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Rationalité et cadre administratif de l’entreprise informelle

SECTION 1. APPROCHE EMPIRIQUE DE L’ECONOMIE INFORMELLE EN AFRIQUE

1.2.1. Rationalité et cadre administratif de l’entreprise informelle

1.2.L

A REALITE DE L

ENTREPRISE INFORMELLE EN

A

FRIQUE

1.2.1. Rationalité et cadre administratif de l’entreprise informelle

L’entreprise informelle évolue dans une logique beaucoup plus sociale qu’économique. Il s’agit avant tout d’assurer la vie, voire simplement la survie d’un individu ou d’un petit groupe familial (HCCI, 2008). De ce fait, la rationalité de production de l’entreprise informelle n’est pas celle du marché ; elle ne cherche pas et n’est pas capable de juger de l’opportunité d’un investissement dans un objectif de maximisation des profits (Ben Zakour,

34 1998). Ainsi, le comportement de l’entreprise informelle peut paraître comme la manifestation d’une rationalité autre que celle qui gouverne les entreprises modernes. Pour Amadou Diagne Thioye (1984), cette rationalité est générée par les contraintes socio-économiques et les valeurs de solidarité sociale qui exercent une influence dominante sur le comportement de l’entrepreneur. De ce point de vue, la solidarité communautaire soumet l’entrepreneur à une pression constante limitant ainsi les possibilités de réinvestissement des profits. Elle peut l’obliger à prendre des décisions non rationnelles vis-à-vis des règles de fonctionnement traditionnelles de l’entreprise (M. Fafchamps, 2004, cité par Xavier Galiègue, 2006). Ainsi, Ivan Samson (2012) remarque que les relations économiques au sein de l’entreprise informelle sont encastrées dans des structures sociales surtout le primat de la famille sur les individus et de l’ordre social sur l’ordre économique.

Marc Penouil (1985) note que « l'entrepreneur informel ne connaît qu’approximativement les prix de vente de ses concurrents. Il connaît très mal ses propres coûts de production. Les choix économiques deviennent donc difficiles en l’absence d'informations sur les composantes du coût total et de données sur les réactions des clients aux variations des prix. L’entrepreneur est dans l'incapacité de juger de l'opportunité d'un emploi supplémentaire ou d'un investissement additionnel ». Ainsi, la prévision et la conquête d'une part de marché ne sont pas des composantes principales de la stratégie de la firme.

Dans la littérature, la plupart des chercheurs soulignent plutôt le caractère illégal des entreprises informelles, qui habituellement, ne sont pas enregistrées, et donc ne payent ni taxes ni impôts. Inversement les études sur les micro-entreprises et l’économie informelle dans les PED montrent, fait à priori paradoxal, qu’une part significative de ces entreprises est soumise à au moins un impôt (Morisson et al. 1994 ; Lautier, 1994, 2004 ; Oudin, 1991 ; Samson, 2012).De ce fait, Marchand Geneviève (2005) ; et Nancy Benjamin et Ahmadou Aly Mbaye (2012), indiquent que la plupart des entreprises informelles africaines enregistrées en général paient plus ou moins des taxes et des impôts auprès des municipalités, mais rarement auprès des autorités fiscales. Leurs accès aux services publics et l’utilisation de TIC sont limitées. De leur côté, F. Kria et Ben Zakour (1992) soulignent qu’en Tunisie, l’écrasante majorité des entreprises informelles s’acquittent de l’impôt, même si les paiements sont en dessous des niveaux d’imposition exigés normalement.

35 Une autre particularité des entreprises informelles, c’est qu’elles ne tiennent pas de comptabilité et lorsqu’elles en tiennent une, elle s’appuie sur des instruments rudimentaires comme les cahiers de recettes et de dépenses. En fait, elles n’ont de comptabilité que le nom et ne rendent pas compte de la réalité financière de l’entreprise. Cette absence de comptabilité s’explique par la complexité du système comptable qui n’est pas adapté aux particularités de l’entreprise informelle et par le faible niveau de formation de la plupart des micro-entrepreneurs (Bertrabd Sogbossi et Dwight Merunka, 2009 ; Nancy Benjamin et Ahmadou Aly Mbaye, 2012). Ainsi, Ivan Samson souligne que 80% des micro-entreprises en Afrique Subsaharienne n’ont pas ni comptabilité, ni savoir-faire managérial.

Les entreprises informelles n’ont donc pas de gestion comptable, ne savent pas calculer méthodiquement les coûts, les prix de revient de leurs produits et les charges d’amortissement. Tout au plus et dans les meilleurs des cas, elles tiennent un cahier recettes-dépenses qui leur permet de dégager le revenu global - parfois approximatif - de l’activité (B. Zakour, 1998). Par ailleurs, l’entrepreneur s’intéresse plus aux flux de trésorerie générés par son entreprise qu’aux résultats tels que rapportés dans un bilan ou un compte de résultats. Autrement dit, le meilleur indicateur pour lui de la santé financière de son entreprise est le contenu de sa caisse ou de sa poche (Wamba, 2003).

Quant à la clientèle, elle est constituée essentiellement des ménages et des micro-entreprises. Les micro-entreprises sont exclues des marchés publics en raison du fait que les structures publiques en charge de ces marchés exigent souvent la preuve de leur régularité vis-à-vis du fisc, des documents difficiles à fournir par l’entreprise informelle (Nancy Benjamin et Ahmadou Aly Mbaye, 2012).

Par ailleurs, les entreprises informelles assurent la production de biens et de services locaux à moindre coût, mis sur le marché à un prix relativement bas qui correspond bien à la demande d’une large partie de la population dont le pouvoir d’achat reste très bas. Hernandez (1999) montre que certaines entreprises informelles préfèrent ne pas dépasser un certain seuil de développement et choisissent de garder leur petite taille et de maintenir le style de gestion habituel. De même, certains économistes comme Mac Cornickd (1988) avancent l’idée selon laquelle, les entreprises informelles devraient conserver leur petite dimension car c’est là pour elles une garantie d’adaptabilité et de souplesse dans un environnement économique où la demande change constamment. L'absence de comptabilité, la méconnaissance des règles

36 minimales de gestion et le non-prélèvement d'une partie des revenus pour l'amortissement sont des indicateurs significatifs de la non-rationalité de l’entreprise informelle au sens du marché. Tous ces critères nous amènent à conclure qu'il s'agit d'une rationalité de survie, d'emploi et de revenus minimums.

Par ailleurs, M. Penouil et J. P. Lachaud (1985) développent l'idée selon laquelle la relation sociale est toute aussi importante que la gestion et l'organisation économique. Les entreprises informelles échappent par ailleurs aux charges fiscales et sociales ce qui provoque une perte importante de recettes fiscales et une concurrence déloyale à l’égard des entreprises formelles. Ceci a pour effet de freiner l’investissement de l’économie formelle et de détruire la qualité des services publics.