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Avant-propos

Chapitre 3 - Modulation nicotinique de la VTA et renforcement 3.1 Anatomie de la transmission nicotinique dans la VTA

3.4 Apports des modèles génétiques

Les modèles génétiques, et particulièrement les souris knock-out pour les différentes sous-unités du récepteur nicotinique, ont permis de nombreuses avancées dans la compréhension de la modulation nicotinique du système DAergique. C’est le cas par exemple des souris invalidées pour les sous-unités α4, α5, α6, α7, b2 et b4, dont les contributions respectives dans la réponse

in vivo des neurones DAergiques de la VTA à l’injection aiguë de nicotine ont pu être évaluées

par des techniques de réexpression locale à l’aide de lentivirus109,153,154,156,157.

3.4.1 La sous-unité b2

Chez la souris b2-/- (souris knock-out pour la sous-unité b2), l’activité spontanée des neurones DA de la VTA est altérée de sorte à ce que l’on n’observe plus que des neurones lents et réguliers (low firing & low bursting LFLB, Figure 3.3A-B)109. L’activité normale est restaurée par la réexpression lentivirale de la sous-unité b2 dans la VTA. Ceci s’accompagne par une abolition de la réponse des neurones DA à l’injection aiguë de nicotine par voie intraveineuse, elle aussi rétablie après réexpression de b2 dans la VTA (Figure 3.3C). Ces modifications conduisent à une absence de comportement d’auto-administration de nicotine ainsi que de la préférence de place associée à la nicotine153,156,161,162.

Dans une étude publiée en 2012, le laboratoire a montré que la réexpression conditionnelle de b2 dans les neurones DAergiques de la VTA chez des souris DATiCre est suffisante pour restaurer la réponse des neurones DA en fréquence de décharge mais pas en pourcentage de PA dans des bouffées (%SWB) ce qui s’accompagne d’une restauration partielle du comportement d’auto-administration intra-VTA de nicotine mais sans que celui-ci se maintienne dans le temps156. La réexpression uniquement dans les neurones GABAergiques de la VTA chez des souris GADCre entraîne une inhibition des neurones DA lors de l’injection systémique aigue de nicotine et les souris évitent la nicotine dans le protocole d’auto-administration intra-VTA. En revanche la réexpression complète sur les deux types neuronaux permet de rétablir la réponse en fréquence et en bouffées des neurones DA. Cette restauration de la réponse des neurones DA s’accompagne d’une libération massive de DA dans le NAc ainsi que d’une récupération totale du phénotype wild type (wt) observé dans le protocole d’auto-administration intra-VTA

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de nicotine. Ces travaux ont permis de montrer que la présence des b2*nAChR à la fois sur les neurones DA et sur les neurones GABA de la VTA était nécessaire à la réponse des neurones DA de la VTA à la nicotine ainsi qu’au renforcement pour cette drogue.

Figure 3.3 – Rôle de la sous-unité b2 dans la réponse in vivo des neurones DA de la VTA à l’injection aiguë et systémique de nicotine : (A et B) Chez les souris b2-/- (en rouge), on observe une modification de l’activité spontanée des neurones DA caractérisée par une diminution de la fréquence de décharge et une disparition des bouffées de PA. Un patron de décharge

comparable à la souris wt est retrouvée après réexpression de la sous-unité b2 dans la VTA

(en bleu). (C) Chez les souris b2-/- (en rouge), les neurones DA de la VTA ne répondent plus à

l’injection aiguë de nicotine (30µg/kg, i.v.). La réponse à la nicotine est restaurée par la

réexpression de la sous-unité b2 dans la VTA (en bleu). Adaptée de Naudé et al, 2016162.

3.4.2 Les sous-unités α4 et α6

Chez les souris α4-/-, les neurones DA de la VTA présentent une réponse en fréquence à l’injection aiguë et systémique de nicotine mais pas en bouffées154. Comme lors de la réexpression conditionnelle de b2 uniquement dans les neurones DA, les souris commencent à

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s’auto-administrer la nicotine mais le phénotype ne se maintient pas dans le temps. Le phénotype wt a pu être restauré par la réexpression de la sous-unité α4 dans la VTA154. On note que la délétion de la sous-unité α4 sélectivement dans les neurones DA entraîne une abolition de la préférence de place évoquée par la nicotine163. Les souris α6-/- présentent une réponse normale des neurones DA de la VTA lors de l’injection aiguë et systémique de nicotine ainsi qu’un phénotype comparable aux souris wt dans le protocole d’auto-administration intra-VTA de nicotine. En revanche, l’auto-administration intraveineuse de nicotine est abolie. Ces résultats suggèrent que la sous-unité α6 est impliquée au niveau terminal dans la libération de DA dans le NAc. En effet, aussi bien chez les souris α4-/- que chez les souris α6-/-, la libération de DA dans le NAc est altérée, mais dans le cas des souris α6-/-, les réponses « somatique » des neurones DA n’est pas changée en comparaison à la souris wt154. Ces travaux viennent compléter un corpus d’études montrant que la libération de DA dans le NAc est sous l’influence de l’ACh libérée par les interneurones cholinergiques (CIN) au niveau local137,139,164–166. Ce contrôle de la libération de DA dans le NAc au niveau des terminaisons des neurones DAergiques agit comme un filtre et d’augmenter le « gain » du message DAergique en amplifiant les conséquences de l’activité phasique qui se traduit par une libération massive de DA.

Les approches pharmacogénétiques ont permis de créer des lignées de souris exprimant des nAChR mutants hypersensibles167. Les mutations ponctuelles mises en jeu concernent un résidu leucine très conservé en position 9’ du segment transmembranaire TM2, et ont le plus souvent pour conséquence une augmentation de la sensibilité des nAChR aux agonistes. Par conséquent, de faibles concentrations systémiques de nicotine, normalement « inertes », suffisent alors pour activer sélectivement ces récepteurs mutants, et ainsi délinéer leurs rôles in vivo. Les mutations L9’ sur α4 ont notamment permis d’impliquer cette sous-unité dans l’anxiété152 et dans la sensibilisation et le renforcement à la nicotine168,169. Une mutation équivalente pour la sous-unité α6 (L9’S) a permis de montrer un rôle de cette sous-sous-unité dans l’hyperactivité locomotrice spontanée et induite par la nicotine170,171. De plus, on note que le relargage de DA dans le striatum est altéré chez ces souris171.

3.4.3 La sous-unité α7

La délétion de la sous-unité α7 a peu d’effets sur l’activité spontanée des neurones DA de la VTA. On note tout de même une redistribution des patrons de décharge avec une majorité de

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neurones présentant une activité de type LFLB et HFHB et nettement moins de phénotypes intermédiaires (LFHB, HFLB) que chez les souris wt. La réponse à l’injection aiguë de nicotine intraveineuse est aussi altérée. En effet, les réponses sont beaucoup plus rapides et la fréquence de décharge revient plus rapidement au niveau de la ligne de base. De plus, une proportion plus importante de neurones répond chez les souris α7-/- par une inhibition à l’injection de nicotine109. On note par ailleurs que la délétion de la sous-unité b2 abolie totalement la préférence de place pour la nicotine alors que ce n’est pas le cas pour les souris α7-/-161.

3.4.4 La sous-unité b4

Chez les souris b4-/-, on observe une hyperdopaminergie dans le NAc, bien que l’activité spontanée des neurones DA ne soit pas altérée chez ces souris. Cependant, les neurones DA présentent une plus grande sensibilité aux faibles doses de nicotine (injection aiguë intraveineuse) que les souris wt172. Paradoxalement, l’auto-administration intraveineuse (intravenous self-administration IVSA) de nicotine est significativement diminuée chez ces souris, et ce, pour toutes les doses. Les b4*nAChR, contrairement aux b2*nAChR, sont exprimés de manière discrète dans le cerveau. Les principales structures exprimant la sous-unité b4 sont l’habénula médial (mHb) et le noyau interpédonculaire (IPN). La voie habénulo-interpédonculaire (mHb-IPN) est constituée par les neurones glutamatergiques et cholinergiques de la mHb qui projettent sur l’IPN173. Des études récentes suggèrent que cette voie, très riche en nAChR174, est impliquée dans la modulation de la peur et de l’anxiété175 et dans les mécanismes d’aversion et de manque à la nicotine176–179. De manière intéressante, la réexpression de la sous-unité b4 dans l’IPN, mais pas dans la mHb, permet de rétablir le phénotype wt dans le protocole d’IVSA ainsi que la réponse des neurones DA à l’injection aiguë de nicotine par voie intra-veineuse172. Ceci suggère que la sous-unité b4 joue un rôle clé dans la modulation du système dopaminergique et dans la régulation de la consommation de nicotine mais probablement plus par sa présence dans la voie habénulo-interpédonculaire (mHb-IPN) que par sa présence dans la VTA172. En parallèle, une autre approche génétique a consisté à générer une lignée de souris (Tabac mice) présentant une surexpression de la sous-unité b4 dans ses sites endogènes, à savoir principalement l’IPN et la mHb178. Les souris Tabac montrent une augmentation des courants nicotiniques dans la mHb, et une aversion à la nicotine, qui semble être médiée par la voie mHb-IPN.

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3.4.5 La sous-unité α5

Bien que la sous-unité α5 ne participe pas à la liaison de l’ACh ou de la nicotine, sa présence dans le pentamère augmente la perméabilité calcique et la conductance unitaire des récepteurs31. Un polymorphisme nucléotidique humain du gène codant pour la sous-unité α5 (rs16969968 – D398N), assez rependu dans la population, a été associé avec une plus grande vulnérabilité à la dépendance à la nicotine et un risque plus élevé de développer un cancer du poumon180,181. Les études menées chez les souris α5-/- ont permis de montrer le rôle de cette sous-unité dans les mécanismes de renforcement à la nicotine. Il a été montré que les souris knock-out pour cette sous-unité commencent à s’auto-administrer la nicotine à des doses plus élevées157. De plus, en accord avec des données précédentes de la littérature182, les souris α5-/- ne régulent pas leur « consommation » de la même manière en fonction de la dose et s’auto-administrent une quantité totale de nicotine bien plus élevée que les souris wt. Du point de vue neurophysiologique, en accord avec les données obtenues en IVSA, les neurones DA des souris α5-/- commencent à répondre à l’injection aiguë intraveineuse de nicotine pour les doses bien plus élevées que chez les souris wt (i.e. 120µg/kg pour α5-/- contre 15µg/kg chez les souris

wt)157. La réexpression de la sous-unité α5 permet de rétablir des réponses électrophysiologiques ainsi que des profils d’auto-administration en IVSA comparables aux niveaux observés chez les souris wt157. Le polymorphisme D398N conduit, après expression dans la VTA chez la souris (α5SNP-D398N) à une perte de fonction partielle des hétéropentamères contenant α5 et ces souris s’auto-administrent plus de nicotine que les souris wt157. Ces résultats suggèrent que la sous-unité α5 portée par les neurones DA de la VTA joue un rôle crucial dans l’établissement du seuil dans sensibilité du système DAergique à la nicotine dans le contexte du renforcement à cette drogue.