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TROISIÈME PARTIE Les arcs de Caracalla,

4. Typologie des fonctions, les arcs dans la ville

4.2.1. L’urbanisme exemplaire de Thamugadi

4.2.1.2. Première expansion

La direction Ouest, celle de la route de Lambèse, qui aboutissait à la porte Ouest primitive, semble avoir été celle vers laquelle la ville tendait à s’étendre dès le milieu du deuxième siècle, sans doute parce que la pente générale était plus douce au fur et à mesure que la plaine s’étalait vers le Nord. De fait, depuis la porte Ouest primitive, la route descendait en pente douce vers la campagne, et à part le temple du Génie de la Colonie, implanté hors les murs le long de cette voie, mais assez près de la porte primitive, aucun monument public n’encombrait l’espace. Un nouveau quartier va pouvoir se développer. Il présente un plan qui n’est plus du tout orthogonal, mais qui suit la direction générale de l’Ouest, en se pliant aux exigences du terrain, par exemple, la rue prend la direction du Nord en deux endroits, et plus du tout la direction de l’Ouest théorique matérialisé par le decumanus primitif. Cette appropriation de la route de Lambèse concerne environ 350m, ce qui équivaut à la longueur du decumanus primitif.

La construction d’une porte monumentale pour matérialiser la nouvelle entrée de la ville, et lui donner une nouvelle majesté, vient fermer la voie urbaine ainsi prolongée ; elle est dédicacée en 167.

Il y a continuité dans la disposition du pavage entre le portique et l’espace couvert par la baie latérale sud. Cette disposition avait déjà été constatée par Curtis, mais il en avait tiré une conclusion erronée, qui l’incitait à dater l’arc de Marc Aurèle. Il se fondait évidemment aussi sur les nombreux points de ressemblance existant entre l’arc actuel et la Porte de Lambèse, dont la dédicace date de 169. Cette datation avait également pour elle de rapprocher l’arc de son « exemplum », en l’occurrence, de l’arc de Gerasa.

Mansuelli a insisté à son tour sur la relation organique de l’arc avec la voie à portiques de la cité primitive. Mais il en a tiré des conclusions que nous ne pouvons suivre, même si Picard les a reprises à son tour. Il écrit en effet:

« La relation étroite qui l’unit au decumanus maximus prouve qu’il était bien compris dans le plan d’ensemble de la cité. Cette artère est en effet bordée de portiques à la manière des grandes avenues des cités orientales. Or les trois baies de l’arc donnent passage respectivement à la chaussée et aux trottoirs abrités par ces galeries. En outre, la composition même du monument ne s’explique qu’en fonction de la rue. Pour mieux établir la liaison, l’architecte a encadré chacune des portes mineures dans un édicule qui se détache en avant-corps sur la masse du pylône. 20 «

L’examen des dalles de la voie montre qu’on ne peut accepter cette interprétation. De surcroît, il y a un décalage de quelques degrés entre les portiques et le decumanus d’une part, et la façade de l’arc d’autre part. On ne peut donc invoquer de liaison organique

20 G. Picard, Empire Romain, Architecture Universelle, Fribourg, 1965, p. 174.

entre les deux éléments. Nous trouvons dans l’article de Lézine21 des arguments qui nous confortent dans cette idée. Mais par ailleurs, l’auteur, qui a mesuré l’écart de 6°5, s’engage dans une polémique avec Picard sur l’arc de triomphe considéré comme mur de fond de la perspective du decumanus, et loin de régler le problème de la datation, propose à son tour l’époque de Marc Aurèle, par analogie avec la porte Nord dont la seconde dédicace se rapporte à cet empereur.

L’aménagement de l’avenue de Lambèse se situe à la fin du IIe siècle, la reconstruction de la porte Ouest précédente est le pivot urbanistique de l’opération. Nous pouvons nous appuyer sur les données de la chronologie relative des constructions datées, et des modifications du plan primitif de la ville au Nord et à l’Ouest, consécutives au lotissement systématique22 de tout le terrain autrefois occupé par le rempart et son espace réservé. Il ressort de ces constatations que l’aménagement de la limite Ouest de la ville primitive à la fin du IIe siècle se fait en plusieurs phases :

On reporte la limite de la ville 300m à l’ouest, opération qui est matérialisée par la construction de la Porte de Lambèse. Déjà, le temple du Génie de la Colonie a franchi ce qui restait du rempart.

On aménage la voie qui relie cette porte à l’ancienne limite de la ville, matérialisée par la Porte Ouest, en construisant une voie à portiques.

Pendant ces travaux, le lotissement des terrains publics constitués par le rempart et ses espaces réservés, se poursuit. Bordant le côté Ouest de la parcelle en direction du Sud est bâtie la Voie (à portiques) du Capitole.

L’arc à trois baies des Sévères vient fermer la perspective pour ceux qui viennent de Lambèse.

La voie au pied de l’arc :

Certes, les remaniements liés à la reconstruction ont modifié une partie du dallage situé au-dessous de l’arc. Pourtant, Cagnat avait fait remarquer que les supports de statues hexagonaux situés contre les piédroits de la baie centrale, « en remplacèrent sans doute d’autres qui existaient avant eux ». C’étaient de grandes bases rectangulaires de 1,30m de profondeur sur 2m de largeur, et selon l’auteur, « tout à fait analogues à celles de la porte Nord. » On remarquera aussi sur la photo le changement d’orientation de ces bases. Il faut donc en tirer la conclusion que l’arc à trois baies est construit pratiquement au-dessus de la porte précédente (ce que confirmeraient certainement des sondages). La figure 10 ci-dessous montre clairement la reprise a minima de la voie du côté du centre de la ville, et sa cohérence du côté de l’Avenue de Lambèse, avec une orientation différente des dalles.

La présence, près de la face Ouest de l’arc, de plusieurs milliaires (fig. 24 page 115), n’a rien de surprenant et n’est pas un argument de datation: on peut citer le cas analogue de Cuicul23, où elles ont été déplacées jusqu’au pied de l’arc depuis la porte ancienne. Si les colonies ont compté les distances depuis leurs portes, et c’était le cas à Timgad, comme à Cuicul, aux temps de la création de la colonie, elles les ont ensuite comptées à Cuicul depuis l’arc honorifique qui matérialisait le recul des limites de la ville. A

21 A. Lézine « Note sur l’arc dit de Trajan à Timgad », Bulletin d’Archéologie Algérienne, II, 1966-67, Paris, 1967, p.123-127.

22 Voir l’article de M. Lassus, « Une opération immobilière à Timgad », Mél. Piganiol, III, 1966, pp.

1221-1231.

23 A Cuicul, dans la première période de la ville, les milliaires étaient installés au pied de la porte du cardo, ouvrant dans le rempart au Sud-Ouest. On les transporta au pied de l’arc de Caracalla lorsque celui-ci fut construit ; il devenait ainsi la nouvelle limite de la ville. Ce déplacement est assez symbolique,

Timgad au contraire, il ne semble pas qu’on les ait déplacées jusqu’à la Porte de Lambèse, à l’Ouest de la ville.

Figure 9 : La ville primitive au second plan (avec le forum et le théâtre), agrandie vers l’Ouest de la bande de terrain loti, de part et d’autre de l’arc. La ville nouvelle au premier plan : à

gauche, sur la voie à portiques, le temple du Génie de la Colonie et le marché ; à droite, le Capitole. In Lassus

Figure 10: Plan du quartier de l’arc des Sévères à Thamugadi, in Ballu.

Il n’est pas inutile de revenir sur le problème de l’adéquation de l’arc à la voie sur laquelle il est installé. Car à Timgad, comme à Lambèse, l’arc à trois baies, loin d’être destiné à servir exclusivement de mur de fond à une quelconque scénographie à l’usage interne, assure au contraire le passage vers un nouveau quartier de la ville. Les baies secondaires camouflent les légères différences d’orientation (les 6°5 relevés par Lézine) entre l’ancien et le nouveau tronçon du decumanus. La solution de Timgad, à supposer

même qu’elle soit le fruit d’un heureux hasard, est totalement nouvelle. Elle trouvera son accomplissement dans l’arc des Sévères à Palmyre. Elevé dans une région où l’urbanisme est essentiellement fondé sur l’articulation de l’espace autour des voies à portiques, cet arc atténue considérablement les changements d’orientation de la voie. Ici également nous constatons un angle de plusieurs degrés entre les axes de la voie et du monument. Cependant, comme celle-ci prend brutalement la direction de l’est, l’architecte a absorbé le coude disgracieux non seulement par le recours aux baies latérales, mais par le doublement de l’arc latéral, qui permet de maintenir sur l’autre face sensiblement le même écart avec la voie. En somme, pour atténuer l’infléchissement de la voie, dans un premier temps, on coupe la perspective, et par un artifice très habile, les baies latérales absorbent le changement de direction, tandis que la baie centrale reste parfaitement dans l’axe pour qui la regarde d’un côté ou de l’autre de la voie.

Ce qui est le plus intéressant, et le plus nouveau dans l’aménagement urbanistique réalisé à cette époque, c’est l’apparition d’une véritable rue à portiques, construite ab nihilo, dans la tradition hellénistique, c’est à dire dans une intention d’aménagement de l’espace urbain théâtralisé, mis en scène par l’arrivée dans le centre ancien par le passage sous un arc monumental. Cet aménagement a été pensé de façon systématique, ce que confirme l’empiètement de la voie sur le péribole du Temple du Génie de la Colonie, dédicacé en 16924, construction qui a également contribué à la disparition de l’enceint primitive. L’amputation de l’espace sacré de ce temple rappelle celle qu’a subi le péribole du Temple de Nébo lorsqu’on construisit à Palmyre le deuxième tronçon de la voie à portiques.

Lorsque l’urbanisme peut procéder ainsi sans trop de contraintes, il peut donner ampleur et majesté à une voie nouvelle ; et c’est ainsi que l’emprise de la chaussée va passer à7m 20de largeur, les trottoirs mesureront 7m 25 au lieu de 3m 60, et surtout, l’emplacement des colonnes change, elles ne sont plus implantées en bordure du trottoir, mais à 3m en moyenne à l’intérieur, en fonction des façades, à peu près au milieu de l’espace dégagé. En conclusion, l’emprise totale de la percée est de 22m50, au lieu de 11m pour le decumanus primitif. A titre de comparaison, la rue à colonnes d’Apamée mesure 22m de large, les portiques, 6,50m, mais la différence tient essentiellement au fait que les colonnes ont 9m de hauteur, sans compter l’architrave, si bien que l’avenue prend une tout autre majesté. A Thamugadi par contre, sur le nouveau tronçon de rue, les colonnes conservent la même hauteur que celles implantées à l’époque de Trajan le long du decumanus primitif, soit 3,70m, dans un souci vraisemblable d’unité, mais avec des proportions un peu mesquines par rapport à la largeur de la nouvelle rue.

Cette époque est pour la ville un temps de grande activité édilitaire, le théâtre, prévu dans le plan primitif, donc intra muros, voit le jour en 169, et on élève, bien tardivement il est vrai, le gigantesque Capitole, hors les murs cette fois, en direction du Sud Ouest, couvrant un espace aussi vaste que le Forum.

4.2.1.3. Chronologie relative des constructions dans les environs de la