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III - E. coli et cancer colorectal

III.1. Implication du microbiote intestinal dans la carcinogenèse

III.1.3. d. Stress oxydant

Comme illustré sur la figure 22, l’induction d’un stress oxydant semble centrale dans les mécanismes d’action du microbiote intestinal dans la carcinogenèse colique. Les bactéries associées au CCR seraient capables d’induire la production de ROS et de RNS par les cellules épithéliales, les cellules immunitaires, et/ou les bactéries elles-mêmes. Le stress oxydant pourrait être induit par l’activation de voies pro-inflammatoires, la production de toxines bactériennes et la transformation de métabolites en molécules pro-carcinogènes. L’instabilité génomique mais également les dommages cellulaires qui peuvent en résulter peuvent participer à la carcinogenèse colique (Figure 23) (Arthur et al., 2012; Cooke et al., 2003; Evans et al., 2004; Irrazábal et al., 2014; Maddocks et al., 2009, 2013; Schwabe and Jobin, 2013; Wang et al., 1998, 2016b). Cette hypothèse est renforcée par le fait que les facteurs de risque du CCR comme la consommation de tabac, d’alcool et de viandes rouges ainsi que l’inflammation sont liés à l’augmentation du stress oxydant (production de ROS/RNS, oxydation des lipides notamment). (Grivennikov et al., 2010; Huxley et al., 2009; Raskov, 2014; Terzić et al., 2010).

Les ROS et RNS, peuvent être produites par les bactéries elles-mêmes. Ceci a notamment été montré pour certaines souches d’H. pylori (Handa et al., 2010), mais également pour E. faecalis lors d’études in vitro et in vivo, qui est responsable de la production de radicaux libres (Wang et al., 2008, 2015). Lors des études sur E. faecalis il a été démontré que ces ROS étaient associées à des aneuploïdies dans les cellules épithéliales coliques et que ces dernières n’étaient plus observables après utilisation d’inhibiteurs des ROS et RNS (Wang et al., 2008, 2015)

72 Concernant la génération de ROS par les cellules eucaryotes après infection bactérienne, Enterococcus faecalis est impliqué in vitro et dans des modèles animaux dans la production de radicaux hydroxyles (HO) et la création d’un stress oxydant (Huycke and R Moore, 2002; Huycke et al., 2001; Szemes et al., 2010). De la même façon il a été observé que certaines infections bactériennes induisent une activation des enzymes cellulaires pro-oxydantes dans l’intestin. F. nucleatum induit une augmentation de l’activation de iNOS accompagnée de l’augmentation d’oxyde nitrique (NO) dans les tumeurs de souris APCMin/+ (Kostic et al., 2013). Cette augmentation d’enzymes pro-oxydantes accompagnée de la production de ROS et de dommages à l’ADN, est également induite par B. fragilis entérotoxinogènes par l’induction de l’expression de l’enzyme spermine oxydase (SMO) des cellules épithéliales (Goodwin et al., 2011; Housseau and Sears, 2010; Ko et al., 2016; Ulger Toprak et al., 2006).

Le rôle du microbiote intestinal dans la carcinogenèse colique via son interaction avec les systèmes de réparations MMR de l’ADN a été mis en évidence dans un modèle APCMin/+ déficient pour le gène MSH2. En effet, dans ce modèle, une altération du microbiote par l’utilisation d’antibiotique, entraine une diminution du développement tumoral. De plus, dans cette étude, il est montré que l’absence de MSH2, permettant la réparation de l’ADN, entraine une activation de la voie β-caténine induisant une prolifération cellulaire anarchique de l’épithélium colique, cet effet étant dépendant du microbiote colique (Mangerich et al., 2012) (Belcheva et al., 2014). La prévalence F. nucleatum chez les patients atteint de CCR de phénotype MSI suggère une association entre cette espèce bactérienne et les défenses anti-oxydantes (Koi et al., 2018; Viljoen et al., 2015; Wei et al., 2016b). De plus, il a été montré qu’H. hepaticus diminuait l’expression de certains gènes impliqués dans les défenses anti -oxydantes et/ou la réparation de l’ADN dans un modèle murin de CCR consécutif à une colite induite (Mangerich et al., 2012). Une interférence avec les systèmes de réparation de l’ADN est également suspectée (Koi et al., 2018; Viljoen et al., 2015; Wei et al., 2016b).

L’ensemble de ces travaux montrent donc l’implication du stress oxydant dans la carcinogenèse colique. Cependant, les ROS et RNS étant des composés instables leur demi-vie est relativement courte, de l’ordre de quelques secondes, ainsi l’effet sur les cellules épithéliales de leur production par les cellules immunitaires reste complexe à démontrer in vivo (Grivennikov et al., 2010; Terzić et al., 2010).

73 III.1.3.e. Inflammation chronique

Le microbiote colique participe à la maturation du système immunitaire. De la même façon le système immunitaire peut également moduler le microbiote (Belkaid and Hand, 2014). Une réponse inflammatoire aberrante, d’origine infectieuse ou autre, dans le tractus intestinal pourrait conduire à une perturbation du microbiote en faveur de l’émergence de pathobiontes. Ces derniers peuvent alors avoir des effets pro-inflammatoires créant ainsi une boucle d’inflammation chronique qui s’auto-entretient. Les dysbioses observées chez les patients atteints de maladies inflammatoires chroniques (MICI), chez lesquels le risque de développer un CCR est augmenté, suggèrent le rôle important du microbiote dans l’induction d’une inflammation chronique liée à ce cancer (Chassaing and Darfeuille-Michaud, 2011; Cunningham et al., 2010; Manichanh et al., 2012). Les principaux mécanismes décrits pour expliquer cet effet mettent en jeu la modulation des récepteurs NLRs et TLRs, décrits précédemment (Arthur et al., 2012; Chen et al., 2008; Couturier-Maillard et al., 2013; Uronis et al., 2009). Plus précisément l’activation de ces récepteurs NLRs auraient plutôt un rôle protecteur alors que l’activation des récepteurs TLRs par les pathogènes induiraient une inflammation pro-tumorale. Des polymorphismes sur les gènes codant pour les récepteurs de l’immunité TLRs et NODs ont été reliés à un risque plus important de développer un CCR chez l’homme (Branquinho et al., 2016; Messaritakis et al., 2018; Pimentel-Nunes et al., 2013). En particulier le TLR4 semble impliqué dans le CCR puisqu’une forte expression de ce récepteur est associée à des stades agressifs de ce cancer (présence de métastases) (D’Alterio et al., 2016; Wang et al., 2010). De plus, il a été mis en évidence que les patients atteints de CCR porteurs d’un variant du récepteur TLR4 (TLR4-D299G), développent plus fréquemment des cancers agressifs avec métastases (Eyking et al., 2011).

L’implication de cette association entre microbiote et inflammation dans le CCR a été mis en évidence dans des modèles murins d’inflammation chronique intestinale (souris IL10-/-, Nod2-/- traitées à l’AOM et/ou DSS). Une modification du microbiote des souris IL10-/- a été observée après le traitement AOM/DSS comparativement à celui des souris non traités. Il a été montré que l’induction de dysbiose dans des modèles murins IL10-/- ou Nod2-/- favorise l’augmentation des colites associées au CCR (Arthur et al., 2012; Chen et al., 2008; Couturier-Maillard et al., 2013; Uronis et al., 2009). De plus, cette inflammation est accompagnée d’un développement tumoral plus rapide chez les souris porteuses d’un microbiote conventionnel et traitées à l’AOM, comparativement à des souris axéniques ayant subi le même traitement. Plus

74 précisément une augmentation du nombre et de la taille des tumeurs a été observée (Couturier-Maillard et al., 2013; Uronis et al., 2009). Ces résultats suggèrent donc que le microbiote peut induire le développement d’un CCR via l’augmentation de l’inflammation colique.

L’induction d’un micro-environnement inflammatoire par les bactéries associées au CCR a également été décrite dans des modèles murins et in vitro. Par exemple, B. fragilis induit la sécrétion de cytokines pro-inflammatoires IL-8, MIP-2, CCL2, MCP-1 et CXCL-1 par les cellules épithéliales par l’activation des voies NFкB, p38, COX-2 et β-caténine. Ces cytokines participent au recrutement des macrophages et des polynucléaires favorisant à leur tour l’inflammation au site d’infection (Kim et al., 2002, 2005a, 2008; Ko et al., 2016; Sears, 2009; Wu et al., 2003, 2004). Une augmentation de la réponse LT Th17 par ce pathogène, a également été mise en évidence par l’activation de la voie STAT3 (Wu et al., 2003). Il a été mis en évidence dans le modèle APCMin/+que cet effet était impliqué dans les processus de colites, d’hyperplasie intestinale et de tumorigenèse colique (Chung et al., 2018; Housseau and Sears, 2010; Wu et al., 2009). Ces mécanismes pro-inflammatoires induits par B. fragilis sont dépendants de la toxine BFT. Une augmentation des cytokines IL-1β, IL-8 accompagnée d’une activation des voies NFкB et COX-2 a été décrite dans des tissus de patient atteint de CCR séropositifs pour S. gallolyticus par rapport à des individus séronégatifs pour cette bactérie (Abdulamir et al., 2011). Ces effets ont également été observé et associé à la carcinogène colique dans des modèles animaux (traités à l’AOM) (Ellmerich et al., 2000; Kumar et al., 2018b). D’autres études montrent également le pouvoir pro-inflammatoire de F. nucleatum dont l’infection entraine une augmentation des cytokines IL-1β, IL-8, IL-6 et TNF-α dépendante là encore de l’activation de la voie COX-2 et liée aux recrutement de macrophages (Kostic et al., 2013). L’augmentation de l’IL-8 et de l’IL-6 semblent liée à l’activation de la voie Wnt/β-caténine (Rubinstein et al., 2013). Plus récemment, l’action de F. nucleatum sur la prolifération cellulaire a également été mis en évidence sur un même modèle de xénogreffe, où cette fois-ci les voies de signalisation impliquant NFкB et le TLR4 étaient activées, favorisant la prolifération et le potentiel invasif des cellules tumorales (Yang et al., 2017).

Un recrutement massif de macrophages dans la muqueuse colique est également observé après infection par E. faecalis (Balish and Warner, 2002; Wang et al., 2012b, 2013; Yang et al., 2012). Les macrophages infectés produisent des mutagènes tels que le 4-Hydroxy-2-Nonenal (4-HNE) favorisant la dysplasie et la carcinogenèse (Wang et al., 2008, 2015). Ils favorisent

75 aussi l’apparition de cellules souches cancéreuses par une sur-activation de la voie Wnt/β -caténine (Wang et al., 2017b).