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Depuis le milieu des années 1970, sous l’influence de la psychologie cognitive, le monde de l’éducation a commencé à s’intéresser aux stratégies d’apprentissage. On estimait qu’une meilleure connaissance des démarches et des schémas employés par les experts pourrait mener à de meilleures pratiques pédagogiques. Les stratégies employées spontanément par les étudiants ont été décrites et théorisées de multiples manières (Bégin, 2008; Kouba, 1989 ; O’Malley, Chamot, Stewner-Manzanares, Kupper et Russo, 1985 ; Paris, Lipson et Wilson, 1983 ; Weinstein et Mayer, 1986). Bien qu’aucune taxonomie ne fasse consensus, il est assez fréquent de distinguer les stratégies en trois grandes catégories : les stratégies cognitives, les stratégies métacognitives et les stratégies socioaffectives (Ardasheva, Wang, Adesope et Valentine., 2017). Les stratégies employées spontanément par les étudiants ont été associées à divers traits démographiques et psychologiques, comme l’âge, le sexe, le style cognitif, la motivation, l’autonomie, les croyances épistémologiques, et la conscience de ses propres opérations mentales (Montague et Boss, 1990 ; Oxford et Nyikos, 1989 ; Ryan, 1984). Des différences en fonction du niveau de performance ont aussi été observées dans divers domaines d’apprentissage, comme la compréhension de textes, les mathématiques et l’apprentissage de l’anglais langue seconde (Anderson, 1991 ; Golinkoff, 1975 ; Pockey et Blumenfeld, 1990 ; Zimmerman et Martinez- Pons, 1990).

La recherche dans ce domaine a participé au développement d’une approche pédagogique très efficace : l’enseignement explicite. Des centaines d’études expérimentales ont démontré ses retombées positives sur la réussite scolaire (Ardasheva et al., 2017; Berkeley et Lason, 2018 ; Chiu, 1998 ; Dennis et al., 2016; Donker, de Boer, Kostons, Dignath van Ewijk, et van der Werf, 2014; Dignath et Bütter, 2008 ; Dignath, Bütter, et Langfeldt, 2008 ; Hattie, Biggs et Purdie, 1996 ; Manchón, 2018 ; Plonsky, 2011 ; Swanson, Lussier et Orosco, 2013).

Stratégies et solfège

Malheureusement, très peu de recherches se sont intéressées aux stratégies utilisées en solfège chez les étudiants en musique de niveau collégial. La première étude (Thompson, 2003 ;

Thompson, 2004) visait à explorer les stratégies employées pour décoder les hauteurs sonores. Elle a été réalisée auprès de 22 étudiants en musique de niveau collégial et de 100 musiciens professionnels. Après avoir interrogé les participants en entrevue et par questionnaire, l’autrice a réalisé des analyses de contenu thématique et a proposé six métaphores pour décrire les stratégies qu’ils employaient : celle du « tonal-thinker » (approche par fonction tonale), celle du « builder » (approche par intervalles), celle du « button-pusher » (s’imaginer en train de jouer les notes sur son instrument de musique), celle du « follower » (suivre les autres chanteurs), « contour-signer » (suivre le contour mélodique) et celle du « pitcher » (oreille absolue). Les métaphores de Thompson sont utiles pour décrire diverses approches stratégiques, mais ne concernent que les hauteurs sonores.

Vujović et Bogunović (2012) ont mené une étude auprès de 89 étudiants en musique de niveau universitaire pour étudier les stratégies cognitives employées durant la préparation et l’interprétation de lectures à vue. Les auteurs ont exploré les relations entre ces stratégies et diverses caractéristiques individuelles, notamment le programme d’études, le sexe, le nombre d’années d’expérience en formation auditive et le sentiment de compétence en lecture à vue chantée. Les étudiants des profils d’interprétation prêtaient plus attention aux petites relations musicales et employaient davantage leur instrument de musique pour déceler leurs erreurs. En revanche, ils s’intéressaient moins à la progression harmonique que les étudiants des profils théoriques. En ce qui concerne les différences liées au sexe, les auteurs ont observé que les femmes avaient une meilleure opinion de leur niveau de lecture que les hommes et qu’elles analysaient aussi plus fréquemment leurs mélodies avant de les chanter. Pour ce qui est du niveau d’expertise en solfège, les plus expérimentés recouraient plus fréquemment à l’harmonie et se référaient moins souvent à la tonique. Enfin, les auteurs ont associé le sentiment de compétence à une utilisation plus fréquente du chant intérieur et de l’analyse musicale. Cette étude exploratoire démontre que les stratégies utilisées varient en fonction des caractéristiques individuelles et suggère qu’elles pourraient être associées à la performance en solfège. Toutefois, l’étude comporte de nombreuses limites, principalement en ce qui concerne le choix des variables étudiées et la validité des mesures. Notamment, les autrices ont omis plusieurs variables importantes, elles n’expliquent pas comment les stratégies ont été choisies et évaluées, et elles ont employé une mesure inadéquate (autoévaluation) de la performance en solfège.

Dans notre mémoire de maîtrise (Fournier, 2015 ; Fournier et al., 2019), nous avons recensé, décrit et catégorisé les stratégies liées à l’apprentissage du solfège. Pour y parvenir, nous avons réuni des sources documentaires variées (5 études scientifiques, 2 écrits professionnels, 2 méthodes pédagogiques) et réalisé des entrevues auprès de 4 étudiants en musique et de 2 enseignants de formation auditive. En réalisant une analyse de contenu thématique à codage ouvert dans l’ensemble du corpus, nous avons établi une liste de 72 stratégies relatives à l’apprentissage du solfège et les avons regroupées en principaux thèmes : les stratégies liées aux mécanismes de lecture (décodage ; construction des modèles schématiques ; confirmation et intégration), les stratégies liées à l’exécution d’une lecture mélodique (préparation ; performance), les stratégies d’acquisition des habiletés (enrichissement du vocabulaire musical ; association symbolique ; intériorisation ; techniques de répétition) et les stratégies de soutien à l’apprentissage (autorégulation ; gestion du temps ; attention ; stress ; motivation). Cette recherche nous a permis de dresser un premier inventaire des stratégies liées au solfège. Les descriptions qui les accompagnent et le classement proposé permettent une certaine utilisation pédagogique, mais plusieurs éléments importants restent à étudier. D’abord, la liste des stratégies n’a pas encore été l’objet d’une validation et il est probable que certains items doivent être encore précisés. En effet, certaines thématiques, notamment celles liées au stress et à la motivation, avaient soulevé un intérêt chez plusieurs étudiants, mais nous avions trouvé que très peu de stratégies à inclure dans notre inventaire. Ensuite, la catégorisation proposée pour classer les différentes stratégies n’a pas été validée empiriquement. Les stratégies regroupées au sein des mêmes sous-catégories partagent-elles véritablement des liens entre elles ? Par ailleurs, notre mémoire de maîtrise n’a pas permis d’explorer l’utilisation véritable des stratégies chez les étudiants en musique, notamment pour comprendre comment elles s’organisent chez les individus, pour explorer les liens entre ces stratégies et diverses caractéristiques individuelles, et pour en mesurer les effets sur la réussite en lecture à vue chantée.

Enfin, Carlson (2016) constitue la plus récente étude à s’être intéressée aux stratégies employées pour chanter à vue, dans le contexte des répétitions de chorale. Quarante-huit choristes professionnels et chefs de chœur ont été recrutés pour participer à un groupe de discussion d’une durée de 60 à 90 minutes. Parmi les questions posées, on leur a demandé de décrire les techniques qu’ils employaient pour lire la musique durant les répétitions. Pour trouver leurs notes, les choristes réfléchissaient principalement aux intervalles et à l’harmonie. Pour éviter de refaire les

mêmes erreurs, ils avaient aussi l’habitude d’annoter leurs partitions, notamment en indiquant le nom des intervalles, le nom des notes et les temps de la mesure. Les choristes recherchaient aussi des repères dans les autres voix et utilisaient le contexte musical pour anticiper la suite des mélodies. Lors d’une audition, ils restaient à l’affût des notes de références et s’efforçaient de garder une attitude positive.

Synthèse

Les recherches sur les stratégies que nous venons de présenter demeurent fragmentaires. Si nous connaissons un peu mieux la diversité des stratégies pouvant être employées pour chanter à première vue une mélodie inconnue (Carlson, 2016 ; Fournier, 2015 ; Fournier et al., 2019 ; Thompson, 2003 ; Thompson, 2004), nous en savons encore très peu sur leur utilisation réelle, leur contexte d’acquisition et leur rôle dans la réussite. Une seule étude a exploré ces associations et elle comprend de sérieuses limites (Vujović et Bogunović, 2012). Notamment, l’absence de mesure objective de la lecture à vue chantée.