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Sans doute est-ce ceci, cette intrication du sujet et de l’objet, qui crée ici un certain vertige. Lorsqu’un sujet agit sur un objet qui n’est autre que lui-même, il est pris à partie, pour le meilleur ou pour le pire192.

Biotechnologie et stimulation cérébrale profonde.

La SCP, nous l’avons dit en Introduction, est un tout d’abord un soin, au sens donné par le philosophe Frédéric Worms, à savoir comme « toute pratique tendant à soulager un

être vivant de ses besoins matériels ou de ses souffrances vitales, et cela, par égard pour cet être même »193. En ce sens, comme l’explicite Worms, le soin vise à la fois « quelque

chose » (ce que l’on vise à soigner) et à la fois « quelqu’un » (la personne impliquée)194.

191 Ibid. p. 1115.

192 J. Goffette, Naissance de l’anthropotechnie, Paris, Vrin, 2006, p. 10.

193 F. Worms, « Les deux concepts du soin. Vie, médecine, relations morales », Esprit, Janvier 2006, p. 143.

80 Nous ajoutons ici la dimension technologique au sens où cette pratique est constituée d’un appareillage technologique qui, nous l’avons dit en Avant-Propos contient trois éléments principaux : le système d’électrodes (1) relié au boitier (ou pacemaker cérébral) implanté dans le thorax du patient (2) lui-même relié magnétiquement par des boitiers de contrôle (3) ; l’un, appartenant au médecin qui peut gérer et modifier les paramètres de stimulations et l’autre, appartenant au patient qui peut, lui, contrôler la viabilité de sa pile. La SCP, composée de bio matériaux implantables, participe à produire des connaissances à partir de l’humain pour de l’humain. Représentant aujourd’hui un véritable marché économique195, elle peut, à partir de ces critères, être qualifiée de biotechnologie196. Ce choix définitionnel est avant tout épistémologique : « L’activité technique est aussi une activité de connaissance »197.

Si le terme de biotechnologie apparait en 1917198, son contenu est pluriel et s’est depuis enrichi. Comme nous le rappelle Jennifer Kuzma, il y aurait au départ deux manières d’aborder les biotechnologies. La première serait celle de rappeler leur origine : ceux des procédés de fermentation posant les prémisses de l’utilisation de vivants par et pour d’autres vivants. La seconde manière serait de les aborder en se focalisant sur les débuts des manipulations et expérimentations génétiques (XXème siècle) ayant participé à une expansion des discours à leur propos, touchant à la redéfinition des frontières du vivant199. Cette formation d’un nouveau « tropisme » comme le nommerait le philosophe Jérôme Goffette200 permet la fusion épistémologique de deux domaines d’actions propres : la biologie et la technologie, qui n’est pas sans poser un certain nombre de questions. Ces deux domaines en viennent à lier leurs caractéristiques, procédés, usages, afin d’obtenir un résultat commun.

195 En particulier, sur ce sujet, voir la contribution de A. Aranzazu et M. Cassier, « Système d’innovation en stimulation cérébrale profonde », dans S. Desmoulin-Canselier, M. Gaille et B. Moutaud (dir.) La

stimulation cérébrale profonde de l’innovation au soin. op. cit., p. 81-104.

196 La qualification de la SCP comme biotechnologie apparait une seule fois dans la thèse de Baptiste Moutaud, « C’est un problème neurologique ou psychiatrique ? … », op. cit., p. 409 : « Par l’utilisation de cette thérapeutique innovante, de cette biotechnologie, le malade gestionnaire de son traitement disparaît ». Pour autant, l’auteur ne fait pas le choix de ce concept au long terme, ne le défini pas et n’en tire pas ses implications.

197 X. Guchet, Pour un humanisme technologique, op. cit., p. 179.

198 C. Debru, « Biotechnologie », dans D. Lecourt (dir.) Dictionnaire de la pensée médicale, op. cit. 199 J. Kuzma, “Biotechnology” dans A companion to the philosophy of Technology. Oxford, Wiley Blackwell, 2013, p. 523.

200 Voir à ce sujet J. Goffette, Naissance de l’anthropotechnie, op. cit., Chapitre IV « Un nouveau tropisme : l’anthropotechnie ».

81 Selon Claude Debru, cette fusion « montre que l’extension du possible est gouvernée par la structure du réel, et que les biotechnologies, loin d’être contraires à la nature, en sont le prolongement »201. Il en parle comme d’un véritable « système »202.

En 2005, la biotechnologie a été définie par l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) comme : « L’application de la science et de la technologie à des organismes vivants, de même qu’à ses composantes, produits et modélisations, pour modifier des matériaux vivants ou non-vivants aux fins de la production de connaissances, de biens et de services »203.

L’OCDE propose une définition volontairement large, permettant d’enrichir et d’étendre, au fil du temps, la liste « non exhaustive » disent-ils des techniques de biotechnologie. Ce que l’on entend par biotechnologie s’étend. L’ordre biotechnologique est avant tout une méthode scientifique visant à un obtenir un résultat grâce à une production de connaissance à partir du vivant, par le vivant et pour le vivant. L’expansion des biotechnologies et leur diversification conduisent, par conséquent, à s’interroger sur leurs différentes fonctions, places et rôles dans nos vies et de manière peut-être plus prégnante encore en médecine, à partir du moment où cette discipline « nous touche de très près »204. Pour faciliter le propos, les biotechnologies pourraient être regroupées sous trois domaines d’actions principaux : santé, agroalimentaire et environnement205. De notre point de vue, il faut cependant rester attentifs à la distinction de ces trois principaux domaines d’actions. En effet, l’évocation du terme « biotechnologie » mêle des objets très variés contenant, pour chacun, son lot de questions. « Il n’y a plus de doutes possible, les biotechnologies sont, de nos jours, applicables dans tous les domaines d’action de l’homme contemporain », énonce le philosophe Blanchard Makanga206. Or, si une question pouvait être commune à tous ces domaines, ce serait celle des valeurs attribuées à la vie humaine207.

201 C. Debru, « Biotechnologie », art. cit., p. 180. 202 Ibid. p. 184.

203 Définition statistique de la biotechnologie (mis à jour en 2005), consultable en ligne, [URL : http://www.oecd.org], consulté le 12 septembre 2018.

204 J. Goffette, Naissance de l’anthropotechnie, op. cit., p. 7.

205 C’est le regroupement que propose B. Makanga en 2015 dans « Biotechnologie et inventivité humaine : nécessité rationnelle et exigence éthique », en ligne, [URL : http://www.implications- philosophiques.org/actualite/une/biotechnologies-et-inventivite-humaine-necessite-rationnelle-et-

exigence-ethique/], publié le 12 janvier 2015, consulté le 4 septembre 2018. 206 Ibid.

82 Nous l’avons présenté plus tôt, Dominique Lecourt, dans Humains, Post humains (2011) part en effet du constat d’un « malaise » dans lequel nous placent les biotechnologies. Ce malaise tiendrait

à ce que les biotechnologies viennent bousculer les certitudes de la pensée contemporaine qui a cru pouvoir continuer à saisir le monde et à guider les actions humaines en faisant usage de deux notions dont elle n’a pas su, pas pu ou pas voulu renouveler le contenu208.

Ces deux notions, nous en avons fait part plus tôt, sont celles de « technique » et de « nature humaine »209. Expansion et diversification des biotechnologies posent en effet la question de nos systèmes de valeurs accordées à nos conceptions plurielles de « l’humain ». En effet, comme toutes les technologies, les biotechnologies sont, elles aussi, porteuses de médiations et de relations au sein de l’ensemble Humains – Technologies – Monde.

Au regard de ces considérations conceptuelles, il nous semble a priori possible de qualifier, épistémologiquement et conceptuellement la SCP comme objet biotechnologique. Afin d’étayer cette possibilité, il convient, selon nous, d’en aborder les implications. En effet, si la biotechnologie de SCP est elle aussi porteuse de médiations et producteur de relations, regardons plus précisément ce que cela signifie.

Implications et application : la SCP, un objet biotechnologique vecteur de « médiations ».

Dans une perspective récente, on peut s’appuyer sur le philosophe allemand des technologies Peter-Paul Verbeek, prolongeant dans une certaine mesure les idées simondiennes :

Quand les technologies sont utilisées, elles aident toujours à façonner le contexte au sein duquel elles remplissent leur fonction. Elles aident à façonner les actions humaines et leurs perceptions, et ainsi créent de nouvelles pratiques et de nouvelles manières de vivre. Ce phénomène a été analysé sous l’expression de « médiation technologique » ; au sens où les technologies deviennent médiatrices des expériences et des pratiques de leurs utilisateurs210.

208 D. Lecourt, Humains, Post-Humains, op. cit., p. 6. 209 Ibid. p. 6-7.

83 Partant de cette idée, tentons de la mettre en application en présentant quatre différentes formes de médiations opérées par l’objet biotechnologique de SCP sur les « expériences » et les « pratiques » de ses utilisateurs.

a) Une « Gameboy » dans une relation de soin.

Une première forme de médiation révélée par la SCP serait relative au soin. Au-delà d’être un objet biotechnologique, la SCP est, en effet et avant tout, un soin à destination de personnes malades. Ce terme de soin contient déjà en lui-même une dimension médiatrice puisqu’il est, en ses actes, producteur de relations. Lefève en rappelle son étymologie :

Le mot soin possède deux racines : l’une songne vient du latin médiéval sunnia et du francique sunnja et signifie « nécessité, besoin » ; l’autre soign qui vient du latin tardif

sonium signifie « souci, chagrin ». Le verbe soigner signifiait « fournir quelque chose à

quelqu’un, fréquenter des marchés pour se procurer des marchandises ». L’acte de soigner référait donc au corps dans ses aspects matériels, voire prosaïques et contraignants. En même temps, le soin revêtait un sens psychologique puisqu’il désignait le souci, la préoccupation, l’inquiétude pour le corps et ses besoins. Ce n’est qu’au XVIIème siècle que le verbe soigner s’est spécialisé avec la valeur actuelle de « s’occuper de la santé ou du bien-être de quelqu’un »211.

Le soin est ici représentatif d’une action, d’un agir, d’un faire qui visent à répondre à « une nécessité », un « besoin », un « appel ». Si le soin, comme le rappelle Lefève, « fournit quelque chose à quelqu’un », « s’occupe de la santé ou du bien-être », c’est bien de l’acte dont il est question ; un acte avant tout relationnel, car toujours dirigé vers l’autre212. Nous l’avons abordé en Introduction.

La pratique du soin (allant de l’examen au diagnostic, du dialogue à la prescription, du pronostic à l’accompagnement) s’inscrit, dans tous les cas, dans un registre d’action. Le

praticien (on y entend la practice) participe à poser ces différents « actes » de soin

énumérés ci-dessus en guise d’exemple. Pour effectuer ces différents actes, le praticien / le clinicien peut s’appuyer sur de nombreuses technologies.

211 C. Lefève, « La philosophie du soin », art. cit., p. 2.

212 Voir spécifiquement sur ce propos C.O Doron, C. Lefève, A-C. Masquelet, Soin et subjectivité, op. cit., p. 4.

84 La SCP représente l’une d’entre elles. Les cliniciens s’appuient sur elle, visant à répondre à une demande de soulagement de symptômes et cherchant à « s’occuper de la santé ou du bien-être » du patient. Ce que transforme l’objet biotechnologique, dans ce rapport c’est alors davantage la représentation que l’on se fait du soin. En effet, au cœur d’une relation médecin-patient souvent idéalisée comme un dialogue privilégié, une « Gameboy » apparait : c’est le boitier de contrôle de la SCP213. La « Gameboy » fait désormais partie intégrante du « décor » de la consultation qui, par ailleurs, contient déjà une pluralité d’autres objets technologiques (ordinateur, tensiomètre, lit médical, etc.). Mais ces autres objets, qui emplissent le bureau de consultation, n’attirent pas autant l’attention que cette « Gameboy » qui permet de vérifier ou modifier l’état des paramétrages électriques cérébraux et le niveau de vie de la batterie du neurostimulateur. L’attention se déplace donc vers ce boitier, comme si l’on espérait de lui seul qu’il offre une réponse causale aux symptômes du patient. Ce ne sera pas toujours le cas ; nous l’illustrerons au chapitre suivant.

En outre, le qualificatif de « Gameboy » est en lui-même révélateur : le cerveau devient piste de jeu, et le but est de repérer puis d’activer les meilleures combinaisons possible pour éviter le maximum de maux. En amont, il convient de rassurer les « bio- catastrophistes » pour reprendre l’expression de Lecourt : le dialogue médecins-patients n’est pas pour autant effacé. Si l’attention et les dialogues se déplacent, ils ne s’amenuisent ou ne disparaissent pas pour autant. En effet, si les patients ne détaillent pas aux cliniciens leurs symptômes et effets secondaires vécus et ressentis au quotidien, les cliniciens ne pourront pas repérer ni activer les meilleures combinaisons possibles. Ainsi, dans cette médiation opérée par l’objet, le schéma reste toujours le suivant : les patients guident les cliniciens en leur racontant leurs symptômes ; le clinicien active certaines options que permet la SCP ; les patients leur font un retour d’impressions. Le schéma de dialogue reste le même que pour celui d’une modification strictement médicamenteuse. Par conséquent, c’est avant tout le déplacement de l’attention sur une matérialité visible, car imposante, de l’objet qui transforme l’expérience des utilisateurs (soignants) et des expérimentateurs (patients).

213 Cette expression est tirée de notre terrain d’observation. Le Dr Z parlait du boitier de contrôle de la stimulation ainsi.

85 b) La SCP comme un collectif d’acteurs.

Toute technique matérielle présuppose une technique sociale214.

Une seconde forme de médiation repérée fait du soin de SCP un vecteur relationnel et social. En effet, autour de cet objet, se regroupe un collectif d’acteurs, d’agents, de praticiens aux différents rôles215.

D’une part, la SCP regroupe, au sein de l’hôpital, différentes spécialités cliniques (psychiatrie, neurologie, neurochirurgie, orthophonie, neuropsychologie, psychologie, etc.). À la différence d’un patient traité uniquement par des médicaments, celui pris en charge par SCP (de son inclusion dans le processus préopératoire au suivi postopératoire) aura l’opportunité de consulter différents spécialistes au sein d’un même espace et d’une même temporalité que représente l’hospitalisation. Le processus de prise en charge par SCP pourrait être résumé selon quatre principales étapes :

(1) Consultation individuelle avec le neurologue, posant un premier diagnostic et/ou évaluant en une consultation la probabilité de la personne à accéder à la SCP. Les critères principaux de refus de prendre en charge un patient par SCP sont : l’âge, le degré d’évolution de la pathologie, la forme de la pathologie, les symptômes, les réactions médicamenteuses216.

(2) Pour confirmer ou infirmer l’évaluation première du neurologue, le patient entre en phase d’évaluation préopératoire. Cette phase consiste en trois jours d’hospitalisation où le patient sera amené à réaliser des tests moteurs et non moteurs accompagnés par différentes spécialités cliniques.

214 G. Deleuze, « Foucault – Le pouvoir », Cours du 28 janvier 1986, en ligne, [ URL : http://www2.univ- paris8.fr/deleuze/article.php3?id_article=452], consulté le 2 octobre 2018.

215 B. Moutaud « C’est un problème neurologique ou psychiatrique ? … », op. cit.

B. Moutaud, « Une « convergence forcée » ? », Anthropologie et santé, 4, 2012, en ligne [URL : http://anthropologiesante.revues.org/927] consulté le 12 décembre 2014.

B. Moutaud, « Pour le bien de tous et l’intérêt de chacun. Essai clinique et innovation organisationnelle en psychochirurgie », Sciences sociales et santé, 3 (Vol.32), 2014, p. 43-68.

B. Moutaud, « Un « alien » dans le cerveau. Expérience sociale de la maladie mentale et idiome naturaliste des neurosciences », Anthropologie&Santé, 2015, en ligne, [URL : http://anthropologiesante.revues.org/1879] consulté le 3 janvier 2016.

216 P. Pollak, “Deep brain stimulation for Parkinson’s disease – patient selection” dans Handbook of Clinical

86 (3) En cas de réponse positive d’éligibilité à l’implantation, la préparation à la chirurgie démarre et conduira, in fine, à une hospitalisation d’une dizaine de jours pour la neurochirurgie217.

(4) Un suivi postopératoire est mis en place et une hospitalisation au bout d’un an pour un bilan postopératoire sera effectuée.

Ces différentes étapes créent des espaces et des temporalités privilégiées de regroupements d’acteurs et d’agents. Ces espaces et regroupements produisent et véhiculent des formes spécifiques de relations entre humains, (bio)technologies et univers hospitalier. La SCP, au cœur de leurs actes et de leurs échanges, devient à la fois motif de leur action et résultat. Elle participe donc à produire et à véhiculer des formes de médiations.

D’autre part, il convient de noter que la SCP regroupe d’autres spécialités considérées comme paramédicales, hors de l’hôpital : kinésithérapie, acupuncture, massage, relaxation, ostéopathie, etc. Ces soins que les cliniciens qualifient communément de soins de « conforts » font partie intégrante de la prise en charge des patients parkinsoniens, qu’ils soient implantés par SCP ou non.

Il est néanmoins important à nos yeux de souligner le rôle central de cette sphère « hors hospitalière » qui s’adaptera inéluctablement à la prise en charge dont bénéficie le patient.

c) Gestion du traitement : « Se dissoudre dans une relation technique inattendue »218.

Une troisième forme de médiation repérée semble concerner une modification du pouvoir d’agir du patient. Comme le soulignait Moutaud dans sa thèse, être soigné au moyen d’une biotechnologie change un état de fait, quotidien : celui de pouvoir agir sur le traitement. En effet, par différence avec un traitement médicamenteux, le patient ne peut pas modifier ses paramétrages électriques comme il pouvait modifier ses doses médicamenteuses. Dans ce cadre, le patient peut avoir le sentiment de moindre maîtrise de « l’objet » par rapport aux médicaments. Il peut ressentir alors de la « dépendance »

217 Nous reviendrons sur cette étape au chapitre 2.

87 à la fois à l’égard du système technologique, mais également à l’égard de l’équipe médicale et plus particulièrement du neurologue, seul à pouvoir modifier les paramétrages219. C’est un impact conséquent sur la gestion personnelle du traitement, qui touche au modèle d’« autonomie » du patient. Comme nous l’explique Moutaud :

Une fois implanté et stimulé, le modèle de prise en charge du patient se transforme radicalement, autant que sa condition symptomatique. Il perd tout contrôle sur le traitement et sa maladie. La DBS (Deep brain stimulation > Stimulation cérébrale profonde) peut marquer une profonde rupture dans ce parcours. En bien ou en mal. (…) D’un point de vue sociologique, ces cas peuvent s’expliquer par la rupture que constitue la DBS dans l’histoire et le vécu de ces malades. Le nouveau statut de patient « amélioré » paraissant se dissoudre dans une relation technique inattendue. Par l’utilisation de cette thérapeutique innovante, de cette biotechnologie, le malade gestionnaire de son traitement disparaît […] La contrepartie de cette absence de marge de manœuvre peut alors être que le patient se perçoive dépendant de la technique et des solutions proposées par la structure, annihilant les idéaux d’autonomisation sous-jacents au projet thérapeutique220.

L’anthropologue révèle ici un argument de controverse intéressant relatif à la maîtrise de l’objet biotechnologique. En partant du principe que le médicament peut être, lui aussi, épistémologiquement considéré comme une (bio)technologie, alors l’importante différence qui tiendrait entre médicament et SCP serait celle de leur maîtrise221. Comme le souligne l’auteur, pour les uns, ce phénomène pourra être vécu comme un soulagement (par exemple, ne pas avoir à se préoccuper du dosage et/ou du nombre de prises, éviter les oublis) ; pour les autres, la gestion déléguée à la technologie, privant le patient d’une forme d’autonomie dans son traitement, pourra être perçue comme une contrainte au sens d’une perte de liberté.

Or, à partir des considérations conceptuelles évoquées dans le premier temps de ce chapitre, il convient de rappeler que l’objet technologique de SCP ne fait rien seul. Si la « marge de manœuvre » se retrouve effectivement altérée, ce n’est pas du fait de la technologie mais du fait d’un mode de fabrication, qui autorise une gestion partielle de l’objet, exclusivement réservée aux neurologues et neurochirurgiens.

219 J.H.D. Mathews, “Deep brain stimulation, personal identity and policy”. International Review of

Psychiatry, 2011, 23 / 5, p. 490.

220 B. Moutaud, « C’est un problème neurologique ou psychiatrique ? … » op. cit., p. 409-410.

221 G. Simondon énonçait à ce propos : « La technologie chimique n'est pas différente en structure de la technologie physique des machines » p.133 - Naissance de la technologie (Cours de 1970) dans G. Simondon G. Sur la technique (1953-1983), Paris, PUF.

Aussi, nous renvoyons ici à l’article de M. Akrich, « Le médicament comme objet technique », Revue

88 Nous remplacerions alors l’expression de « relation technique inattendue » par celle de « relation neuroclinique inattendue ». En effet, les patients pris en charge seulement par