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I. Intertextualité

I.1. c. Stratégies de traduction

González Cascallana répertorie dans son ouvrage les différentes stratégies auxquelles ont habituellement recours les traducteurs confrontés à l'intertextualité53, stratégies sur lesquelles Venuti revient également dans son essai. La traduction littérale figure en bonne place : elle constitue généralement le choix du traducteur qui ne souhaite pas prendre de risques et préfère restituer la référence mot pour mot, ou du moins en demeurant le plus près possible du texte. Une telle approche témoigne d'un respect certain pour le texte-source, mais ne fournit pas nécessairement les outils nécessaires au lecteur du texte-cible pour comprendre la référence. Venuti, en particulier, se montre très critique vis-à-vis de cette stratégie :

[L]es relations intertextuelles […] ne sauraient être simplement reproduites par la traduction la plus proche des mots et expressions qui instituent cette relation dans le texte étranger. Une telle traduction,

53 Op.cit., pp.137-141

aussi proche soit-elle, peut éventuellement établir une correspondance sémantique, mais ne pourra incorporer la signification culturelle particulière d’un intertexte étranger, signification qui provient de la reconnaissance d’un lien entre le texte étranger et une tradition culturelle étrangère.54

En d’autres termes, si la traduction littérale restitue fidèlement la forme de l'intertexte, elle parvient en revanche rarement à reproduire l'effet de l'intertexte sur le lecteur, et restreint par la même occasion la richesse interprétative du texte.

Afin de pallier ce problème, certains traducteurs ont recours à la simplification, stratégie offrant généralement une traduction fidèle de l'intertexte, couplée toutefois à une explicitation du contenu. Cette stratégie permet de préserver la forme de l'intertexte, mais l'ajout que représente la note explicative est susceptible de causer une dissonance au sein du texte. En procédant de la sorte, « le travail du traducteur cesse d’être traduction et devient commentaire »55. Ce faisant, une rupture dans la fluidité narrative est à craindre, et la surexposition de l'intertexte peut violer le style de l'auteur et nuire à l'effet littéraire recherché, en particulier si l'intertexte se veut subtil.

L'adaptation culturelle représente un choix moins fréquent, mais assez courant pour être relevé. Lorsque l'intertexte est jugé trop difficilement transposable tel quel dans la langue-cible, généralement parce que les cultures diffèrent de manière trop importante, il est envisageable d'opter pour un équivalent culturel. Le traducteur procède donc à une substitution de l'intertexte par un autre, qu'il estime plus adapté au public-cible, car culturellement plus proche de lui.

Substitution of culture-specific terms of the source-language for their cultural or functional equivalents in the target language can be a very useful technique when immediate comprehension is required of the recipient children audience, as these cultural equivalents provide a straightforward referential shortcut and very often are more expressive than a neutral explanatory translation.56

54 Venuti, Op.cit., p.19

55 Venuti, Op.cit., p.20

56 González Cascallana, Op.cit., p.140

Cette stratégie présente l'avantage non négligeable de faciliter grandement la compréhension en offrant une référence immédiatement familière au lecteur. Ce

« referential shortcut », ou « raccourci référentiel » est sans doute plus fluide, expressif et stylistiquement intéressant qu'une laborieuse explicitation de l'intertexte original.

Une telle approche traductive n'aspire pas à la fidélité d'un point de vue sémantique, mais s'attache en revanche à une fidélité de type « reader-reponse », en cherchant à produire sur le lecteur du texte-cible le même effet que produit l'intertexte original sur son lecteur. Venuti prône la recréation d’un intertexte adapté à la culture-cible, au nom d’une « transmission limpide » du sens et des enjeux du texte, et de « l’autonomie relative du texte traduit »57 vis-à-vis de l’original :

[L]a possibilité même de traduire la plupart des intertextes étrangers en totalité ou avec exactitude est si restreinte qu’elle en est pratiquement nulle. Par conséquent, ces intertextes sont généralement remplacés par des relations intertextuelles analogues mais, en définitive, différentes, dans la langue réceptrice. La création d’un intertexte récepteur permet à une traduction d’être lue et comprise par les lecteurs de la langue de traduction.58

Remarquable lorsqu'elle est bien exécutée, l'adaptation culturelle comporte toutefois l'inconvénient de s'éloigner considérablement de la matière de l'original et doit être maniée avec précaution afin de ne pas trahir l'esprit du texte-source. On pourrait également lui reprocher de rétrécir l'horizon du lecteur en le ramenant à ce qu'il connaît déjà au lieu de l'inciter à marcher en terrain inconnu.

La dernière stratégie répertoriée est la non-traduction, c'est-à-dire l'élision délibérée de la référence. Dans ce cas, l'intertexte présent dans la version originale est complètement passé sous silence dans la traduction, au point que le lecteur du texte-cible n'est pas même en mesure de soupçonner son existence. Bien qu'un traducteur puisse avoir des motifs compréhensibles qui le poussent à opter pour l'élision, ce procédé est globalement critiqué dans l'univers de la traduction comme une solution facile et peu respectueuse à l'égard du texte original et de la pensée de l'auteur.

57 Venuti, Op.cit., p.39

58 Ibid., p.39

Cascallana se fait l'écho de l'avis général en signalant que « deletion should always be the last resort and translators should make the effort to retain "everything" ».59

Nous avons cherché ici à définir brièvement la notion complexe d’intertextualité. Nous nous sommes ensuite efforcée de relever les mérites de ce phénomène littéraire, ainsi que les différents outils dont dispose le traducteur ayant pour tâche de restituer dans le texte-cible un intertexte présent dans le texte-source. Il s'agira à présent d'observer comment le traducteur de Pullman a, pour sa part, négocié l'intertextualité présente dans Northern Lights.

I.2. L'intertexte miltonien chez Pullman