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Le statut municipal des cités L’adaptation au modèle romain L’adaptation au modèle romain

2.2. Les dédicants, citoyens et cités

2.2.2. Les dédicants : les cités et leur statut, la promotion

2.2.2.3. Le statut municipal des cités L’adaptation au modèle romain L’adaptation au modèle romain

Le système de base, pour toutes ces cités, c’est l’adoption du mode de fonctionnement des cités, toujours sur le modèle de Rome, et en référence à des modèles plus proches qui sont les colonies ou municipes voisins. Le cursus normal, à savoir, édilité, questure, duumvirat, est rarement respecté en Afrique romaine, où l’on voit surtout se succéder questure, édilité, duumvirat. On a pu expliquer cette entorse à la règle générale par le fait que la questure est une charge très délicate (trop ?) pour un jeune homme rentrant dans la carrière.

16 Voir Gascou J., « L’emploi du terme respublica dans l’épigraphie latine d’Afrique », MEFRA 1979, 1, pp. 383-398.

Les cités dirigées par des duumvires

Une grande partie des villes est dans cette situation.

Stéphane Gsell avait aussi établi la liste des magistratures des municipes, dans son ouvrage consacré à Madaure18 ; c’étaient des édiles ; des duumvirs ; des quinquennales ; des questeurs. A ce propos, il insistait sur le fait que la questure n’est pas une magistrature, honos, mais une charge ou obligation municipale, un personale munus.

Enfin les Curies ont à leur tête un magister, un quaestor, un flamen. Ce qui laisse supposer que les flamines annuum que l’on rencontre sur certaines inscriptions sont certainement des flamines de curies désignés pour un an, et non des flamines du culte impérial.

Les villes à sufètes

Dans quelques cités de Numidie, à Mactar par exemple, on assiste à la survivance des modèles puniques, sufètes et undecimprimi. Comme l’indique le nom commode qu’on leur donne, ces cités d’origine punique ont conservé longtemps l’autorité des sufètes. Il s’agit essentiellement des villes situées dans la pertica de Carthage, ou de villes puniques tôt annexées par les Numides après les guerres puniques, qui se regroupent autour de Mactar. A Lepcis, le grand-père de Septime Sévère est passé du statut de sufète à celui de duumvir lorsque Trajan avait fondé la colonie. La charge était donc restée vivante.

Dans les cités sufétales, on rencontre en outre la mention de mag(istratus), qui renvoie aux deux sufètes chargés de gérer les affaires dans les cités de droit carthaginois. On constate dans ces villes que l’évergétisme est essentiellement une affaire publique, qui relève par conséquent de la compétence de la cité, et on voit souvent apparaître sur les dédicaces les sufètes en tant que magistrats éponymes19.

Le cas particulier de Cirta

La capitale de la Confédération cirtéenne reste dirigée par des triumvires pendant toute la durée de son existence légale, ce qui est un cas unique, et ce qui n’a pas empêché une romanisation précoce et profonde. Elle reste un centre important, un peu en dehors des routes, un peu éclipsée par Lambèse, vivant sur le souvenir de son passé numide prestigieux, ville de fonctionnaires ; est-ce la raison pour laquelle Natalis y construit l’arc dont il nous manque la dédicace ? Peut-être a-t-il souhaité commémorer la victoire parthique ? Des travaux très importants ont été entrepris dans la ville en 198, et l’arc a pu s’intégrer dans un tel programme.

On peut dire en résumé que les cités sont gérées essentiellement par des duumvirs, qui deviennent en fin de carrière des Quinquennales, remplissant ainsi la dignité suprême de leur cité, chargés du recensement.

La promotion municipale

Il semble donc qu’une des premières démarches dans la romanisation des cités est le recours au titre de respublica, nous l’avons dit, dans la mesure où il signifie à la fois une certaine autonomie, et l’appartenance à un système politique très hiérarchisé.

La romanisation des statuts s’accompagne d’une revendication très romaine et tatillonne des droits acquis. Elle passe par le nom qui intègre la qualité de libera, et par le culte du Génie de la cité.

Dans sa titulature, la ville peut se revendiquer comme libera, ce qui n’est absolument pas une référence au culte de Liber Pater, qui serait privilégié dans la cité, comme c’était le cas par exemple à Lepcis Magna, mais un rappel de son statut particulier de

18 Voir Gsell S., Mdaourouch, Announa, p. 23 de Mdaourouch.

19 Voir l’article d’Aounallah S., « une nouvelle inscription de Vina », L’Africa Romana, 9, 1991, p. 309.

commune « libre », c’est-à-dire habilitée à se gérer. Ici encore, point n’est besoin d’être un centre très important pour revendiquer le titre et les avantages divers qu’il recouvre, selon les cas. Nous en avons un bon exemple avec Aggar (27), qui porte le nom d’Oppidum liberum. Il en va de même à Thugga. La ville de Saldae se revendique

« immunis » sur les inscriptions.

La romanisation du statut juridique passe immédiatement dans la titulature de la cité sous une double forme :

Dans son titre, qui traduit aussitôt la promotion.

1° le terme de municipium vient remplacer celui de civitas, et il est remplacé à son tour par le titre glorieux de colonie ; ces titres figurent régulièrement sur les inscriptions.

La fusion d’un pagus et d’une civitas en une entité juridique nouvelle se traduit immédiatement dans la titulature valorisante de municipe : c’est le cas à Thugga, ou à Thubursicu Bure...

Dans le nom qu’elle se donne alors pour honorer l’empereur qui l’a promue : Thubursicu Bure devient ainsi: municipium Ulpium Traianum Augustum Thubursicu Numidarum (tribu Papiria+ Quirina, celle de Madaure voisine). Thugga est la res publica municipii Septimi Aureli Liberi Thugga., Vaga, colonia septimia Vaga.

Corollaire : Le culte de la différence, ou le culte du Génie de la cité

Partant de l’idée que chaque homme, chaque lieu, chaque communauté a son génie, les anciens ont mis en place un culte dédié au génie de leur ville ; ce culte du Génie de la cité est avant tout une revendication d’appartenance à une communauté, souvent en référence aux conditions de sa fondation. Le génie fait partie de ces abstractions divinisées qui permettent ainsi d’exalter la transcendance de valeurs qui sont reconnues de tous, et dans le cas particulier d’une cité, si petite soit-elle, le génie est lié à la fondation de cette cité, et à son histoire, il en représente le passé comme l’avenir. Dans certaines villes, il est sans doute davantage honoré que dans d’autres. L’arc d’Assuras, élevé certainement à l’époque de Marc Aurèle, au Génie de la Colonie, est un magnifique exemple de l’aura qui entoure les arcs : il s’agit pratiquement d’un

« temple ».

A Thamugadi, nous avons vu se construire le temple du Génie de la Colonie, et retrouvé au moins cinq inscriptions qui lui sont dédiées, dont une dédicace sur le linteau de l’entrée du pronaos, une autre certainement20 gravée sur le portique, et plusieurs bases, dont une qui le concernait, mais était placée à l’intérieur du temple de la Dea Patria, à l’Aqua Septimiana. C’est donc, à la fin du IIe siècle, un culte très vivant à Timgad, qu’il ne faut pas confondre avec le culte des divinités poliades, encore que cette confusion existe, même dans des colonies comme Cuicul ou Sitifis, ou Lepcis à l’époque où elle était un municipe. Mais dans l’ensemble, les citoyens séparaient nettement ces divinités dans leur panthéon : en somme, en honorant le génie de la ville, c’est à elle-même, à son passé et ses espoirs, à sa fierté, que la communauté rendait hommage.

2.2.2.4. Conclusion

En résumé, l’évergétisme privé qui choisit de s’exprimer dans un arc relève des devoirs liés aux charges municipales ou sacerdotales, et parfois du souci bien compris de la promotion sociale de la famille et de son intégration. L’évergétisme public, pour sa part, sanctionne un changement de statut juridique ou une faveur impériale, mais peut

aussi commémorer des Victoires, retrouvant ainsi la vocation première de l’arc, ou bien, sans raison particulière, marquer un geste de loyalisme à l’égard de l’empereur.

2.3. Romanisation

Le Père Mesnage21, il y a déjà un siècle, était très réticent sur le contenu du mot, et sur la romanisation réelle du pays, mettant en garde contre une vision trop simpliste de

« l’intégration » à la romaine. Plus sensible dans les villes, chez les gens riches et avides de promotion, que dans le peuple, cette romanisation semble en effet n’avoir touché que les classes dominantes. Un hiatus est sensible dans l’onomastique, la langue que parlent les gens, les cultes, les cérémonies et modes de sépulture. Ce qui ne signifie pas que le peuple ait été insensible aux bienfaits de la Pax romana, qui s’accompagnait d’un enrichissement certain de l’ensemble de la population, accompagné d’une poussée démographique, d’un essor et d’une diversification des cultures en même temps que du développement du commerce et de la petite industrie.

En effet, nous n’éviterons pas de poser la question des limites de la romanisation, qu’elle concerne la langue, les institutions et leur solidité, et la durée de l’empreinte romaine. Nous pouvons envisager la romanisation de l’Afrique à partir de trois points de vue, qui se complètent évidemment : celle des individus, celle des cités, celle des cultes. Celle des individus, que nous avons vue à l’oeuvre sur les dédicaces, trouve sa première expression dans la romanisation du nom, et l’adoption des tria nomina. A l’époque qui nous intéresse, c’est chose faite, souvent depuis plusieurs générations, et l’étape suivante est atteinte lorsque le citoyen remplit les diverses fonctions municipales, le couronnement de sa carrière étant représenté par le flaminat perpétuel.

Nous avons rencontré de nombreux exemples de ces citoyens d’origine africaine parmi ceux qui ont financé les arcs de Caracalla, dans le chapitre consacré à l’évergétisme.