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Afin de choisir les instruments de mesure adaptés à notre recherche, nous avons recensé les publications comprenant une mesure de la lecture à vue chantée chez les étudiants en musique de niveau collégial. La synthèse qui suit se rapporte donc aux différentes mesures de la lecture à vue chantée utilisées dans les recherches. Dans la prochaine section, nous passerons en revue la nature des tests employés, les procédures adoptées par les auteurs ainsi que les critères d’évaluation retenus.

Nature des tests

Différents tests ont été utilisés pour mesurer la lecture à vue chantée dans les recherches. Selon les objectifs poursuivis, on a principalement utilisé des mélodies du répertoire, des exercices composés, des résultats scolaires et des tests standardisés. Voyons-les un peu plus en détail. Ceux qui ont choisi d’emprunter ou d’adapter des mélodies du répertoire l’ont fait principalement pour garantir la validité écologique des instruments (Barnes, 1960 ; Boyle et Lucas, 1990 ; Danfelt, 1970 ; Larson, 1977; Mann, 1991 ; Marquis, 1963 ; Nelson, 1970 ; Ottman, 1956 ; Rodeheaver, 1972 ; Lueft, 1974 ; Smith, 1968 ; Tucker, 1969). En employant de vraies mélodies, la mesure de la lecture à vue correspond au vrai contexte de lecture à vue chantée, tel

qu’il se présente dans les cours de formation auditive. Toutefois, utiliser des mélodies du répertoire comprend aussi certains risques. D’abord, on ne peut pas s’assurer que les mélodies choisies soient réellement inconnues de tous les participants. Ensuite, il est difficile d’équilibrer le niveau de difficulté des mélodies. Cette situation devient particulièrement problématique dans les designs de recherche où deux versions équivalentes d’un même test doivent être utilisées à deux moments distincts.

Afin de réduire ces sources de biais et de garantir que les instruments répondent à leurs besoins, plusieurs chercheurs ont préféré développer leurs propres outils d’évaluation. Les motifs évoqués pour construire eux-mêmes leurs tests sont très variés : inclure des éléments musicaux spécifiquement reliés aux questions de recherche (Brown, 2001 ; Hung, 2012 ; Furby, 2008 ; Marquis, 1963 ; Read, 1968) ; contrôler l’équivalence des mélodies utilisées dans le prétest et le post-test (Danfelt, 1970 ; Smith, 1968) ; éliminer le risque que des participants connaissent déjà le matériel (Nelson, 1970); et permettre des comparaisons avec d’autres matières (Scripp, 1995 ; Thostenson, 1966). En développant leur propre matériel, les chercheurs réduisent ainsi les sources de biais soulevées plus haut, mais risquent également de diminuer la validité écologique. De plus, il peut sembler risqué de mettre au point un instrument de mesure sans le valider auparavant.

Pour cette raison, trois tests de lecture à vue chantée ont été développés avec l’intention de pouvoir être utilisés en recherche avec des étudiants de niveau collégial. Il s’agit du Otterstein et

Mosher sight singing test (Otterstein et Mosher, 1932), du Cooper sight singing achievement test (Cooper,

1965) et du Belwin-Mills singing achievement test (Bowles, 1971). Chacun comporte des forces et des faiblesses.

Le Otterstein et Mosher sight-singing test (O-M) a été développé en 1932 et comprend 28 mélodies graduées de 8 mesures à caractère diatonique. La procédure d’évaluation est simple. Après avoir entendu l’arpège de tonique, le participant doit chanter chaque mélodie au tempo de son choix et est évalué selon deux critères : l’exactitude des hauteurs, à raison d’un point par mesure réussie ; l’exactitude du rythme, à raison d’un point par mesure réussie. Ce test a été rarement utilisé dans le cadre de recherches (Scofield, 1979 ; Zimmermann, 1962). On lui a reproché ses erreurs de terminologie (Ortmann, 1933), sa trop grande simplicité (Barnes, 1960) et son temps d’administration trop long (Henry, 2001).

Le Belwin-Mills singing achievement test est le seul instrument publié pour évaluer la lecture à vue chantée. Développé par Richard Bowles en 1971, il comprend 14 mélodies graduées, en do majeur, d’une longueur de 8 mesures et inclut des métriques composées, des doubles croches et du chromatisme. Chaque mesure exécutée sans erreur de hauteur ou de rythme vaut un point, pour un score maximal de 112. Ce test a été utilisé principalement pour établir des groupes de comparaison (Goolsby, 1987 ; Goolsby, 1989 ; Goolsby, 1994 ; Parker, 1979 ; Platte, 1981). Une seule recherche l’a retenu pour évaluer le niveau de lecture à vue chantée en contexte quasi expérimental (Meyer, 1981). Nous estimons cependant que son niveau de difficulté est trop faible pour les étudiants en musique de niveau collégial.

Le Cooper sight singing achievement test a été développé dans le cadre d’une thèse doctorale (Cooper, 1965). Il se décline en deux versions équivalentes qui comprennent chacune 10 mélodies à caractère diatonique et chromatique. L’auteur a pris soin de composer des mélodies conformes à l’esthétique des 18e et 19e siècles contenant une variété d’intervalles, de rythmes, de métriques,

de tempos et de tonalités. La procédure d’administration est la suivante : après avoir entendu le métronome, l’arpège de tonique et la note de départ, les participants chantent chacune des mélodies jusqu’à la fin. L’évaluation porte sur l’exactitude des hauteurs, à raison d’un point par note, et sur l’exactitude des durées, à raison d’un point par figure de note ou de silence. Le participant est autorisé à reprendre du début sans pénalité s’il s’interrompt avant d’avoir complété la première mesure. Il lui est également permis de corriger, sans pénalité, une erreur de note ou de rythme qu’il vient immédiatement de commettre. Les performances sont enregistrées afin d’être évaluées ultérieurement. Peu d’auteurs ont commenté ce test, mais Graves (1980) estimait que la procédure d’évaluation était trop longue. Pour sa part, Parker (1979) a jugé que les deux formes du test étaient suffisamment équivalentes pour les besoins de son étude expérimentale avec prétest et post-test.

Enfin, plusieurs recherches ont utilisé les résultats scolaires en solfège (Arenson, 1983 ; Bogard, 1983 ; Chadwick, 1933 ; Harrison, 1987 ; Harrison, 1990 ; Harrison et al., 1994 ; Schleuter, 1983). Les résultats scolaires n’offrent pas une mesure pure de la lecture à vue chantée, puisqu’ils peuvent inclure aussi d’autres évaluations ne mesurant pas la lecture à vue chantée (ex. : intervalles isolés, mélodies préparées). De plus, aucun contrôle ne peut être exercé par le chercheur pour assurer la validité des évaluations. En revanche, les résultats scolaires demeurent les mesures les plus appropriées pour étudier la réussite dans les cours de solfège.

Procédures d’évaluation

Les recherches ne sont pas toutes transparentes sur les procédures d’évaluation employées. En général, elles comprennent des périodes de préparation, mais de durée très variable. Certains tests ne prévoient que quelques secondes pour établir la tonalité et la métrique (Brown, 2001 ; Marquis, 1963 ; Meyer, 1981 ; Ottman, 1956 ; Scofield, 1979 ; Scripp, 1995 ; Tucker, 1969), tandis que d’autres permettent un temps de préparation équivalent à la durée d’une exécution (Barnes, 1960). Afin de standardiser la procédure d’évaluation, Brown (2001) a enregistré sur support audionumérique l’ensemble des consignes et des exemples audios requis pour le test.

Critères d’évaluation

Le critère d’évaluation le plus utilisé dans les recherches est celui de l’exactitude des notes (Arenson, 1983; Barnes, 1960 ; Boyle et Lucas, 1990 ; Brown, 2001; Danfelt, 1970 ; Egan, 1995 ; Furby, 2008 ; Harrison, 1987; Harrison, 1990; Harrison et al., 1994; Hung, 2012; Larson, 1977; Lueft, 1974 ; Mann, 1991; Marquis, 1963; Nelson, 1970; Ottman, 1956; Parker, 1979; Read, 1968; Rodeheaver, 1972 ; Scripp, 1995 ; Schleuter, 1983 ; Scofield, 1979 ; Smith, 1968 ; Teixeira Dos Santos, 2010; Tucker, 1969). Lorsqu’un seuil de justesse est précisé, c’est pour indiquer une tolérance pouvant atteindre jusqu’à un quart de ton (Boyle et Lucas, 1990 ; Furby, 2008 ; Hung, 2012 ; Scripp, 1995). Quelques recherches prévoient des pondérations particulières pour les notes répétées (Barnes, 1960 ; Boyle et Lucas, 1990 ; Parker, 1979 ; Scripp, 1995, Tucker, 1969), les omissions (Scripp, 1995), les retours en arrière (Hung, 2012; Parker, 1979; Scripp, 1995; Tucker, 1969), les décalages mélodiques (Barnes, 1960; Brown, 2001; Scripp, 1995; Teixeira Dos Santos, 2010) ou les changements de tonalité (Boyle et Lucas, 1970 ; Brown, 2001 ; Scripp, 1995 ; Schleuter, 1983; Teixeira Dos Santos, 2010 ; Tucker, 1969).

Le second critère d’évaluation utilisé dans les études est celui de la précision rythmique et on accorde généralement un point par figure bien exécutée (Egan, 1995 ; Furby, 2008 ; Larson, 1977; Lueft, 1974 ; Mann, 1991 ; Marquis, 1963 ; Nelson, 1970 ; Parker, 1979; Read, 1968; Rodeheaver, 1972 ; Scripp, 1995 ; Scofield, 1979 ; Smith, 1968 ; Teixeira Dos Santos, 2010 ; Tucker, 1969). Quelques études ont aussi attribué une pondération pour la stabilité du tempo (Egan, 1995 ; Lueft, 1974 ; Parker, 1979 ; Read, 1978 ; Schleuter, 1983 ; Teixeira Dos Santos, 2010 ; Tucker, 1979).

Enfin, certaines études ont inclus des critères relatifs à la fluidité (Teixeira Dos Santos, 2010), au phrasé (Teixeira Dos Santos, 2010 ; Egan, 1995 ; Schleuter, 1983) et aux nuances (Teixeira Dos Santos, 2010 ; Egan, 1995 ; Read, 1968 ; Schleuter, 1983).

Synthèse

La littérature recensée révèle que les chercheurs emploient une grande variété de tests, de procédures et de critères pour évaluer la lecture à vue chantée. Aucun instrument d’évaluation ne semble être encore pleinement satisfaisant. Les critères d’évaluation employés montrent une diversité déconcertante. Dans l’état actuel des connaissances, il appartient aux chercheurs de définir les modalités d’évaluation qui répondent le mieux aux besoins de leurs recherches. À moyen terme, il apparait essentiel de poursuivre les recherches sur l’évaluation du solfège.

Problématique

L’état des connaissances sur les approches pédagogiques, les facteurs de réussite et les habiletés essentielles en solfège nous offre peu de pistes concrètes pour améliorer l’enseignement de la formation auditive au collégial et pour soutenir les étudiants dans l’apprentissage du solfège. En survolant la littérature scientifique, nous avons identifié de nombreuses zones d’ombre qui auraient pleinement justifié qu’on leur consacre des thèses entières. Pensons seulement au développement d’instruments valides pour évaluer la lecture à vue chantée, à l’identification des habiletés musicales déterminantes pour apprendre le solfège, ou encore à la mise au point de technologies informatiques capables de fournir des rétroactions personnalisées, de s’adapter aux besoins des étudiants, de multiplier les occasions d’apprentissage, de susciter l’engagement et de favoriser la collaboration. Malgré que chacun de ces sujets aurait pu mener à des projets de recherche tout aussi valables, nous avons préféré consacrer cette thèse à acquérir les connaissances qui manquent pour mettre en place l’enseignement explicite des stratégies en solfège.

Bien que nous sachions que l’enseignement explicite figure parmi les approches pédagogiques les plus efficaces en éducation, elle demeure difficile à mettre en place dans les cours de formation auditive. Les recherches antérieures n’ont pas encore étudié les liens entre les stratégies employées et la réussite en solfège au collégial. Toutes les stratégies sont donc présentées comme si elles jouaient un rôle d’égale importance dans l’apprentissage du solfège, alors que nous ne savons même pas si de telles associations existent. Les étudiants qui se réfèrent

aux intervalles mélodiques ont-ils de meilleurs résultats que ceux qui décodent les hauteurs à l’aide des degrés mélodiques ? Et ceux qui déploient davantage de stratégies de préparation réussissent-ils mieux leurs examens de solfège ? Le savoir nous permettrait de mieux sélectionner les stratégies que nous enseignons.

Les recherches antérieures ont principalement répertorié les stratégies qu’il est possible d’utiliser pour apprendre le solfège, mais leurs regroupements n’ont jamais été validés empiriquement (Fournier, 2015 ; Fournier et al., 2019). Le cadre ainsi offert aux enseignants pour préparer leurs cours demeure de faible qualité. Toutes les stratégies de décodages s’équivalent-elles vraiment ? Les stratégies de préparation sont-elles différentes de celles mobilisées durant la pratique personnelle ? Le savoir nous permettrait de planifier des séquences d’enseignement plus cohérentes.

Les recherches de Thompson (2003 ; 2004) avaient suggéré que plusieurs approches stratégiques pouvaient être employées pour apprendre le solfège, mais celles-ci s’étaient révélées incomplètes, notamment parce qu’elles ne concernaient que de la production des hauteurs sonores et qu’elles n’avaient pas été mises en relation avec la réussite des étudiants en solfège. Les choix stratégiques des étudiants obéissent-ils à une simple logique d’efficacité ou, au-delà de leur utilisation, traduisent-ils plutôt des conceptions différentes de l’apprentissage du solfège ? Le savoir nous permettrait d’amener plus facilement nos étudiants à adopter de nouvelles stratégies.

Mais, pour répondre à ces questions, une autre zone d’ombre doit au préalable être éclaircie. Les recherches ont établi des liens très variés entre les expériences musicales et la réussite en solfège, mais nous ne savons pas quelles expériences musicales sont réellement liées à la réussite. La plupart des recherches n’ont étudié que des relations bivariées, si bien que nous ne savons pas dans quelle mesure les diverses expériences musicales sont liées entre elles. De plus, nous ne savons pas si les liens observés entre les expériences musicales et la réussite en formation auditive s’expliquent totalement ou partiellement par les habiletés musicales acquises. Le savoir nous permettrait de mieux comprendre quelle est la contribution des stratégies dans l’apprentissage du solfège.

Compte tenu des questionnements que nous venons de formuler, ce projet de doctorat propose d’employer le cadre développé dans notre mémoire de maîtrise (Fournier, 2015 ; Fournier et al.,

2019) pour étudier de manière plus systématique les stratégies employées par les étudiants en musique durant l’apprentissage du solfège dans les cours de formation auditive au Cégep. Il comprend quatre questions :

1) Comment les expériences musicales influencent-elles la réussite du test de classement en formation auditive ?

2) Comment caractérise-t-on les principales approches stratégiques en solfège ?

3) Quelle est la valeur empirique du cadre proposé dans notre mémoire de maîtrise (Fournier, 2015 ; Fournier et al., 2019) ?

4) Quel est le rôle des stratégies dans la réussite en solfège ?