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Chapitre 4 : Questions de recherche, méthodologie et présentation du cas

4.2 Méthodologie : Le cas, la collecte des données et la stratégie d’analyse

4.2.3 La stratégie d’analyse

Pour la perspective CCO, toute organisation possède sa propre manière de fonctionner, de diviser les tâches et d’utiliser ses ressources. Les organisations ont également leur propre manière de réagir et de s’adapter aux changements qui ont lieu dans leur environnement. Cette identité particulière s’inscrit et se manifeste dans les discours et les différents échanges entre ses membres. C’est à travers le dialogue que se définit la fonction des différentes divisions de l’organisation et le rôle de chaque employé. Le discours organisationnel est ce qui guide les acteurs dans la réalisation

15 Les documents provenant des ministères népalais, à l’exception des documents conjoints ou destinés aux

grandes organisations internationales, ne sont pour la plupart pas traduits du népalais, nous acceptons ici nous appuyer sur la lecture et l’interprétation des auteurs ici cités.

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des objectifs productifs et collectifs de l’organisation. Chaque acteur porte ce discours et le met en actes dans son travail en tant que membre de l’organisation.

Le travail de coordination a alors pour objectif d’aligner les actions individuelles aux objectifs productifs communs. La coordination nécessite alors des moyens permettant de traduire les activités de chacun des membres dans le discours collectif. Ces moyens permettent d’uniformiser la signification des éléments qui sont pris en compte par les acteurs individuels dans l’orientation de leur travail. Ces moyens peuvent être techniques, comme des appareils physiques traduisant directement les observations en données techniques, comme un voltmètre par exemple, mais ils peuvent également être des textes, des guides et d’autres documents qui nécessitent une traduction au sens plus littéral du terme, en échangeant « mot pour mot » en quelque sorte.

À l’échelle interorganisationnelle, on peut supposer que les moyens de traduction sont ce qui permet, outre les dialogues directs entre les personnes, d’amener les acteurs humains à ajuster le sens de leurs activités et leurs pratiques concrètes avec les activités et des objectifs logistiques onusiens. Dès lors, le système de coordination en situation d’urgence nécessite la production d’un discours et une représentation du travail logistique, des rôles des tâches, et des situations. Une part de son travail est alors de générer des conditions où il sera à même de produire rapidement ce discours dès les premières heures du désastre, pour ensuite l’actualiser au fur et à mesure du progrès de l’intervention. Selon les thèses de la CCO et la sociologie de la traduction, on peut en effet comprendre le rôle de coordonnateur logistique d’urgence comme un rôle de production et de diffusion des représentations proprement logistiques de l’environnement humanitaire, mais aussi comme une responsabilité de répartition des tâches et des modes de fonctionnement logistiques aux acteurs du réseau. Pour ce faire, le responsable de la coordination doit donc déployer des moyens de coordination, des outils médiateurs capables de jouer le rôle d’intermédiaire, de « traducteur » entre les organisations. Comme nous l’avons présenté en traitant des thèses de Cooren (2015) durant la présentation de notre cadre théorique, une part de ces moyens de traduction passe par les documents et les textes produits au nom de l’organisation.

En ce sens, pour analyser les moyens de coordination du Cluster logistique a posteriori, nous avons cherché à dénicher les divers textes et documents qui transmettent et reproduisent la division du travail, des rôles, des tâches planifiés par le Cluster et ses partenaires dans la communication réalisée durant un déploiement d’urgence. Plus encore, en continuité avec les

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thèses de Wolbers (2016), nous avons tenté de comprendre comment ces moyens de traduction permettent aux organisations périphériques de faire les apprentissages nécessaires passer les frontières limitant leur capacité à s’insérer pleinement dans le système logistique onusien en termes de connaissance des normes, du sens des informations et de standards.

Notre stratégie de recherche repose sur une analyse des documents produits par le Cluster logistique dans son effort de coordination lors de l’intervention d’urgence au Népal en 2015. Notre travail a pour but de clarifier quels sont les documents qui participent au processus de traduction des activités et d’orientation des acteurs. Nous cherchons à comprendre quelles sont les informations sélectionnées pour la diffusion, quels sont les rôles distribués par les textes, quelles sont les tâches qui s’y rapportent, etc. Dans la mesure où la stratégie de coordination par cluster est une initiative issue du Conseil général de l’ONU et des organisations mandataires, qui découle de la résolution 46/182 de 1991, nous avons d’abord cherché à reconstituer le mandat du Cluster logistique à travers l’analyse des documents qui ont donné naissance au « système de Cluster ».

À travers cette première analyse, nous avons voulu identifier une part des éléments qui pourrait avoir servi à construire les relations entre les membres des divers clusters. En d’autres termes, nous avons cherché à identifier les discours humanitaires mis de l’avant par l’ONU et ses agences, dans l’élaboration des principes guides et des valeurs qui sont inscrits dans le mandat du Cluster logistique. Cette analyse a été réalisée à partir du texte fondateur, puis à partir des textes associés aux deux réformes du système de coordination onusien. Nous avons également cherché à identifier comment ce système a été mis en place sur le terrain avec le concours des partenaires nationaux. Nous avons alors analysé les plans de préparation et de renforcement de la capacité de réponse qu’a préparés le gouvernement népalais conjointement le Programme alimentaire mondial (WFP) et le Cluster logistique.

À partir de cette première analyse, nous avons voulu brosser un portrait général du discours organisationnel qui a servi de justification à la mise en place de l’organisation qu’est le Cluster logistique. À travers l’analyse des textes traitants du processus de préparation avant l’événement, nous avons cherché à comprendre la manière dont le mandat accordé au Cluster logistique se traduit sur le terrain dans l’organisation du système logistique. Les rapports produits par le gouvernement du Népal, le Programme alimentaire mondial et le Cluster logistique permettent d’identifier qui a été consulté, quel type d’organisations sont impliquées dans la

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préparation, quels sont les outils mécaniques et techniques dont ils disposent, comment a été réfléchi le système d’entrepôt et de transport en situation d’urgence, etc.

Le dernier volet de notre stratégie d’analyse est alors tout naturellement orienté sur l’examen des documents produits par le Cluster logistique durant l’intervention. Nous faisons ici la supposition que ces documents font partie des moyens mobilisés par le Cluster logistique pour la coordination des membres du réseau central et les acteurs qui lui sont périphériques. En effet, le guide de gestion de l’information produit par le Cluster logistique (Logistics Cluster, 2017b) suggère différentes fonctions coordonnatrices explicites pour ces documents. En prenant en compte leurs types, le moment de leur publication, leur contenu et leurs transformations progressives au fur et à mesure de l’intervention, nous avons cherché à comprendre comment ils remplissent leur rôle d’intermédiaires entre le Cluster et les organisations partenaires pour les coordonner, et la manière dont ils servent le dialogue interorganisationnel entre la périphérie et le centre.

Notre examen préliminaire a permis de cibler certaines des activités principales, notamment le transit du cargo aéroportuaire, les activités douanières et la gestion des contraintes à la distribution. De nombreux documents du Cluster sont dédiés à cette tâche, que ce soit pour promouvoir le service, l’expliquer, le détailler, accompagner ou réajuster les opérations.

Ces analyses devraient alors permettre de mieux comprendre la manière dont les textes et les documents participent de la coordination des chaînes logistiques en situation d’urgence en diffusant un certain programme d’action et la façon dont ils permettent d’intégrer les acteurs périphériques aux activités du noyau logistique central en opérant un processus de traduction au sens de Callon (1984).