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2. D ETERMINATION DU STOCK CARBONE AERIEN ET SOUTERRAIN DE LA VALLEE

2.2.2.4. Le stock carboné

Les différences de stock carboné entre les deux catégories de profils sont relativement importantes (Tableau 17): les secteurs sous couvert possèdent un stock carboné 2,3 fois plus élevé que les secteurs hors couvert, représentant une différence de 29 t/ha.

Surface (ha)

Carbone organique Sous couvert (t/ha)

Carbone organique Hors couvert (t/ha)

Carbone organique Total (t/ha)

Recouvrement par le Thurifère: 10% 819 62 (3,9) 27 (0,7) 31 (0,7)

Recouvrement par le Thurifère: 23% 1088 42 (2,3) 16 (0,5) 22 (0,6)

Recouvrement par le Thurifère: 29% 260 50 (3,4) 27 (0,7) 34 (1,1)

Recouvrement par le Thurifère: 76% 17 89 (6,1) 34 (0,8) 76 (4,7)

Thuriféraie totale 51 (3,0) 22 (0,6) 27 (0,8)

() écart type

Tableau 17: Stock carboné souterrain de la Thuriféraie

En l'absence de xérophytes et de plantes herbacées sous la couronne des arbres, cet enrichissement en carbone organique des niveaux superficiels (surtout sensible dans les 15 premiers centimètres), peut être principalement attribué à la présence du Thurifère.

De ces résultats, il ressort donc que la Thuriféraie de la vallée de l'Azzaden, avec une surface de 2184 ha, fixe au total environ 59 000 tonnes de carbone organique souterrain, soit une moyenne de 27 T/ha. Si l'on rapproche ces résultats de ceux obtenus par Dobremez (1979) sur les sols Himalayens dans une formation forestière du Subalpin supérieur sec (environ 70 t/ha), il apparaît que le stock carboné de cette Thuriféraie est faible. Les résultats obtenus par McDaniel & Graham (1992) sur des formations arborée semi-arides (Pins-Genévriers) du nord-ouest des États-Unis, selon lesquels hors couvert le stock carboné varie de 62 à 168 t/ha, alors que sous le couvert des arbres il varie de 591 à 594 t/ha, vont dans le même sens.

Le stock carboné de ce milieu apparaît donc faible comparé à des milieu écologiquement ou structurellement similaires, ce que confirment les travaux de Zinke et al. (1984) qui synthétisent les données obtenues pour les différents écosystèmes terrestres par divers auteurs, et avancent pour les écosystèmes méditerranéens arborés, arbustifs, ou de savane, un stock carboné moyen de 75 t/ha. Selon ces auteurs, le stock carboné que nous avons obtenu

pour la vallée de l'Azzaden situerait cet écosystème méditerranéen d'altitude au même niveau que les "déserts arbustifs".

2.2.3. Conclusion

La comparaison des densités apparentes du sol et de la terre fine entre les différents profils révèle une augmentation de la densité apparente selon un gradient vertical (de la surface vers les horizons profonds) en liaison avec une baisse du pourcentage de terre fine, et horizontal (des secteurs sous couvert vers les secteurs hors couvert). Cette différence entre profils sous couvert et hors couvert résulte principalement de l'absence d'horizon humifère dans ces derniers, suite au décapage des horizons de surface dans les zones non protégées par la couronne des arbres. Les conséquences de cette érosion du manteau humifère sont tout d'abord sensibles au niveau du pH. En effet, bien que le substrat soit acide, le pH mesuré sous le houppier des Thurifères est toujours supérieur à 7, même en profondeur. L'arbre génère donc sous son couvert un microédaphisme particulièrement visible lors de l'étude du carbone organique.

Sous couvert, nous avons enregistré des pourcentages de carbone dans les horizons superficiels, quatre à sept fois plus élevés que dans les profils réalisés entre les arbres. En outre, la diminution des taux de carbone organique avec la profondeur est très marquée (passage de 4 à 0,2%), traduisant un état "d'équilibre" ou biostasie, que l'on ne retrouve pas dans les profils hors couvert, pour lesquels on observe une répartition homogène du carbone organique sur tout le profil. Cet isohumisme que certains auteurs attribuent au brassage des niveaux superficiels (Baudière & Serve, 1971; Fromard, 1978; Gauquelin & Baudière, 1981; Gauquelin, 1988) révèle une instabilité (rhexistasie) qui s'explique aux hautes altitudes par l'intensité des phénomènes périglaciaires (gélifluxion et cryoturbation), et aux altitudes plus basses par l'érosion éolienne, le ruissellement et le piétinement des troupeaux, phénomènes favorisés par la diminution de la couverture végétale.

Mais ces processus érosifs semblent également responsables d'une certaine redistribution du carbone organique entre les secteurs hors et sous couvert. En effet, dans ces deux types de profils, les taux de carbone organique augmentent avec le recouvrement des Thurifères, ce qui impliquerait pour les espaces inter-canopées un apport actuel en provenance des horizons superficiels des zones sous couvert, ou encore un apport ancien par des arbres aujourd'hui disparus. Pour les zones sous canopée, cette augmentation semble être le fait d'arbres plus

gros dans les secteurs à forte densité de couvert, induisant de ce fait une chute de litière plus abondante, à laquelle s'ajoute également une diminution de l'érosion en liaison avec l'augmentation du recouvrement des arbres.

Convertis en stock carboné, ces résultats permettent d'évaluer à 27 t/ha la quantité moyenne de carbone organique stockée dans la partie souterraine de cet écosystème, valeur que l'on peut considérer comme faible en comparaison des 70 à 75 t/ha obtenues par d'autres auteurs dans des écosystèmes pré-steppiques.

Ces valeurs apparaissent d'autant plus faibles, que la phytomasse du peuplement estimée dans le chapitre précédent, ainsi que le pourcentage de carbone organique, sont relativement élevés, et que les prélèvements au cylindre induisent une estimation par excès. Deux hypothèses peuvent être avancées pour expliquer ce déficit. La première est que le recouvrement moyen de la Thuriféraie est faible (moins de 20%) induisant une faible représentativité des zones sous couvert riches en matières organiques, et la seconde, conséquence de la précédente, est l'importance de l'érosion et du ruissellement, agents principaux d'altération des horizons superficiels les plus humifères. Avec seulement 40 cm de profondeur moyenne, ces sols squelettiques semblent donc inaptes à stocker la totalité du carbone organique issus du fonctionnement de cet écosystème. Comme nous l'avons évoqué dans le chapitre " Les caractéristiques dendrométriques et le sex-ratio de la population ", cette perte de carbone dans le sol entraîne de grave problèmes de régénération du peuplement (Alifriqui, 1993), dont les potentialités de fixation du carbone atmosphérique se trouve réduites, et les risques d'érosion des versants accrus par l'ouverture du milieu. Les thuriféraies du Maroc se trouvent donc dans un cycle de dégradation qui s'auto-alimente puisque l'érosion empêche les germinations et que la faible régénération ôte tout espoir de voir se densifier le peuplement permettant d'atténuer les processus érosifs.

Les résultats, qu'ils soient exprimés en pourcentage de carbone organique dans le sol, ou encore en stock carboné (exprimé en t/ha), convergent donc tous vers la même constatation: le Genévrier thurifère par sa production de litière (11 t/ha/an, d'après Gauquelin et al., 1992 et 1998) est le moteur essentiel du transfert au sol du carbone organique et la protection qu'offre sa couronne constitue l'un des derniers remparts contre la steppisation des ces sols de haute montagne. Le manteau humifère qui se développe sous le couvert de l'arbre revêt une importance écologique considérable: d'une part il constitue avec les xérophytes, l'un dernier

refuge des rares germinations encore observables dans le milieu (Gauquelin, 1988), d'autre part, il a une action stabilisatrice sur la structure du sol et augmente la capacité de stockage de l'eau utilisable par les plantes (Mustin, 1987), phénomène essentiel dans une région où le régime pluviométrique est irrégulier.

Fixateur du carbone atmosphérique, il est donc aussi le principal agent responsable de l'immobilisation du carbone organique dans le sol, ce qui lui confère une place privilégiée dans le cycle du carbone de ces écosystèmes méditerranéens d'altitude.

RÉSUMÉ

Le Stock Carboné Souterrain

9 Substrat: principalement des schistes 9 Profondeur moyenne du sol: 40 cm 9 Densité apparente du sol:

1 Hors couvert: environ 1370 g/l 1 Sous couvert: environ 1140 g/l 9 Pourcentage de terre fine:

1 Hors couvert: 47 ± 20 % 1 Sous couvert: 51 ± 17 % 9 Pourcentage de carbone organique:

1 Hors couvert: Répartition homogène dans le profil (isohumisme) 1 Sous couvert: Diminution en fonction de la profondeur (biostasie) 9 Stock carboné:

1 Hors couvert: 22 t/ha

1 Sous couvert: 51 t/ha