• Aucun résultat trouvé

Avant-propos

Chapitre 4 - Modulation nicotinique de la VTA : stress et prise de décision

4.1 Stress social et modulation nicotinique .1 Effets du stress

Lorsque l’organisme est soumis à un stress on observe une activation de l’axe liant l’hypothalamus, l’hypophyse et les glandes surrénales (Hypothalamic-Pituitary-Adrenal axis,

HPA, Figure 4.1). Cette activation va induire tout un ensemble de réactions moléculaires,

cellulaires, neurophysiologiques et comportementales avec pour but d’assurer l’homéostasie physiologique et la survie de l’individu. De nombreuses structures cérébrales vont être modulées par les substrats neurochimiques du stress : les cortex orbito-frontal, préfrontal et cingulaire, l’insula, l’amygdale et l’hippocampe vont être impliqués dans l’évaluation d’une situation de stress tandis que les centre DAergiques, le locus coeruleus, le thalamus,

64

l’hypothalamus et le striatum vont, de concert, permettre l’émergence d’une réponse émotionnelle et comportementale à la situation de stress206,207.

Figure 4.1 – Schéma de l’axe HPA et des fonctions physiologiques associées : l’activation de

cet axe se traduit par une augmentation du glucocorticoïdes (GC) dans le sang qui vont à leur tour réguler de nombreuses fonctions métaboliques et neurophysiologiques. Les GC vont, à leur tour, exercer un rétrocontrôle négatif sur l’axe HPA. CRH = corticotropin releasing hormone, AVP = vasopressine, POMC = pro-opio-mélanocortine, ACTH = hormone corticotrope

Brièvement, l’excitation des neurones parvocellulaires du noyau para-ventriculaire de l’hypothalamus (PVN), sous le contrôle du noyau suprachiasmatique, provoque la sécrétion de CRH (corticotropin releasing hormone) et de vasopressine (AVP) dans le système sanguin porte-hypophysaire. Cette activité est fortement régulée par les rythmes circadiens, et la sécrétion des deux peptides évoqués précédemment est très fortement augmentée en début de phase active (soit le jour chez l’homme et la nuit chez les rongeurs)208. CRH et AVP vont favoriser la libération de pro-opiomélanocortine (POMC) dans l’hypophyse qui va être clivée pour donner la corticotropine (ACTH). Cette ACTH, un fois libérée dans le sang va entraîner

65

la synthèse de glucocorticoïdes (GC) au niveau des glandes surrénales (voir Figure 4.1)209. On observe chez le rongeur, un pic de GC sanguins entre 15 et 30 minutes après contention, le retour à la normal est observé 1 à 2 heures après la situation de stress210. Synthétisés au niveau des glandes surrénales à partir du cholestérol sanguin, les GC sont des hormones stéroïdiennes. Libérés dans le sang après un évènement stressant, ils vont induire un ensemble de réactions anti-inflammatoires, métaboliques (néoglucogenèse hépatique et lipolyse), et cardiovasculaires (augmentation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle)211. De plus, ils vont agir au niveau central en se liant aux récepteurs des GC. Il en existe deux types et tous font partie de la superfamille des récepteurs nucléaires :

- Les récepteurs aux minéralocorticoïdes (MR) sont les plus affins pour les GC. Ils sont plutôt impliqués dans le maintien de l’homéostasie et dans la régulation des niveaux toniques de GC

- Les récepteurs aux glucocorticoïdes (GR) sont eux sollicités par des concentrations plus élevées en GC et sont donc mis en jeu dans la réponse au stress212.

L’activation aiguë de ces récepteurs va favoriser la libération d’insuline au niveau du pancréas, potentialiser la transmission glutamatergique (notamment au niveau de l’hippocampe) ceci se traduisant par une augmentation globale de l’activité locomotrice213,214. Les GC vont en outre pouvoir agir comme facteurs de transcription et ainsi moduler l’expression de nombreux gènes. C’est le cas aussi des GR qui peuvent interagir soit directement au niveau des gènes soit en modulant positivement ou négativement d’autres facteurs de transcription.

4.1.2 Impact d’un stress sur le système DAergique

L’injection de GC dans le sang provoque chez la souris une augmentation de la libération de DA dans le NAc. Cette augmentation est aussi observée de manière transitoire dans les structures cibles de la VTA après exposition à un stress, par exemple une agression (Figure 4.2F). Cette augmentation de la DA semble être corrélée à une augmentation de l’activité des neurones DAergiques de la VTA, comme observée suite à un protocole de défaite sociale chronique (CSD, Figure 4.2B). On note que l’augmentation de la libération de DA dans le NAc est plus importante dans la partie du shell que dans le core du noyau accumbens201,215–220. Les différents types de stress ne vont pas avoir les mêmes effets sur les neurones DAergiques de la VTA. Les conséquences en termes de libération de DA vont aussi varier. Il semblerait qu’un

66

stress nécessitant une réponse comportementale immédiate, comme par exemple un stress social par agression, soit associé à une augmentation de l’activité des neurones DAergiques et donc à une augmentation de la libération de DA dans le NAc (Figure 4.2F). En revanche, une contention par exemple, situation dans laquelle l’animal est impuissant, semble être associée à une diminution de la DA extracellulaire. Tout pousse donc à croire que le message DAergique consécutif à une situation stressante est impliqué dans l’aspect motivationnel qu’implique des comportements d’évitement et/ou de fuite. Un affaiblissement de ce message serait plutôt alors associé à la notion de « résignation » et d’impuissance, comme c’est le cas pour la contention221–223.

67

Figure 4.2 – Effets du stress social sur le système DAergique : (A) le stress induit une

augmentation des ratios AMPAR/NMDAR des neurones DA de la VTA témoignant de

phénomènes de plasticité synaptique126. (B) On observe ex vivo une augmentation de la

fréquence de décharge des neurones DA de la VTA après stress chronique chez les souris

susceptibles mais pas chez les souris résilientes201. (C) Protocole de CSD couplé à des

enregistrements électrophysiologiques in vivo des neurones DA de la VTA. (D) Résultats comportementaux du CSD : contrairement aux souris contrôles et résilientes, les souris

susceptibles évitent la zone d’interaction sociale avec stress social chronique224. (E) On

observe in vivo une augmentation de la fréquence de décharge et du pourcentage de PA dans

des bouffées des neurones DA de la VTA après CSD chez les souris susceptibles224. (F) Une

agression unique suffit à provoquer une libération massive de DA dans le NAc. Cet effet est nettement réduit lorsque le récepteur aux GC est absent des neurones dopaminoceptifs. De plus, chez ces souris transgéniques on n’observe pas l’augmentation d’activité des neurones

DA de la VTA après un protocole de CSD205.

4.1.3 Le protocole de défaite sociale chronique pour évaluer le stress social chez la souris

Le protocole de chronic social defeat (CSD, Figure 4.3A) consiste à confronter les souris avec des agresseurs pendant plusieurs jours consécutifs (5 min de confrontation directe et 24h de confrontation sensorielle sans contact physique). À l’issue des 10 jours de stress, on mesure le temps passé par les animaux dans la zone d’interaction sociale (Figure 4.3B). Les souris non-stressées ont tendance à passer significativement plus de temps dans la zone d’interaction lorsqu’une souris (target) est présente. Lorsque les animaux ont préalablement été confronté aux agresseurs, ils évitent la zone d’interaction sociale. Ce type de stress social est aujourd’hui considéré comme un modèle adéquat pour évaluer des comportements inadaptés tels que l’anxiété, l’évitement social, l’hyperactivité, la dépression ainsi que la vulnérabilité à développer une dépendance pour les drogues d’abus201,225,226. Il a été montré que suite à une répétition de défaites sociales, les neurones DAergiques voient leur activité fortement augmentée en fréquence de décharge mais surtout en bursts, et ceci se traduit par une augmentation massive de la libération de DA dans le NAc202. Plus récemment, des expériences d’optogénétique ont permis de montrer que mimer artificiellement l’augmentation d’activité des neurones DAergiques projetant vers le NAc par photostimulation permet d’accélérer les effets du stress et d’observer l’apparition d’évitement social après seulement un jour d’agression (sub-threshold social defeat, SubSD)227. L’augmentation préalable de l’activité des neurones DA permettrait donc de sensibiliser les animaux aux effets du stress : la vulnérabilité des animaux à un stress social est alors augmentée.

68

Figure 4.3 – Protocoles de Chronic Social Defeat (CSD) et Subtreshold Social Defeat (SubSD) : (A) Pendant 10 jours les souris C57Bl6/j sont confrontées pendant 5min avec un

agresseur (souris CD1) et pendant 24h en contact sensoriel avec un agresseur dans une cage séparée en deux par une paroi transparente. Le onzième jour, on mesure le temps passé dans la zone d’interaction sociale. (B) Après défaite sociale (SD), les animaux ne passent pas plus de temps dans la zone d’interaction sociale lorsque la cible est présente alors que c’est le cas pour les souris contrôles. (C) Protocole de SubSD (Subtreshold Social Defeat). Les souris ne sont confrontées à l’agresseur qu’un seul jour à deux reprises. (D) Le jour suivant on mesure les effets comportementaux de manière similaire à (B).

Une situation stressante entraîne de nombreux bouleversement moléculaires et cellulaires ainsi qu’une modification de l’activité des circuits neuronaux dans le but d’adapter la réaction comportementale de l’individu immédiatement et lors de la prochaine agression. Parmi ces mécanismes, il a été montré que chez des souris soumises à un protocole de nage forcée, on observe une modification des ratio AMPAR/NMDAR dans les neurones DAergiques de la VTA (Figure 4.2A). Cette plasticité se manifeste par une augmentation de l’excitabilité des neurones qui répondent alors plus lors d’une nouvelle situation stressante126,228. Dans le cas d’un protocole de CSD, on observe plusieurs changements phénotypiques (évitement social, anxiété dans un protocole d’elevated plus maze, perte de poids, anhédonie ainsi qu’une plus grande sensibilisation locomotrice pour de faibles doses de cocaïne). Ces manifestations comportementales s’accompagnent de changements moléculaires avec par exemple une augmentation de brain derived neurotrophic factor (BDNF) dans le NAc ou encore une augmentation du courant Ih dû à la présence de canaux HCN sur les neurones DAergiques de la VTA201,207,224,229. Il a été montré par ailleurs qu’au sein d’un groupe de souris soumises à un protocole de CSD, certaines ne présentent pas d’altération de l’activité des neurones DA de la

69

VTA, et pas d’augmentation de BDNF dans le NAc. On parle de souris « non-susceptibles » ou « résilientes » par opposition aux souris « susceptibles ». Chez les souris résilientes, le comportement social n’est pas altéré suite aux agressions répétées mais elles développent malgré tout un profil anxieux201,207,230,231.

4.1.4 Stress et drogues d’abus

Récemment, plusieurs études du laboratoire ont permis de mieux comprendre l’impact du stress social sur les neurones DAergiques de la VTA et de faire un lien entre ce dernier et les effets de la nicotine. En accord avec des travaux antérieurs, il a été montré qu’un stress social, aigu ou répété entraîne une augmentation de l’activité des neurones DA de la VTA et que les modifications à long-terme consécutives à l’activation des GR sont cruciales au niveau des neurones dopaminoceptifs du striatum mais pas au niveau des neurones DA de la VTA (Figure 4.2F). La délétion des GR dans les neurones DA de la VTA (souris GRDATCre) n’altère pas la capacité des neurones à répondre à un stimulus ou à une agression alors que c’est le cas lorsque la délétion est réalisée au niveau des neurones dopaminoceptifs du striatum (souris GRD1Cre)205.

De manière générale, nous avons vu que le stress social impacte l’activité du système DAergiques. Ces perturbations sont à l’origine de troubles phénotypiques dans les comportements impliquant la DA. C’est le cas notamment du renforcement et en conditions pathologiques du renforcement aux drogues d’abus. En effet, stress et addiction sont fortement liés : il a notamment été montré chez l’animal que l’auto-administration de différentes drogues d’abus (cocaïne, opiacés, alcool, etc.) est fortement accrue suite à l’exposition à une situation stressante232–237. De même, la surrénalectomie ou la diminution du taux de GC dans le sang abolit l’acquisition et le maintien de l’auto-administration de cocaïne chez le rat. Inversement, l’exposition chronique aux GC semble augmenter la sensibilité des rats aux effets renforçant de la cocaïne238,239. De plus, les effets de la cocaïne et des amphétamines sont drastiquement diminués après la délétion génétique ou bien l’inhibition pharmacologiques des GR240. En modifiant l’activité du système et en altérant sont architecture moléculaire et cellulaire, le stress affecte le renforcement aux drogues d’abus.

70

4.1.5 Stress et nicotine

Les études épidémiologiques rapportent une forte comorbidité entre les troubles de l’humeur et la dépendance au tabac. En effet, de nombreux travaux ont montré que les individus stressés sont plus susceptibles de développer une dépendance au tabac, augmentent leur consommation lorsqu’ils sont fumeurs et sont plus prompts à rechuter lors d’un sevrage tabagique241–247. Une étude récente du laboratoire s’est intéressée à la contribution des nAChR dans l’altération du système DAergique induite par le stress social200. Ces données montrent que l’exposition à la nicotine (dans l’eau de boisson) augmente la sensibilité des souris au stress dans un protocole de SubSD et que de manière indépendante la nicotine et le stress social induisent des adaptions cellulaires à long-terme au niveau des circuits DAergiques. Les perturbations associées à cette interaction entre le stress social et les effets de la nicotine se caractérisent notamment par un changement dans l’expression des nAChR (mesuré en marquages radio-ligands), une augmentation de l’activité spontanée des neurones DA de la VTA in vivo ainsi que de l’évitement social suite à des agressions répétées. Le blocage pharmacologique des b2*nAChR au cours des sessions d’agressions répétées avec du DHbE permet d’abolir la mise en place des neuro-adaptations qu’implique l’exposition à un stress social alors que le blocage des a7*nAChR permet quant à lui d’abolir l’expression de ces effets le jour du test d’interaction social post-agressions. Paradoxalement, le traitement au PNU-120596 (modulateur allostérique positif des a7*nAChR), en activant ces récepteurs, induit dans un protocole de SubSD des neuro-adaptations cellulaires des neurones DA de la VTA à la fois ex vivo (augmentation de l’excitabilité, des ratio AMPAR/NMDAR) et in vivo (augmentation de la fréquence de décharge spontanée des neurones et du %SWB) similaires à ceux observés dans un contexte de défaite sociale200.

4.2 Prise de décision et modulation nicotinique