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II - Rôle du système immunitaire dans la carcinogenèse colique II.1- Cellules immunitaires impliquées dans le CCR

II.2- Interactions entre système immunitaire et cellules tumorales, généralités : le concept d’immunoédition ou des 3E

II.2.1. a. Immunosurveillance dans des modèles murins

L’hypothèse d’une interaction entre les cellules immunitaires et tumorales a été émise pour la première fois en 1909 par Paul Ehrlich, qui a suggéré que la prévalence des cancers pouvait augmenter en l’absence d’un système immunitaire efficace. Ce postulat fut ensuite soutenu par des expériences in vivo utilisant des allogreffes sous-cutanées de cellules tumorales sur des modèles murins. Plus précisément il a été montré que des souris préalablement immunisées par des cellules tumorales irradiées provenant de sarcomes murins, étaient capables de rejeter ensuite ces mêmes cellules tumorales, après xénogreffe. De plus, le transfert des LT de souris immunisées, à d’autres souris « naïves », leur permet de développer

une résistance spécifique à la greffe de ces cellules de sarcome. Cette expérience suggéra que les lymphocytes T seraient capables de reconnaître spécifiquement les antigènes associés aux cellules tumorales et ainsi de les éliminer, comme ils le feraient pour un pathogène (Burnet, 1957). Ces résultats furent la première démonstration du principe d’immunosurveillance, selon

lequel le système immunitaire et en particulier les lymphocytes T préviendraient le développement de tumeurs en reconnaissant et en éliminant les cellules prénéoplasiques au sein

39 L’utilisation de modèles murins présentant des dysfonctionnements immunitaires a confirmé par la suite ce principe en démontrant que ces souris développent un nombre plus important de tumeurs que des souris immunocompétentes (Dunn et al., 2002; Finn, 2018; Fletcher et al., 2018). Plus précisément, il a été mis en évidence que certaines cellules cytotoxiques du système immunitaires, les LT et les cellules Natural killer T (NKT), sont importantes pour cette réponse anti-tumorale. En effet des modèles murins déficients pour ces cellules immunitaires (RAG2-/- ; BALB/C SCID ; T cell -/-) ont montré une susceptibilité plus forte à développer des sarcomes chimio-induits par le carcinogène méthylcholanthrène (MCA) que les souris contrôles immunocompétentes.

De plus, il a également été observé un développement spontané de tumeurs épithéliales (poumon, intestin en particulier) plus fréquent et présentant un stade plus avancé chez les souris déficientes pour ces cellules immunitaires, comparativement aux souris immunocompétentes, suggérant le rôle des LT et NKT à la fois sur le contrôle de l’initiation mais aussi de la promotion tumorale (Girardi et al., 2001; Shankaran et al., 2001; Smyth et al., 2000a).

L’importance de la cytokine IFN- et des perforines pouvant être produites par ce type de cellules immunitaires a été montrée avec une augmentation de la fréquence et de la croissance des tumeurs chez les souris ne pouvant pas produire ces facteurs (van den Broek et al., 1996; Kaplan et al., 1998; Smyth et al., 2000b; Street et al., 2001, 2002). D’autres expériences in vivo ont montré que la déplétion spécifique des cellules immunitaires (Natural Killer (NK) et NKT ou LT) ou la neutralisation de l’IFN-par l’utilisation d’anticorps induisent là encore une augmentation du nombre de tumeurs chimio-induites et de leur croissance, confirmant ainsi le rôle des LT, NK et NKT dans la réponse anti-tumorale, via la sécrétion de l’IFN- (Dighe et al., 1994; Smyth et al., 2000a, 2000b).

II.2.1 .b. Immunoédition dans les modèles murins

Outre cette mise en évidence de l’immunosurveillance dans différents modèles murins de cancers, il a été montré que les cellules immunitaires contribuent à des modifications des cellules tumorales (Dunn et al., 2002; Fridman, 2018). En effet, les souris immunocompétentes sont capables de rejeter des greffes de cellules tumorales provenant de souris immunodéprimées (RAG2-/- ; nude ; SCID) alors qu’elles ne parviennent pas à rejeter des cellules tumorales issues de souris immunocompétentes (Engel et al., 1997; Shankaran et al., 2001; Svane et al., 1996). De plus, il a également été mis en évidence que plus le modèle murin donneur duquel on extrait

40 les cellules tumorales est immunodéprimé, moins la tumeur issue de ces cellules transplantées est agressive chez la souris receveuse (O’Sullivan et al., 2012). Ces études suggèrent donc que les cellules tumorales ayant évolué au contact d’un système immunitaire efficace sont moins reconnues par les défenses de l’hôte, que des cellules tumorales ayant évolué au contact d’un système immunitaire immunodéprimé. Ainsi, en luttant contre les tumeurs, le système immunitaire exerce une pression de sélection sur les cellules tumorales entrainant l’émergence de clones résistants aux défenses de l’hôte. Ces observations ont permis de décrire le principe d’immunoédition aussi nommé « 3E » pour les trois phases d’interaction entre système immunitaire et tumeur : Élimination-Équilibre-Échappement, qui sera plus détaillé ci-dessous.

II.2.1.c. Immunosurveillance anti-tumorale et immunoédition chez l’homme

Comme évoqué précédemment, la compréhension des mécanismes qui régissent les interactions entre la tumeur et le système immunitaire lors des 3E, découle d’expériences réalisées sur des modèles murins. En ce qui concerne l’existence de ces interactions chez l’homme, elle est suggérée par des études épidémiologiques et cliniques qui reflètent une influence de l’état du système immunitaire des patients sur la carcinogenèse. La phase d’échappement étant la seule phase visible cliniquement, ces données portent surtout sur cette étape.

Tout d’abord, le risque de développer un cancer augmente avec l’âge de l’individu, ce qui peut être mis en relation avec le processus d’immunosénescence qui montre une diminution de l’efficacité du système immunitaire et donc de l’immunosurveillance avec l’âge (Ribatti, 2016).

Le concept d’immunosurveillance a été décrit pour la première fois à partir du constat que les individus immunosupprimés ou immunodéficients présentent un risque plus élevé de développer un cancer (Finn, 2018; Fletcher et al., 2018). Par exemple, une incidence plus forte de lymphomes, sarcomes et cancers urogénitaux est observée chez les individus atteints du syndrome d’immunodéficience acquise (SIDA). Toutefois, ces cancers étant associés à des virus, la rupture de l’immunité anti-virale est ici mise en cause (Boshoff and Weiss, 2002; Gatti and Good, 1971). D’autres études suggèrent que les traitements immunosuppresseurs suite aux transplantations d’organes altèreraient la réponse anti-tumorale spécifique, et ainsi augmenteraient le risque de développer des tumeurs chez les patients transplantés (Birkeland et

41 al., 1995; Engels et al., 2011; Hanahan and Weinberg, 2011; List et al., 1987; Opelz and Döhler, 2004; Penn, 1996; Sheil, 1986; Shiels et al., 2011). Des observations similaires sont rapportées pour les patients dont l’immunodéficience est liée à une maladie génétique, telle que l’agammaglobulinémie liée à l’X (défaut de maturation des LB et donc de la production d’anticorps) ou des maladies touchant la maturation des LT (Kinlen et al., 1985; Salavoura et al., 2008; Spinner et al., 2014).

Enfin, la mise en évidence chez l’homme d’effecteurs immunitaires contre les tumeurs renforce l’hypothèse de l’immunosurveillance (Finn, 2018; Fletcher et al., 2018). En effet, il a été identifié des anticorps spécifiques d’antigènes tumoraux dans le sérum de patients atteints de cancer, suggérant l’immunogénicité des tumeurs. La diversité très importante de ces anticorps en fonction du type tumoral, mettent en évidence que la réponse anti-tumorale engagée est spécifique à chaque tumeur (Broussard et al., 2013; Reuschenbach et al., 2009; Sahin and Pfreundschuh, 1997). De la même manière, la présence de cellules immunitaires a été démontrée dans l’infiltrat de nombreux types tumoraux et la composition de cet infiltrat évolue en fonction du stade tumoral, suggérant une interaction dynamique entre la tumeur et ces cellules immunitaires (Jang, 2013; Maglietta et al., 2016; Yuan et al., 2008). Il a également été isolé du sang des patients atteints de cancer des LT spécifiquement dirigés contre les tumeurs (Caux et al., 1996; Kao et al., 2001; Mackensen et al., 1993; Zorn and Hercend, 1999). L’expansion clonale de ces LT a été corrélée à des régressions spontanées de mélanomes (Mackensen et al., 1993; Zorn and Hercend, 1999). Certains acteurs immunitaires tels que les LT peuvent aussi être associés à une meilleure survie des patients atteints de cancers épithéliaux, montrant leur importance dans le contrôle du développement tumoral (Clemente et al., 1996; Mihm et al., 1996; Naito et al., 1998; Pagès et al., 2005; Taube et al., 2017).

Enfin l’efficacité des diverses immunothérapies anti-tumorales chez l’homme, confirme l’importance des phénomènes d’immunosurveillance et d’immunoédition (Rusch et al., 2018; Yang, 2015). En effet, la plupart de ces thérapies permettent de rétablir la réponse anti-tumorale en réactivant les effecteurs immunitaires impliqués, via par exemple l’utilisation d’anticorps monoclonaux ciblant les checkpoints immunologiques PD-1 et CTLA-4 ou par le transfert d’effecteurs immunitaires tels que les LT. Ces données démontrent qu’une réactivation ou une augmentation de la réponse immunitaire anti-tumorale peut permettre de lutter contre ce développement cancéreux et renverser l’étape d’échappement de l’immunoédition pour revenir à une étape d’élimination (Rusch et al., 2018; Yang, 2015).

Figure 12 : Interaction des cellules tumorales avec les cellules immunitaires : le principe d’immunoédition ou des 3E « Élimination-Équilibre-Échappement ». Les cellules tumorales et immunitaires interagissent selon trois phases lors de la carcinogénèse. A. Lors de la première phase d’élimination, les cellules immunitaires reconnaissent les cellules tumorales et ont la capacité de les éliminer, prévenant ainsi le développement tumoral.B. Dans des cas moins favorables, cette phase est suivie par l’étape d’équilibre dans laquelle le système immunitaire parvient à contenir le développement des cellules tumorales mais n’empêche pas l’apparition de clones tumoraux résistants au SI (cellules rouges). La pression de sélection établie par les cellules immunitaire ainsi que l’instabilité génétique des tumeurs favorisent l’émergence de ces clones tumoraux résistants. C. Ces clones tumoraux ont la capacité d’échapper aux défenses immunitaires, il s’agit de la phase clinique où le cancer est déclaré. Cette dernière étape est appelée échappement tumoral.Source : Dunn et al, 2002

42 II.2.2) Les étapes de l’immunoédition (3E)

L’interaction entre les cellules tumorales et les cellules immunitaires (Figure 12) est décrite par la théorie de l’immunoédition dite aussi des 3E (Élimination – Équilibre – Échappement) (Dunn et al., 2002). D’après cette hypothèse, l’interaction s’effectuerait selon trois phases : la phase d’élimination dans laquelle le système immunitaire parvient à détruire les cellules épithéliales aberrantes, la phase d’équilibre où le système immunitaire contient le développement tumoral mais n’empêche pas la génération de nouveaux clones tumoraux parmi lesquels des clones résistants à l’immunité anti-tumorale, et la phase d’échappement dans laquelle ces cellules tumorales résistantes échappent au système immunitaire. Cette dernière phase participe à l’apparition de tumeurs. Ce principe d’immunoédition a été confirmé dans de nombreux types de cancer différents.

II.2.2.a. La phase d’élimination

La phase d’élimination est le stade où l’immunosurveillance est efficace (Figure 13). Le système immunitaire reconnaît et détruit les cellules tumorales, empêchant le développement de tumeurs. Cette phase est composée d’une première étape où les cellules épithéliales altérées qui apparaissent, induisent des modifications du micro-environnement (métabolites, cytokines, dommages cellulaires) qui sont reconnues par les cellules du système immunitaire inné (Girardi et al., 2001; Matzinger, 1994; Smyth et al., 2001) (Figure 13.A). Une fois sur le site pré-néoplasique, les effecteurs de la réponse innée, NK, NKT, LT , éliminent les cellules altérées viala production d’IFN- (Cerwenka et al., 2000; Diefenbach et al., 2001; Yokoyama, 2000). Les cellules altérées peuvent également exprimer des antigènes non retrouvés sur les cellules normales, appelés « antigènes tumoraux spécifiques » ou alors exprimer de façon anormale des antigènes communs aux cellules tumorales et normales (surexpression, modification post-traductionnelle de l’antigène…) nommés alors « antigènes associés aux tumeurs ». La reconnaissance de ces deux types d’antigènes permet la réponse anti-tumorale (Fletcher et al., 2018; Schumacher and Schreiber, 2015).

Lors de la seconde étape, la mort des cellules va favoriser la libération d’antigènes tumoraux qui pourront être captés par les cellules présentatrices d’antigènes du système immunitaire telles que les cellules dendritiques (DC) présentes sur le site (Finn, 2008) (Figure 13.B). De plus, des chimiokines sont produites par les cellules altérées, mais également par les

Figure 13 : La phase d’élimination tumorale par les cellules immunitaires : une immunosurveillance efficace. La phase d’élimination est la première phase des 3E qui décrit l’interaction entre les cellules tumorales et les cellules immunitaires. Lors de cette phase l’immunosurveillance est efficace et permet la destruction des cellules tumorales.A. Les modifications du micro-environnement par les cellules tumorales (cytokines, dommages cellulaires…) activent le système immunitaire inné (NK, NKT, LT γδ) qui produit notamment de l’IFN-γ et détruit les cellules tumorales. B. Cette réaction entraine la libération de facteurs solubles telles que des chimiokines qui favorisent le recrutement de nouvelles cellules immunitaires sur le site inflammatoire (NK et Macrophages (Mac)). Elle conduit également à la libération d’antigènes tumoraux dans le micro-environnement qui sont alors captés par les cellules dendritiques (DC).C.Les cellules dendritiques ainsi activées migrent au niveau des ganglions afférents et présentent les antigènes aux LT CD4+et LT CD8+, permettant l’activation de cette réponse immunitaire spécialisée.D. Ces LT spécifiques gagnent ensuite le site inflammatoire et renforcent la réponse anti-tumorale, détruisant ainsi les cellules tumorales et empêchant le développement d’un cancer.Source : Dunn et al, 2002

A B

43 cellules saines qui les entourent, modifiant les processus d’angiogenèse et amplifiant l’inflammation par le recrutement d’autres cellules immunitaires, en particulier les NK et les macrophages (Cole et al., 1998; Liao et al., 1995; Luster and Ravetch, 1987; Vesely et al., 2011).

La troisième étape d’élimination des cellules altérées est orchestrée par ces deux types de cellules et par la sécrétion d’IFN-, d’IL-12, de ROS et de perforines, mais également via

des signaux d’apoptose induits par des interactions cellules tumorales/cellules immunitaires (Figure 13.C) (Bancroft et al., 1991; Cerwenka et al., 2000; Smyth et al., 2000b; Takeda et al., 2002; Vesely et al., 2011). En parallèle, les cellules dendritiques chargées en antigènes migrent dans les ganglions afférents et induisent la différenciation de LT CD4+ (en particulier Th1 producteur d’IFN-) et de LT CD8+ cytotoxiques dirigés contre les cellules tumorales via la présentation de peptides en contexte CMH II ou I respectivement. Ces LT migrent ensuite et détruisent les cellules tumorales suite à la liaison spécifique de leur TCR avec les CMH des tumeurs (Figure 13.D) (Ferlazzo et al., 2002; Gerosa et al., 2002; Pardoll, 2002; Umar, 2014). Cette phase peut aboutir à la destruction du foyer tumoral, dans d’autres cas moins avantageux elle peut aboutir à la phase d’équilibre (Figure 12.B).

II.2.2.b. Les phases d’équilibre et d’échappement

Lors de la phase d’équilibre, la réponse anti-tumorale des LT soutenue par la production d’IFN-et d’IL-12 parvient à contenir le développement tumoral mais ne parvient pas à détruire totalement le foyer tumoral (Figure 12.B). Cette réponse immunitaire persistante peut potentiellement induire une pression de sélection sur les cellules génétiquement très instables, favorisant l’émergence de clones tumoraux résistants aux défenses de l’hôte (Engel et al., 1997; O’Sullivan et al., 2012; Shankaran et al., 2001; Svane et al., 1996). Il s’agit de la phase la plus longue, elle peut durer plusieurs dizaines d’années.

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