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2.2. Les dédicants, citoyens et cités

2.3.1. La romanisation des statuts municipaux

Si elle s’est faite par étapes, comme toujours, elle s’est accélérée sous Septime Sévère et Caracalla, pour beaucoup d’entre elles. Parallèlement, les colonies créées sous Auguste (Assuras, Théveste et bientôt après Ammaedara, comme d’anciens camps de la légion) ou sous Trajan et Nerva (Timgad, Cuicul) ont diffusé directement leur modèle.

Une place à part doit être faite à Cirta, et aux villes qui constituaient la Confédération cirtéenne, de même qu’à ses castella, qui ont eux aussi vécu une romanisation précoce. Le système de la confédération cirtéenne est fondé sur une administration unique des quatre communautés, les communautés « attribuées » ne possédant pas de magistratures propres.

Le problème des quatre colonies de la confédération cirtéenne, les IIII coloniae : La formule qui les désigne ainsi ne date que de l’époque de Trajan. Auparavant, Rusicade et Chullu sont placés au rang des oppida par Pline, qui ne mentionne pas Milev. J. Gascou a suggéré que ces trois cités sont devenues des « colonies », colonies honoraires d’ailleurs, car elles restaient régies par les praefecti iure dicundo de la confédération, lorsque le territoire de Cirta a été amputé de terres suffisantes pour fonder la colonie de Cuicul22. Elles reçurent alors le titre, mais non le droit de colonies,

21 Voir sa Romanisation de l’Afrique, Paris, 1913.

22 Pour la date de création de cette colonie, on hésite toujours entre Nerva et Trajan ; mais la brièveté du règne du premier, et l’implication connue de Trajan dans des créations de colonies de « protection » des routes allant, par Sétif, également fondée à cette époque, vers Caesarea, tout porte à croire qu’il faut plutôt voir dans la création de Cuicul une intervention de Trajan.

ce que l’on constate dans leur titulature : elles ne portent pas le nom de Trajan, mais conservent leurs cognomi ses compagnons : Sarnia pour Milev, Veneria pour Rusicade, Minervia pour Chullu.

Elles constituent, pour plusieurs raisons, un ensemble particulièrement riche de villes, d’origine très ancienne, où ont fleuri les arcs honorifiques. C’est une zone de très vieille colonisation, et une grande région productrice de blé; son port, Rusicade, est assez proche et assez bien équipé pour permettre des échanges fructueux, notamment avec Pouzzoles, où il achemine régulièrement le blé annonaire, et sans doute l’huile de la région.

La déduction de la colonie de Cuicul sur un territoire autrefois cirtéen explique certainement les liens très étroits que l’on constate entre ces cités, qui ne s’étaient pas relâchés à l’époque sévérienne, où nous voyons de nombreux citoyens de l’une ou l’autre de ces villes exercer des fonctions municipales chez ses voisines proches. C’est la raison pour laquelle certains ont pensé que Cuicul était une colonie de Cirta.

Les castella de Cirta :

Les cités qui vivaient dans l’orbite de Cirta, chefs-lieux de cantons prospères, ou nœuds routiers, ou défenses avancées de Cirta, ont mené une vie suffisamment indépendante pour s’épanouir tout en imitant leur capitale. Souvent aussi anciennes que Cirta, et aussi bien défendues, nous pensons à Tiddis (12), et à Tigisis (3), ces villes ont pu construire les arcs qu’elles jugeaient de leur compétence.

Pour les autres communautés, le processus de romanisation a été identique, bien que plus ou moins rapides:

1 Passage, pour plusieurs d’entre elles, des structures municipales héritées de Carthage, en particulier du sufétat, à un système romain.

2 Association de la civitas indigène au pagus romain, et fusion des deux communautés dans un second temps : l’exemple de Thugga est le mieux documenté, et le plus intéressant, mais beaucoup d’autres cités de la pertica de Carthage ont fonctionné et évolué de la même manière.

3 Accession à un statut municipal plus gratifiant pour couronner cette longue évolution, comme à Thugga ; ou par la volonté du prince, dans une évidente intention d’assimilation bien comprise, à la manière de ce qui s’était passé pour les villes d’Italie.

C’est le cas particulièrement des cités du nord de la Proconsulaire.

La romanisation est aussi le fait d’une décision du pouvoir, lorsqu’il crée de toutes pièces une colonie dans une région peu ou pas habitée, ainsi à Cuicul et à Thamugadi, ce qui ne signifie pas que la décision ait été mal venue.

Les colonies :

Cuicul en effet n’a pas de support urbain ancien: créée à partir d’un petit village, et encore n’est-ce que présomption, perdue dans ses montagnes, elle était facilement défendue ; mais contre qui ? Ces montagnes qui la cernaient étaient pratiquement désertes. Par contre, dans un objectif d’expansion territoriale, elle constituait un bon jalon. On peut dire la même chose de Thamugadi, fondée au pied de l’Aurès, dans une région tout aussi peu habitée que celle de Cuicul. Du reste, aujourd’hui, pour expliquer la fondation de Timgad, on ne parle plus du danger qu’aurait représenté une population importante des Aurès, dont on n’a nulle trace. Par contre, le refoulement des tribus nomades était un objectif certainement envisagé par le pouvoir. Les colonies ont donc servi de jalons à une avance stratégique, appuyées par des vétérans qui ont constitué la première vague de peuplement, sur les sites que quittait la Légion, ou dans leur voisinage.

. La plus exemplaire demeure Thamugadi, mais Cuicul et Diana Veteranorum procèdent de la même démarche, comme Mons, et d’autres villes de la région de Sétif, qui n’ont pas laissé d’arc dédié à Caracalla.

Dans les villes de colonisation et d’urbanisation plus récente que les anciennes villes numides, la romanisation prend des aspects un peu différents. Nous avons déjà parlé de Timgad. Cuicul ne fait pas directement partie de ce territoire au sens le plus strict, mais elle est en relations commerciales et politiques très étroites avec Cirta, et partage souvent ses magistrats avec la capitale de la confédération cirtéenne : il n’est pas étonnant dès lors d’y retrouver le même type de monuments avec au même moment les mêmes dédicataires, et surtout, souvent, les mêmes familles qui fournissent des évergètes dans les deux villes. Toutes ces relations de proximité et d’échanges nous ont poussée à regrouper dans notre étude les arcs que ces cités voisines et unies économiquement ont élevés.

Ces villes créées souvent ex nihilo, ou en tout cas dans de petites bourgades, ont une population initiale faite de colons, donc de citoyens romains. Mais qui sont-ils ? Pour beaucoup, ce sont des vétérans, démobilisés, et à qui on a donné une terre. Or on sait que depuis le milieu du deuxième siècle au moins, les soldats de la Legio III Augusta sont recrutés sur place. Nous avons, avec ces vétérans, un très bon exemple de ce que pouvait être une « romanisation en profondeur » des modes de vie et surtout des mentalités. Mais il faut bien admettre que ces vétérans et leur famille, même si on examine le phénomène sur plusieurs générations, sont peu nombreux face à l’ensemble des Africains, qui n’ont pas adhéré à la romanité avec la même ardeur qu’eux. On doit à ces descendants de vétérans quelques arcs du Corpus.

Parmi les centres qui ont élevé un arc, on compte les colonies qui ont accédé au statut colonial pour avoir hébergé un temps la légion. Avec l’avancée des conquêtes, la maîtrise et la progression des routes entretenues ou créées par la troupe, elles ont vu s’installer près du camp légionnaire des colonies de vétérans florissantes. Toutes ces cités rendaient aux empereurs des hommages de fidélité qui s’expriment le plus volontiers dans des arcs honorifiques. Ainsi Ammaedara (Haidra), le premier siège de la légion, possède trois arcs, dont un dédié à Septime Sévère en 195. Théveste fut la deuxième étape dans cette progression; et elle possédait déjà une parure monumentale remarquable lorsque le quadrifrons de Caracalla y fut dédié. Ajoutons encore qu’elle était au centre d’une riche région oléicole, où les traces de pressoirs et d’huileries sont encore extrêmement nombreuses23. Théveste (18) était également le centre administratif d’un saltus impérial, ce qui constituait une, raison supplémentaire de manifester son loyalisme par une construction appropriée. La ville de Lambèse, installée à quelques kilomètres du camp légionnaire, resta le siège du commandement jusqu’à la dissolution de la IIIème Légion Auguste, en 238. La ville était dans son plein épanouissement à l’époque de Septime Sévère : c’est alors que la Légion restaura le sanctuaire d’Esculape, construisit la route conduisant à Lambèse, et éleva sur cette même voie l’arc dit de Septime Sévère (6). Il est à remarquer à ce sujet que c’est la troupe qui construit à Lambèse, ce qui s’était déjà vérifié à l’époque de Commode, lorsque l’empereur avait fait élever l’arc à trois baies qui lui est dédié. Quelques années plus tard, la colonie de vétérans toute proche de Diana Veteranorum (23) honorait Caracalla à son tour par un arc à trois baies.

On peut supposer que la fondation de la colonie de Théveste, qui ne fut certes pas créée ab nihilo comme Cuicul et Thamugadi, mais à partir d’un centre de moyenne importance, avait été envisagée dans le même objectif. Encore faut-il nuancer, car ce

23 Voir la carte établie par Camps Fabrer, L’olivier et l’huile dans l’Afrique romaine.

jalon routier jouait certainement pour les tribus musulames un rôle capital de lieu de rencontre et d’échange. Que la romanisation organisée par Trajan ait été « sélective et autoritaire », comme l’écrit J. Gascou, ne fait aucun doute. Qu’elle ait appelé des populations dans des zones ingrates ou isolées, et que la richesse ainsi générée ait accompagné un accroissement de la population locale ne fait pas davantage de doute.

Mais cependant, la romanisation, ne dépasse guère les limites du territoire de la ville, ce qui pose évidemment le délicat problème de l’extension de la romanité dans les campagnes, et face aux tribus.