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Le statut et sa stigmatisation

Dans le document RGPP et droit administratif (Page 97-100)

Section 1 : Des notions fondamentales du droit administratif qui s‟imposent à la RGPP

A. Le statut et sa stigmatisation

Nous retiendrons ici une définition large du « statut de la fonction publique », lequel

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Cette position n‟est pas sans rappeler celle des défenseurs du « service public à la française », opposés aux transformations d‟origine communautaire imposées au régime des services publics dans les années 1980- 1990.

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Notamment le rapport Blanc, Pour un Etat stratège garant de l’intérêt général, Rapport de la commission du Plan (président : Christian Blanc ; rapporteur général : Alain Ménéménis), La Documentation française, 1993 ; le rapport Picq, L’Etat en France : servir une nation ouverte sur le monde, Rapport au Premier ministre (président : Jean Picq ; rapporteur général : Jean-Ludovic Silicani), La Documentation française, 1994 ; le rapport Pochard, Perspectives pour la fonction publique, Rapport public du Conseil d‟Etat pour 2003 (rapporteur général : Marcel Pochard), La Documentation française, 2003.

désignera le régime applicable aux fonctionnaires, prévu par le statut général234 et par les

statuts particuliers.

Cette organisation statutaire est présentée comme la source de tous les maux, les travers, de la fonction publique, car elle incarne, fondamentalement, l‟exorbitance de celle-ci. C‟est d‟ailleurs du point de vue de sa spécificité qu‟elle est décrite dans le Livre blanc, dans les pages 36 et suivantes (par exemple : « les fonctionnaires se distinguent des autres salariés

par le fait que les différentes étapes de leur carrière relèvent de règles spéciales, dérogeant au droit du travail, et fixées par le statut de la fonction publique »). En effet,

l‟existence d‟un statut pour les fonctionnaires entraine un traitement juridique particulier des relations de travail au sein de l‟administration par rapport à celui régissant les relations entre un employeur et ses salariés dans le secteur privé. Les premiers sont soumis exclusivement à des règles législatives et réglementaires, qui leur sont imposées de manière unilatérale, tandis que les seconds (les salariés) voient leur situation régie par un contrat (lequel doit évidemment respecter les lois et règlements), qu‟ils peuvent négocier, eux-mêmes ou par l‟intermédiaire de leurs représentants syndicaux par le renvoi aux conventions collectives. Le fait que, pour les fonctionnaires, ne soient pas employés les termes de « travail » ou de « salaire » est révélateur du mythe d‟une fonction publique perçue comme un sacerdoce, mue par la vocation du service de l‟intérêt général. Cette différence de situation implique des différences en termes de régime : alors que les fonctionnaires peuvent se voir imposer certaines obligations dans l‟intérêt du service (exigences de continuité et d‟adaptabilité notamment) – comme des mutations, un changement d‟affectation – le contrat de travail ne peut en revanche être modifié unilatéralement par l‟employeur. Toutefois, les fonctionnaires disposent en contrepartie de certaines garanties, et notamment du principe de la carrière, dénommé par ses détracteurs « l’emploi à vie ».

Cette présentation de la fonction publique fait donc travailler la dichotomie public/privé, de même que la distinction entre loi et contrat. Elle participe donc de la production d‟une certaine vision du monde et de la société, structurée en France sur certaines grandes oppositions binaires. En effet l‟exorbitance de principe du régime des fonctionnaires conforte la thèse selon laquelle il existe une nature particulière du service de l‟Etat (voir

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Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, qui constitue le titre I du statut et s‟applique aux trois fonctions publiques ; loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l‟Etat, qui constitue le titre II du statut ; loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, qui constitue le titre III du statut ; loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, qui constitue le titre IV du statut.

supra la citation de L. Duguit), conséquence nécessaire des finalités (supérieures) poursuivies par ce dernier.

Le rôle institutionnel de la fonction publique se manifeste également en interne, à travers l‟architecture de l‟organisation statutaire. Celle-ci est en effet spécifique et s‟inspire du modèle militaire, fortement hiérarchisé. Ainsi, les fonctionnaires, recrutés majoritairement sur concours, sont-ils répartis en catégories, puis en corps ou cadres d‟emplois, lesquels sont divisés en grades, eux-mêmes subdivisés en échelons. Ce sont surtout les règles d‟avancement qui sont particulières puisqu‟elles sont très formalisées et cumulent un principe d‟avancement à l‟ancienneté, et une faculté d‟avancement fondé sur la valeur professionnelle des agents. Ce modèle pyramidal n‟est certes pas guidé par un objectif de souplesse (d‟où le recours dérogatoire au contrat), cependant il répondait bien, à l‟origine, à un objectif d‟efficacité de l‟action publique dans la mesure où il a permis d‟instaurer l‟ordre et la discipline dans l‟administration, ou, selon les termes de P Legendre, de « garantir l’amour des chefs »235 dans un modèle foncièrement féodal de l‟Etat. D‟après cet

auteur, c‟est bien cette construction que perpétue l‟organisation de la fonction publique en permettant de « produire des places, de faire entrer, de protéger, moyennant la

soumission »236. Le système statutaire de la fonction publique jouerait un rôle quasiment

anthropologique puisqu‟il permettrait de donner une place sociale aux individus et de satisfaire leur soif d‟égalité en même temps que leur besoin de privilèges, par l‟intermédiaire d‟une institution accessible en principe à tous et offrant des garanties identiques, mais structurée de manière à introduire des distinctions.

Malgré les transformations contemporaines, on peut se demander si ce montage est toujours d‟actualité. C‟est bien l‟une des interprétations possibles du développement du management dans la sphère de l‟Etat. Faisant de plus en plus figure de dogme pour la gestion publique, la rationalité managériale et l‟exigence d‟efficacité et de rendement, justifient la mise en place de nouvelles hiérarchies ou le renforcement de celles existantes. Elles imposent également de nouveaux comportements susceptibles de faire l‟objet d‟un contrôle plus précis237, et conduisent, en définitive, à réactualiser cette « soumission » des agents publics. Cette analyse permet de comprendre le fait que le statut de la fonction publique puisse faire l‟objet d‟une telle stigmatisation, sans pour autant être réellement abandonné. Elle éclaire de même le processus de contractualisation à l‟œuvre au sein

235

LEGENDRE Pierre, L’amour du censeur, op. cit., p. 223

236

Ibid., p. 217

237

Sur cette question, voir notamment la contribution de Simon Blanchet, « Les modernisations du droit disciplinaire de l‟institution. L‟exemple de la fonction publique française » dans l‟ouvrage précité

même du système statutaire (voir infra).

Méconnaissant en apparence sa dimension institutionnelle, le statut est critiqué pour sa lourdeur et sa rigidité ; il apparaît effectivement contraire aux exigences de réactivité et de flexibilité modernes. C‟est donc d‟un point de vue strictement organisationnel que la RGPP envisage la critique du statut. Le rapport Silicani, reprenant les travaux antérieurs, relève « quatre principaux dysfonctionnements »238. Tout d‟abord, la multiplication des

corps et des statuts d‟emplois a conduit à dégrader le système efficace prévu initialement en entrainant la confusion du grade et de l‟emploi, la « rigidification » des carrières, la réduction de la mobilité et l‟accroissement des coûts de gestion. Ensuite, ce sont l‟opacité et la complexité du système de rémunération qui sont contestées239 en particulier car le système ne permet pas de responsabiliser les agents, contrairement aux exigences de la nouvelle culture de performance et apparaît également comme un frein à la mobilité. La troisième critique découle de la précédente : le rapport déplore l‟insuffisance des outils permettant de différencier les carrières et de récompenser les mérites, afin d‟accroître la productivité de l‟administration et la reconnaissance des agents. Enfin, le dernier dysfonctionnement de la gestion « administrative » de la fonction publique tient à un système (en bref qualifié d‟uniforme et de bureaucratique) faisant obstacle à l‟instauration d‟un « dialogue social » positif entre les organisations syndicales et l‟administration. Pour répondre à tous ces travers, et « passer d’une fonction publique cloisonnée, gérée de façon

peu personnalisée et peu responsabilisant à une fonction publique attractive, mobile et performante », le Livre blanc propose de « mettre en place une fonction publique de métiers », qui se distinguerait donc de l‟actuelle fonction publique statutaire (dans la

mesure où chaque corps est régi par un statut particulier). Cependant, bien qu‟il projette de nombreux aménagements à l‟organisation actuelle, il n‟envisage pas de supprimer le statut.

Dans le document RGPP et droit administratif (Page 97-100)