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Chapitre 2 : Les mécanismes de coordination des chaînes logistiques post-désastre, une revue de

2.3 Conclusion

Notre revue de la littérature suggère qu’il y a place à amélioration en ce qui a trait à l’analyse du travail de coordination en situation d’urgence. En effet, si Wolbers et Roberts nous amènent à nous interroger sur la manière dont peut s’opérer le travail permettant de coordonner les activités des organisations périphériques avec les organisations directement impliquées dans le système de coordination logistique, nos recherches préliminaires exposent un manque dans la recherche portant explicitement sur les outils et les mécanismes permettant de réaliser cette coordination.

8 Les travaux de Fredriksen (2012, 2014, 2016), portent sur les processus de « valuation » du réel qu’opèrent

les organisations humanitaires. En ce sens, ses études explorent la manière dont se produit la mise en forme de l’identité de l’action à travers un processus de construction sociotechnique du réel et du jeu politique qui l’entoure. Le processus de « qualculation » imaginé par Latour est ici employé afin d’exposer comment les organisations se reposent sur des outils d’évaluation alliant des dimensions qualitative et quantitative pour construire leur représentation des situations et de l’environnement humanitaires. Taux de risque, taux de destruction, échelle d’évaluation des dommages et autres outils sont alors considérés comme des « qualculations » du réel.

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Les études tirées des écoles de gestion et leurs études centrées sur l’optimisation des chaînes d’approvisionnement d’urgence vont généralement préférer réaliser des études de statistiques itératives et des analyses stochastiques plutôt que de s’intéresser à la question de la gestion des relations et les processus de construction des réseaux d’acteurs. Par contre, certaines études relationnelles prennent acte des enjeux soulevés par Wolbers (2016) en traitant des questions de partage efficace de l’information et des différents facteurs contextuels ayant une influence sur la structure des relations dans les réseaux humanitaires. Dans l’étude d’Hardy et al. (2003), par exemple, la question de la passation des frontières interorganisationnelles (frontières de connaissances, cognitives, ou fonctionnelles) telle que l’évoque Wolbers (2016) est abordée dans la mesure où l’on s’intéresse à elle pour comprendre la manière dont l’échange d’informations permet de consolider des liens, des activités communes afin d’augmenter la « centralité » des organisations secondaires dans le réseau principal d’acteurs. L’étude de Hardy est particulièrement intéressante dans la mesure où elle expose l’effet de négociation des activités qu’engendre le partage d’information entre deux organisations, notamment, dans ce cas-ci, en affectant la manière dont l’une des organisations travaille sur le terrain en fonction des connaissances de la seconde organisation sur la population et l’environnement local (Hardy et al., 2003, p. 334-335). Elle expose comment ce processus de négociation peut se produire. Elle souligne également les conditions dans lesquelles les dialogues interorganisationnels sont productifs en des termes d’amélioration de l’accès aux ressources, de création de connaissances et d’accroissement de l’influence.

Seulement, comme nous le disions, dans une logique d’optimisation, les études relationnelles comme celles de Hardy vont surtout chercher à comprendre comment certaines variables vont affecter la qualité des relations interorganisationnelles, voire comment ces variables permettent un déplacement des organisations dans la structure du réseau, mais ne vont pas s’intéresser expressément au processus d’organisation des relations en vue d’une coordination des opérations logistiques. Il devient alors intéressant de se pencher plus clairement sur les mécanismes de coordination en eux-mêmes. Sur les outils, les personnes, les textes, bref, sur les moyens qui sont utilisés par le Cluster logistique pour coordonner les activités des intervenants en faveur du système logistique d’urgence.

À cet égard, les approches étudiées dans notre revue de littérature ne permettent pas de comprendre comment et à travers quoi est effectué ce travail de négociation d’urgence entre les

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organisations impliquées. Elles ne permettent pas non plus d’étudier ce processus lorsque les relations interorganisationnelles sont médiées par des outils techniques et des mécanismes de coordination comme ce peut être le cas dans le système logistique dirigé par le Cluster logistique. Si l’on va un peu plus loin, elles ne détaillent. pas le rôle des textes et des documents dans ce processus à travers une analyse compréhensive du travail de coordination en lui-même.

En cela, il semble pertinent d’analyser les processus de coordination des activités logistiques en situation d’urgence d’un point de vue communicationnel, notamment à travers l’analyse du rôle des documents comme médiateurs interorganisationnels ou comme médiateurs des systèmes d’activités en tension entre les acteurs. Cette approche permet, comme le font Hardy et al., de prendre en compte le rôle constitutif de la communication et du dialogue dans la mise en forme des activités respectives entretenues entre les organisations et son impact sur le fonctionnement de leurs activités respectives. En ce sens, il devient alors possible d’identifier une part probable du processus de construction du réseau logistique global unissant les activités des acteurs centraux et des acteurs périphériques.

En nous inspirant du cadre Latourien de Fredriksen (2012, 2014), mais plus encore de la sociologie de la traduction chez Callon et de l’approche constitutive de la communication (Cooren, 2015; Taylor, 1993), il devient possible d’analyser explicitement les processus de coordination des activités en situation d’urgence dont est responsable le Cluster logistique. L’analyse de la fonction organisationnelle de la communication permet de mettre en évidence et de caractériser la manière dont les outils techniques et les documents agissent à titre de médiateurs, comme agents de « logisticisation » dans le système mis en place par le Cluster logistique onusien et donc de mieux comprendre la manière dont s’opèrent possiblement les processus de coordination d’urgence dans l’environnement humanitaire.