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Préparation, implantation.

La veille de la neurochirurgie ou le matin même (tout dépend des centres hospitaliers), une cartographie cérébrale est effectuée à l’aide du casque de stéréotaxie posé sur le crâne du patient. Nous l’avons évoqué en Avant-Propos : ce casque permet, d’une part, de maintenir le crâne afin d’obtenir une image cérébrale préopératoire (IRM 3D) la plus précise et stable possible, et d’autre part, de guider le neurochirurgien, le jour de l’implantation, lors de la descente des électrodes dans le cerveau.

278 Expressions reprises à D. Lecourt, Humains, Post-Humains, op. cit.

279 Marie-Christine Pouchelle dans L’hôpital ou le théâtre des opérations rapproche l’image du bloc opératoire de celui d’un bunker. Voir M-C. Pouchelle, L’Hôpital ou le théâtre des opérations, Paris, Éditions Seli Arslan, 2008, p. 153.

280 B. Moutaud « C’est un problème neurologique ou psychiatrique ? … », op. cit., p. 277.

281 Nous n’avons pas eu l’occasion d’assister à une neurochirurgie de SCP pour une raison principale : lors de notre année de terrain dans l’hôpital U, les soignants nous ont indiqué le fait que les locaux de neurochirurgie étaient en travaux. Les blocs opératoires étaient par conséquent difficilement accessibles : moins de place pour les professionnels, planning opératoire resserré ayant conduit à en limiter l’accès. De fait, ne souhaitant pas les déranger dans leur pratique, nous n’avons pas insisté dans notre demande d’observer une opération. Les propos recueillis sur le peropératoire sont dès lors tirés de la littérature médicale ou éthique existante sur le sujet, du travail anthropologique et ethnographique de Baptiste Moutaud, ainsi qu’à nos entretiens menés avec des patients en postopératoire.

109 Chaque patient a sa propre cartographie cérébrale et donc sa propre cible d’implantation : « les caractéristiques des paramètres de stimulation dépendent de la pathologie traitée, de la cible de stimulation et du patient (variabilité interindividuelle) »282. Ici déjà apparaît la perspective d’un soin neurochirurgical « personnalisé » ; point sur lequel nous reviendrons dans la dernière section de ce chapitre283.

L’étape peropératoire de SCP contient deux principaux moments284 : le premier temps représente la neurochirurgie, le second désigne la chirurgie d’implantation du boîtier (le stimulateur) placé dans le thorax ou dans le ventre. Lors de la première étape, c’est-à-dire pendant la neurochirurgie, dans la plupart des cas, le patient alternera des moments d’éveil et de sommeil285. L’équipe chirurgicale peut endormir le patient pour percer le crâne et descendre les électrodes dans la zone visée :

Lors de l’implantation, trois à cinq microélectrodes sont descendues simultanément dans la cible. La microélectrode la mieux positionnée est déterminée par enregistrement des patterns de décharge neuronaux caractéristiques d’une structure donnée et par les effets cliniques et secondaires induits par microstimulation, puis elle est remplacée par la macro-électrode de stimulation286.

La macroélectrode correspond à l’électrode définitive ou autrement dit, celle qui restera dans le cerveau du patient. Les microélectrodes correspondent aux électrodes dites « tests » ; elles servent avant tout à repérer les zones et aident les cliniciens à en définir la meilleure.

282 A. Kibleur, Cartographie corticale par électroencéphalographie des effets de la stimulation cérébrale

profonde chez les patients souffrant de troubles psychiatriques réfractaires et les patients parkinsoniens.

Thèse de Neurosciences. Université Grenoble Alpes, 2016, p. 18.

283 Voir section ci-dessous « Les promesses du closed loop et d’une « personnalisation » du soin ». 284 A-R. Rezai, et al., “Deep brain stimulation for Parkinson’s disease: Surgical issues”, Movement

Disorders, 2006, 21 (Suppl. 14), p. 167-218.

- E. Kocabicak, Y. Temel, “Deep brain stimulation of the subthalamic nucleus in Parkinson’s disease…”,

art. cit.

- S. Momjian, et al., « Aspect opératoires et péri-opératoires de la stimulation cérébrale profonde », Revue

Médicale Suisse, 2015, 11, p . 972-976.

285 Dans sa thèse, B. Moutaud détaille minutieusement quatre étapes de l’implantation chez le patient TOC : 1) Ouverture du crâne et descente des électrodes ; 2) Recherche expérimentale in vivo ; 3) Une fois la cible cérébrale atteinte : implantation et tests en coopération avec les patients ; 4) Choix et implantation finale à partir des critères cliniques. Nous avons choisi de résumer ces étapes au nombre de deux d’une part, en raison de notre démarche qui vise à décrire l’étape peropératoire à partir des propos des patients et de leur expérience vécue, et d’autre part, en raison de la maladie de Parkinson qui n’est pas dans un cadre expérimental ce qui, de fait, annule l’étape n°2 développée par Moutaud. Pour lire cette riche description de l’auteur, voir B. Moutaud « C’est un problème neurologique ou psychiatrique ? … », op. cit., p. 268- 276.

110 C’est durant l’utilisation de ces électrodes tests que le patient pourra être réveillé afin de répondre à quelques questions des cliniciens. Une fois passée la barrière de la peau, le cerveau est insensible. Les tests peuvent ainsi démarrer. En salle d’opération, à crâne ouvert, le patient pourra répondre aux questions et demandes de l’équipe chirurgicale287. Afin d’évaluer ses réactions, on pourra lui demander de bouger les mains, de parler, de décrire ce qu’il ressent. Le visage du patient, ses crispations, ses blocages seront observés, évalués. Le repérage in vivo d’éventuels effets secondaires permet aux cliniciens de déplacer les électrodes afin de trouver le meilleur emplacement possible pour l’électrode définitive : « Malgré les progrès de l’imagerie, il est encore utile d’effectuer des enregistrements et stimulations en salle d’opération afin d’optimiser la position de stimulation »288. Ces tests permettent en effet aux neurologues de se représenter le résultat « idéal » en postopératoire. Nous insistons sur le terme d’idéal puisque, nous le verrons, entre le per et le post-opératoire, tant du point de vue du clinicien que de celui du patient, les résultats au long cours évoluent constamment.

Dans certains cas, le patient pourra être endormi tout le long de l’opération289; dans d’autres cas, il pourra être éveillé constamment. Cela dépendra du patient, de sa pathologie mais également des centres et des méthodologies choisies.

287 E. Kocabicak, Y. Temel, “Deep brain stimulation of the subthalamic nucleus in Parkinson’s disease…”,

art. cit. p. 2319. Les auteurs soulignent qu’il y aurait deux principales « écoles » concernant les méthodes

d’implantation : “Une école préconisant l'utilisation d’informations anatomique pour cibler le STN, et l'autre proposant l'utilisation d'enregistrements peropératoires par microélectrodes (MER), en combinaison avec l'information anatomique”.

288 S. Momjian, et al., « Aspect opératoires et péri-opératoires de la stimulation cérébrale profonde », op.

cit., p. 973.

289 Il est en effet possible que le soignant ne soit pas du tout réveillé pendant l’opération. L’article de S. Momjian, et al., « Aspect opératoires et péri-opératoires de la stimulation cérébrale profonde », cité ci- dessus, précise que cela dépendrait du « type », de la « sévérité des symptômes moteurs » ou encore de « l’angoisse et la collaboration à attendre du patient » (p. 972). Parmi les patients que nous avons interrogés, nous avons en effet fait la rencontre de Madame G. et de Madame A. nous expliquant, toutes deux, ne pas avoir été réveillées pendant l’opération. Selon les dires de Madame G., aucune explication sur les raisons de ce non-réveil ne lui aurait été donnée mise à part la sévérité de son Parkinson. Selon les souvenirs de Madame A., elle aurait dû être réveillée et finalement, cela ne s’est pas passé comme tel. Madame A. nous a expliqué être en demande du compte rendu de l’opération depuis 1 an et demi, sans succès – Madame A. entretien postopératoire, 2016, p.6.

- Pour un article clinique détaillant les raisons thérapeutiques du choix d’une anesthésie locale ou générale : E. Kocabicak, et al. (2013) “Conversion of local anesthesia guided deep brain stimulation of the subthalamic nucleus to general anesthesia”, Journal of neurological surgery, Part A, Central European Neurosurgery 2013, 74 (05), p. 332-334.

111 Ce moment de la neurochirurgie est aussi celui où se rencontre, au bloc, une pluralité d’acteurs et de disciplines : « C’est le moment pendant lequel tous les acteurs d’un centre vont être réunis : patient, neurochirurgiens, psychiatres, neurologues, voir psychologues, vont s’y retrouver, chacun avec un rôle spécifique »290 ; sans oublier anesthésiste(s), panseuse(s), infirmière(s) référente(s), aide-soignante(s). Nous y reviendrons au point suivant : les propos recueillis des patients ont soulevé à mainte reprise cette « présence humaine » considérablement rassurante et majoritairement féminine. Cette pluralité d’acteurs médicaux est même « recommandée » selon la littérature médicale disponible sur la neurochirurgie :

Comme l'intervention se déroule généralement sous anesthésie locale, pendant l’intervention, la présence d'un psychologue ou d'une infirmière spécialisée pour guider le patient est recommandée, ainsi que la présence de deux neurochirurgiens pour doublement vérifier les coordonnées et le cadre stéréotaxique 291.

Lorsque la cible privilégiée d’implantation est considérée comme atteinte, au regard des réactions du patient in situ ou de la prédétermination cartographique de l’équipe chirurgicale, l’électrode définitive pourra être posée, le patient rendormi s’il ne l’est pas déjà, et conduit en salle de réveil292.

Le second temps du peropératoire, à savoir l’implantation du boîtier (le stimulateur) dans le thorax ou dans le ventre, se déroulera quelques jours plus tard (du moins dans le centre U), sous anesthésie générale. Cette seconde étape chirurgicale est « classique » : le patient n’intervient pas, ne participe pas, il n’est plus question d’ouvrir un cerveau ni de faire participer autant d’acteurs.

290 B. Moutaud « C’est un problème neurologique ou psychiatrique ? … », op. cit., p. 267.

291 E. Kocabicak, Y. Temel, “Deep brain stimulation of the subthalamic nucleus in Parkinson’s disease…”,

art. cit. p .2320.

292 Nous n’irons pas plus loin dans la description technique de la neurochirurgie au regard de notre propos qui vise avant tout à mettre en lumière les représentations qu’en ont les patients, non pas tant celle des équipes médicales ou cliniques. Plusieurs publications neurologiques existent sur la description fine de ce moment. Voir par exemple :

A. R. Rezai, et al., “Deep brain stimulation for Parkinson’s disease: Surgical issues”, op. cit.

E. Kocabicak, Y. Temel, “Deep brain stimulation of the subthalamic nucleus in Parkinson’s disease…”,

art. cit.

Voir également que la thèse de B. Moutaud, « C’est un problème neurologique ou psychiatrique ? … »,

112 Regardons à présent comment les patients se représentent la première étape et ce que révèlent leurs témoignages.

Expériences vécues, sensations.

Mr Jonas a également été opéré il y a quelques jours. Il a eu une anesthésie locale, donc il était conscient. Et il était fasciné. « (...) J'ai vu les trois quarts de l'opération. Oui, j'ai trouvé ça très intéressant. Après tout, c'est votre propre corps [Rires] »293.

Les témoignages de patients présentés ici ont été recueillis en post opératoire. Cela nous conduit à un biais interprétatif majeur : nous n’avons accès qu’à un seul mode de représentation, celui de patients qui se basent sur leurs souvenirs. Puisque nous n’avons pu observer le patient ou l’équipe au bloc opératoire, cette section ne peut être aussi étayée que le pré et le post opératoire. Il n’en reste pas moins que ce recueil de souvenirs sur cette étape neurochirurgicale est riche d’images et de représentations que la littérature médicale et clinique ne peut offrir, cela n’étant ni son but ni son rôle. Par le biais des témoignages, de nouvelles formes de représentations et donc de connaissances possibles émergent. Utiliser et analyser ces témoignages vise à nous conduire vers d’autres objets d’analyse que la seule littérature clinique et scientifique ne peut apporter.

Dans ce cadre, les entretiens semi-qualitatifs menés en postopératoire (10 au total) nous ont tous conduit au constat principal suivant : ce n’est pas la technique neurochirurgicale ou la profusion technologique qu’implique cette pratique qui retient l’attention des personnes opérées et qui transparaît des entretiens, mais le registre des sensations. En effet, ces témoignages recueillis font premièrement état de différents sens éveillés, notamment par l’ouverture du crâne, geste peu banal. Deuxièmement, les témoignages soulignent l’importance des présences humaines (représentées par l’équipe médicale) en peropératoire. Au cœur d’une chirurgie considérée comme de haute technicité (tant du point de vue des gestes médicaux que de celui de l’environnement opératoire où la technologie est omniprésente), la présence des soignants, caractérisée selon les mots des patients par l’attention, le toucher et les dialogues, concentre les souvenirs.

113 a) Ouvrir un cerveau : des bruits, des images, des fourmillements.

L’anthropologue Moutaud décrivait dans sa thèse en 2009 ce geste peu banal et peu discret que représente la neurochirurgie de SCP :

Le patient est installé, la tête fixée dans un cadre stéréotaxique. Les neurochirurgiens incisent la peau puis ouvrent la boîte crânienne et la dure-mère. On perce et on découpe l’os avec des outils, la force du chirurgien devant parfois s’exprimer. Une odeur très puissante d’os brûlé se dégage. On est encore loin de l’image de la microchirurgie294.

Le degré d’invasivité de la pratique est ici souligné. Dans le centre hospitalier U, les patients sont endormis pendant cette phase. Dans d’autres centres, nous l’avons dit, il arrive que les patients soient réveillés tout au long de l’opération, ouverture du crâne y compris. Ce fut le cas de Madame M, opérée dans un autre centre que U.

Selon ses mots, la neurochirurgie fut « impressionnante » bien que pouvant être perçue, sous certains aspects comme « traumatisante »295. Elle nous décrit :

Jeanne [l’infirmière] m’a dit : « Quand ça va être un peu plus difficile, je vais vous faire une pression sur la main ». Au moment un peu plus critique quoi [Silence]. C’est quand ils percent. Alors ta tête, ton crâne, c’est une caisse de résonnance, c’est impressionnant t’entends tout quoi. Donc… les os qui craquent… Enfin voilà c’est… [Madame M. inspire longuement et s’arrête, les larmes aux yeux]296.

Selon les propos recueillis au sein du centre U, où les patients sont endormis au moment de l’ouverture du crâne, certains patients font état de sensations similaires, pas nécessairement pendant la neurochirurgie, mais lors de la pose du casque de stéréotaxie. Poser ce casque permet d’éviter que la boîte crânienne et le cerveau ne bougent trop lors des imageries à effectuer et lors de l’implantation. Monsieur O, opéré donc au sein du centre U, n’a pas été éveillé tout au long de l’opération comme a pu l’être Madame M. Ce patient a alterné éveil et sommeil, grâce au subtil dosage des anesthésistes. Pour autant, lors de la pose du casque stéréotaxique, Monsieur O souligne : « ce qui fait bizarre, c’est d’entendre son crâne craquer : à l’intérieur on entend des craquements »297.

294 B. Moutaud « C’est un problème neurologique ou psychiatrique ? … », op. cit., p. 269. 295 Madame M., entretien postopératoire, 2016, p. 3.

296 Ibid. p. 4.

114 Avec Monsieur O, c’est le registre de l’étrangeté, voire de la curiosité qui apparaît. À l’opposé de Madame M, il nous indique : « tout le monde disait que ça devait être impressionnant mais pour moi, ça s’est bien passé »298.

On le notait déjà en préopératoire : les attentes et expériences vécues sont multiples et diffèrent d’une personne à l’autre.

Lors d’un entretien avec un autre patient, Monsieur C, opéré lui aussi au centre U, sa femme prendra la parole, devançant celle de son mari, m’expliquant avoir eu des difficultés à « gérer l’image » de ce dernier avec un casque vissé dans le crâne :

Moi, je n’avais pas du tout perçu ça : qu’on allait lui visser un casque dans les os de la tête ! Et ça, à aucun moment on nous avait dit qu’il allait arriver avec un casque métallique vissé dans les os du crâne299.

Entre l’entendre et le voir, la manière de se représenter le pré et le peropératoire diffère. Si pour certains proches, l’image d’un casque vissé dans le crâne est difficile à « gérer », certains patients rencontrés, au contraire, s’en amuseront. Ce fut le cas de Monsieur O. et de Madame G., me montrant tous deux des photos d’eux même prises avec leurs casques stéréotaxiques, en riant300.

Au-delà et à la suite de la préparation à l’implantation, puis de l’ouverture du crâne, apparaît l’étape de stimulation in vivo. Le témoignage de Madame M. sur cette étape d’enregistrement et de stimulation in situ, nous apprend notamment qu’une « bataille navale » semble être en train de se jouer derrière son crâne, des bruits émergent de son cerveau, mêlés à des sensations corporelles « désagréables » :

Moi j’avais l’impression que c’était une bataille navale. Tu vois, ils font : « Bon, C4, t’es prêt pour C4 ? » ; ce sont les lieux du cerveau où ils testent. Et l’autre répond : « Oui ça y est, oui je suis en C4 ». Voilà, t’as un échange entre les deux neurologues. Et puis t’entends les bruits de l’enregistrement, tes p’tits neurones là. Et puis tu sais que pour un Parkinsonien ce n’est pas les mêmes bruits que normalement quoi. Donc, effectivement, pour moi c’était pas les mêmes bruits… enfin, je ne sais pas quels sont les bruits normaux mais bon, t’entends les bruits de l’enregistrement. Et donc ils stimulent et ils essaient de la placer au mieux.

298 Ibid.

299 Monsieur C. entretien postopératoire, 2016, p. 9.

115 Donc ils font plusieurs essais. Et puis, pendant ce temps, soit ça tremble et tu as des fourmis ; c’est surtout des fourmis mais de manière intense. C’est surtout ça que j’ai eu moi. Mais c’est intense ! (…) ça fait pas mal, c’est désagréable301.

Entendre et décrire les bruits de sa boîte crânienne et donc de son propre corps, s’observer soi-même en peropératoire, interagir avec l’équipe médicale et devenir acteur de sa chirurgie, in vivo, forment des matériaux riches d’images et d’histoires sensorielles. Cependant, il convient de repérer un fait : l’interprétation des sens est déjà construite. Les propos de Madame M ci-dessus révèlent par exemple une nette appropriation d’un discours médical et clinique. Madame M en vient à admettre que son cerveau ne forme pas les « mêmes bruits » qu’un « cerveau normal », bien qu’elle n’ait jamais entendu d’autres bruits que celui qui provient de son propre cerveau. Madame M se persuade d’entendre des bruits « anormaux ». Ce processus d’appropriation du discours médical se révèle être un thème classique dans le cadre de malades chroniques ; il ne se limite pas aux seuls patients atteints de la maladie de Parkinson. Comme le souligne Moutaud à propos des patients parkinsoniens et atteints de Troubles Obsessionnels Compulsifs (TOC) :

Ces malades ont, par ailleurs, des années de gestion de leur trouble et de la thérapeutique avec leur médecin. Ils ont appris les effets des différents traitements et ont appris à les gérer. Ils ont acquis, pendant ces années, un savoir profane sur leur mal et le handicap qu’il implique, connaissent les réactions de leur corps au traitement302.

En cela, ils ont donc appris des éléments issus du langage médical et neuroscientifique. Les patients enregistrent, intègrent, apprennent ce langage et se l’approprient. Madame M se persuade qu’elle n’a pas un cerveau « normal » - sous-entendu « comme tout le monde ». Pourtant, nous l’avons vu, chaque cerveau a sa propre « variabilité interindividuelle»303. Dès lors, y a-t-il encore un sens à partir de « normalité cérébrale » si cette dernière n’existe pas ? Nous reviendrons sur cette appropriation du discours clinique au chapitre 4.

301 Madame M. entretien postopératoire, 2015, p. 5.

302 B. Moutaud « C’est un problème neurologique ou psychiatrique ? … », op. cit., p. 409. 303 A. Kibleur, Cartographie corticale par électroencéphalographie… op. cit., p. 18.

116 En sus des bruits d’un cerveau ou de sensations « désagréables », les souvenirs des présences humaines sont très présents dans les témoignages. S’il a jusqu’ici été surtout question de l’ouïe, souligner l’importance des présences de l’équipe soulève un rapport à la vue, au toucher mais surtout, au dialogue.

b) Les présences humaines.

De la pose du casque de stéréotaxie au robot assistant le neurochirurgien, la compénétration humain – technologie – médecine, n’est plus une question mais une nécessité. Si aucun témoignage ne fait état des présences technologiques, peu importe leur degré de visibilité ou de matérialité, les présences humaines, elles, sont remarquées. Madame M. insistera sur son souvenir d’avoir « tenu la main de Jeanne tout le temps »