellache, 2011

Ainsi, l’économie formelle profite de la qualification de la main d’œuvre de l’économie informelle. Les travailleurs s’engagent très jeunes dans cette économie et finissent avec le temps par se former et acquérir un métier. Sans le vouloir donc, l’informel réduit les coûts de formation et améliore ainsi la rentabilité de l’économie formelle. En outre, l’économie dite informelle (notamment son segment supérieur) joue un rôle de « substitut aux systèmes d’assurance sociale » dans la mesure où elle permet à certains salariés de l’économie formelle de disposer d’un complément de revenus qui constitue ou accroît leurs pensions de retraite (Phlippe Adair, Yougourtha Bellache et Hassiba Gherbi, 2012). Les activités informelles renforcent en effet le pouvoir d’achat des travailleurs et épargnent à ceux-ci de la précarité des pensions de retraite. Par ailleurs, à l’intérieur même de l’économie dite informelle, la mobilité de la main d’œuvre est directe, puisque des salariés ou aides familiaux après accumulation de moyens peuvent accéder au statut de chef d’entreprise, sans passer par l’économie formelle.

Selon Lopez, le transfert de valeur de l’économie formelle vers l’économie dite informelle se fait à deux niveaux : transfert de capital matériel constitué par l’épargne accumulée par les salariés en vue de leur installation future dans l’économie dite informelle et transfert de capital humain par la formation technique acquise dans l’économie formelle et qui sera mise à profit dans l’économie dite informelle. Le modèle triphasé de Lopez souffre toutefois de grosses lacunes. En Afrique et en Amérique latine par exemple, les études et enquêtes montrent que 60% à 70% des indépendants informels déclarent s’être formés sur le tas contre 4% à 6% formés dans une grande entreprise formelle (B. Zakour, 1998). D’autres études ont permis de remettre en cause la thèse de la trajectoire triphasée. Ainsi, Roubaud (1994), dans son étude sur l’économie dite informelle au Mexique, révèle que la majorité des retraités de

168 l’économie formelle restent sans activités, ils ne sont pas forcément transférés vers le segment supérieur de l’économie dite informelle et parmi les personnes de plus de 60-65 ans, seule une infime minorité reste en activité. En outre, cette thèse ne s’applique pas aux femmes qui ont une trajectoire différente. Celles-ci arrêtent très souvent leurs activités après le mariage pour mieux se consacrer à l’éducation de leurs enfants. Elles les reprennent une fois que les enfants ont grandi (Phlippe Adair, Yougourtha Bellache et Hassiba Gherbi, 2012). D’autre part, s’il est vrai que les salariés de l’économie formelle peuvent constituer une épargne nécessaire en vue de leur installation future dans l’informel, la qualification technique nécessaire n’est pas évidente. En effet, la division du travail dans les entreprises modernes a tendance à confiner le travailleur à l’exécution de tâches spécialisées, parcellaires. Ceci ne prépare pas ou prépare mal l’ouvrier à organiser et diriger plus tard sa propre micro-entreprise informelle.

A l’opposé, l’économie dite informelle reste une « économie plus formatrice » que l’économie formelle. Elle prépare mieux le salarié qui le désire à s’établir à son propre compte. De plus, les aides familiaux ont un taux de stabilisation dans l’informel plus élevé que celui des salariés. Leur probabilité de devenir patron d’une micro-entreprise est plus élevée que celles des apprentis ou salariés « mobiles ». En effet, à côté de l’expérience acquise au sein de l’unité familiale, ils ont la possibilité d’hériter en partie ou en totalité de la micro-entreprise d’un proche, ou de bénéficier de l’ouverture par un parent d’une unité équivalente. Ils n’ont pas forcément besoin de se constituer une épargne préalable. Ainsi, le rôle réel joué par l’économie formelle dans la qualification de la main d’œuvre pour l’informel est surévalué. La trajectoire professionnelle triphasée proposée par Lopez se trouve ainsi infirmée.

Admettons qu’un modèle théorique ne vaut que si ses hypothèses collent le plus possible à la réalité et si les conclusions auxquelles il a abouti se confirment par les observations empiriques. Tous ces modèles de l’emploi mettent en avant l’interaction professionnelle entre l’économie dite informelle et l’économie formelle, l’ajustement entre les deux se faisant par les salaires. Mais à côté du travail informel, il existe un chômage urbain. Reste tout de même que ces modèles contribuent - un tant soit peu- à une meilleure compréhension de la dynamique sociale au sein de l’économie dite informelle et de l’articulation de celle-ci avec l’économie formelle. Certaines conclusions doivent être néanmoins vérifiées empiriquement. L’étude empirique que l’on entreprendra sur le cas malien permettra de voir, à la lumière de ces modèles, les hypothèses observables ou vérifiables.

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1.5.C

ONCLUSION

.L

ES THEORIES POSITIVES DE L

ECONOMIE INFORMELLE

Au cours des trois dernières décennies, une grande polémique s’est installée sur les causes de l’économie dite informelle et son caractère volontaire ou subi. Ainsi plusieurs chercheurs ont analysé les différentes approches et théories traitant de la question. On citera à titre d’exemples : Fies et al. 2008 ; Gong et al. 2004 ; Bosch et Maloney, 2010 ; Nordman et al. 2011 ; Bargain et Kwenda, 2011. Razafindrakolo et al. 2012. Leurs recherches ont buté sur l’absence d’une théorie claire sur les causes de l’apparition et de la persistance de l’économie dite informelle ; ce qui les a amenés à présenter leurs propres analyses sans réussir eux aussi à faire l’unanimité. On a pour l’essentiel imputé l’émergence de l’économie dite informelle à la migration des travailleurs ruraux vers les centres urbains, une migration due aux conditions du marché du travail plus favorables, qui attireraient les demandeurs d’emplois vers les villes (par exemple Harris et Todaro, 1970).

Au fil du temps, les auteurs s’intéressant à l’explication des déterminants de l’économie dite informelle ont élargi leur terrain d’analyse en introduisant d’autres variables qu’expliquent l’expansion de l’économie dite informelle. Quant à l’approche de l’économie populaire, elle reconnaît le rôle joué par les associatives sociales et la famille dans le développement de l’économie informelle. D’autres ont essayé d’articuler le niveau macro avec le niveau micro, comme dans l’approche unificatrice, ou d’analyser l’utilité et le degré de satisfaction que les travailleurs obtenaient de leur emploi pour comprendre les déterminants de l’économie dite informelle. Une approche essentielle qui est à la base de notre recherche est l’approche institutionnaliste (D. North, 1990 ; F. Hayek, 1976 ; Williamson, 1987, 2000 ; Platteau, 1999; Thomas, 1973 ; He Yong, 1994) qui explique l’expansion de l’économie dite informelle par le non-prise en compte des spécificités institutionnelles (constitution, lois et règlements, systèmes de valeurs et croyances, normes sociales…) de chaque pays au cours de l’élaboration des politiques de développement.

L’analyse des approches positives du phénomène de l’économie dite informelle montre toutes les difficultés à comprendre ses causes. D’où la nécessité d’élaborer une théorie générale qui tienne compte, d’une part du contexte et des particularités locales et d’autre part, de la possibilité de dynamisation des micro- entreprises informelles et donc du rôle qu’elles

170 peuvent jouer dans le processus de développement économique des pays en développement. Dans cette partie de notre recherche, nous essayons d’aborder les approches sur l’économie dite informelle, en fonction du niveau d’analyse et des étapes de son expansion pour comprendre ses mécanismes de fonctionnement. Toutes ces approches reflètent à l’origine la même réalité économique sans pouvoir trop anticiper les changements auxquels nous assistons aujourd’hui. Certaines approches, en particulier celles néoclassiques, sont accusées d’avoir donné une explication trop théorique sans beaucoup de vérification empirique bien que certains énoncés décrivent le contexte économique avec plus ou moins d’exactitude. Dans les conditions actuelles, l’économie dite informelle est partie intégrante du processus de développement et la dynamisation des activités informelles peuvent être la clé du succès de la croissance économique pour les pays en développement. Il est en tout cas dans l’intérêt des pouvoirs publics de se pencher davantage sur cette question afin de voir comment éviter leurs effets négatifs qui handicapent le processus de développement dans les pays en développement. Notre objectif est de mettre en évidence la possibilité de dynamisation d’une partie de l’économie dite informelle et de montrer qu’elle peut contribuer au processus de développement des pays en développement, en observant néanmoins certaines règles et conditions qu’il faudra préciser.

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SECTION 2. THEORIES NORMATIVES DE L’ECONOMIE