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7 .1 Le staging model ou classification en stade

Les stades cliniques représentent un outil utilisé dans différents domaines médicaux, notamment en oncologie, où l'espérance et la qualité de vie sont en partie liées à la précocité de l'intervention. Ils peuvent être conçus comme une forme de diagnostic plus affiné, s'attachant à définir la progression d'une pathologie et la position du patient par rapport à elle. Une telle approche est sensée permettre au clinicien de choisir le traitement le plus pertinent pour les stades précoces, c'est à dire avec la balance bénéfice risque la plus favorable. Dans le cas des troubles psychotiques, un modèle de stades cliniques a été établi par l'équipe australienne de Mc Gorry dès 2006.

Dans ce modèle, les stades « pré-psychotiques » sont constitués de groupe de symptômes qui diffèrent par leurs caractéristiques cliniques et leur intensité (Patrick D. McGorry et al., 2006).

-Le premier stade (stade 0) implique un risque accru mais est asymptomatique: c'est le cas par exemple des apparentés de sujets psychotiques.

-Le stade 1 représente la conception actuelle de la phase prodromique et est divisée en stade 1a pour les symptômes légers et peu spécifiques (dont les symptômes neurocognitifs) associés à des changements fonctionnels légers. Le stade 1b est caractérisé par des symptômes modérés (dont les symptômes cognitifs) inférieurs au seuil de transition, avec un déclin fonctionnel (EFG<70). Ce stade correspond au statut des patients à ultra haut risque.

-Le stade 2 est celui du premier épisode psychotique, il implique également des symptômes cognitifs et un déficit fonctionnel (EGF de 50 à 70).

-Les stades 3 et 4 sont caractérisés par les niveaux de rémission et les rechutes et vont de la rémission incomplète du premier épisode à la maladie chronique sans rémission.

En 2017, cette classification est revisitée: du point de vue des stades « pré-psychotiques », la nouveauté réside dans la séparation du stade 1 en trois sections selon l'intensité clinique et le risque de transition (Paolo Fusar-Poli et al., 2016).

Stade 1a: symptômes cognitifs et négatifs (3% de transition à 2 ans) Stade 1b: symptômes psychotiques atténués (19% à 2 ans)

Stade 1c: épisodes psychotiques brefs et résolutifs (39% à 2 ans)

Un modèle différent est proposé la même année (Carrión et al., 2017). Il repose sur les travaux réalisés dans le cadre du programme de reconnaissance et de prévention new yorkais (RAP). Ce dernier a proposé vers la fin des années 90 un modèle théorique de la schizophrénie dont le développement repose sur deux conditions. Des anomalies cérébrales sous-jacentes à l'origine notamment des déficits cognitifs et des symptômes négatifs seraient associées à une prédisposition à développer des symptômes positifs. Une classification comprenant 4 stades a été proposée pour la phase pré-psychotique. Elle se base sur des niveaux de sévérité croissants des symptômes positifs des stades 2 à 4, et sur la présence des symptômes négatifs tout au long des 4 stades. L'intensité des symptômes positifs est évaluée selon la SOPS.

Le stade 1 « CHR- » consiste en des symptômes de type négatif (repli social, échec scolaire..) et en l'absence de symptômes positifs.

Le stade 2 « CHR+ mod » correspond aux symptômes psychotiques atténués, légers à modérés.

Le stade 3 « CHR+sev » correspond à des symptômes psychotiques atténués, d'intensité plus forte mais inférieure au seuil de psychose.

Le stade 4 « Schizophrenia Like Psychosis »: un seul symptôme positif d'intensité maximale et ne correspondant pas aux critères d'autres troubles du spectre schizophrénique ou bipolaire. Ce stade 4, quoique comparable à la catégorie BLIPS, ne lui est pas identique et est considéré comme une étape intermédiaire entre l'état mental à risque et le trouble psychotique constitué.

Ce modèle a été testé sur un échantillon de 171 patients et l'étude qui en découle a permis de conclure que la sévérité des symptômes précoces joue un rôle critique pour l'évaluation du risque de transition, du délai de transition et de l'indication thérapeutique. Y compris en l'absence de transition, la sévérité des symptômes positifs initiaux est positivement corrélée à la persistance de symptômes résiduels. Cette étude conclut enfin à l'importance des symptômes négatifs et du déclin fonctionnel, étant donné qu'ils restent

présents tout au long du suivi, indépendamment de la présence de symptômes positifs. 7.2 Les recommandations de prise en charge

7.2.1 Recommandations internationales

National Institute for Health and Care Excellence

(NICE)

Il s'agit d'un groupe opérationnel dépendant du ministère de la santé britannique ayant édité en 2014 ses recommandations pour la prise en charge des troubles psychotiques chez les enfants et jeunes adultes. Face à un jeune développant des symptômes psychotiques atténués ou transitoires, ou évocateurs d'un possible trouble psychotique, associés à une détresse et une altération du fonctionnement, il convient: -de l'orienter sans délai vers une prise en charge spécialisée, pour une évaluation par un professionnel expérimenté dans ce domaine.

-d'offrir un suivi régulier jusqu’à une durée de 3 ans, en fonction de la sévérité et de la fréquence des symptômes, du niveau de détresse et de handicap et de l'implication de la famille.

-En cas de rupture de suivi, il convient de proposer des rendez-vous ultérieurs, d'informer le jeune de la possibilité de reconsulter et de demander à son médecin traitant de poursuivre la surveillance.

En ce qui concerne la prise en charge thérapeutique, il est recommandé:

-de proposer une thérapie cognitivo-comportementale (TCC) individuelle avec ou sans interventions familiales.

-de traiter les comorbidités associées (troubles anxieux, dépressifs, troubles de personnalité, addictions notamment).

-de ne pas proposer de traitement antipsychotique tant que les symptômes sont insuffisants pour porter le diagnostic de psychose ou de schizophrénie.

Australian Clinical Guidelines for Early Psychosis

Ces recommandations émanent d'Orygen, le National Centre of Excellence in Youth Mental Health, organisme australien dont Patrick Mc Gorry est le directeur. Leur dernière édition date de 2016 (“Australian Clinical Guidelines for Early Psychosis, Orygen, 2016”).

Les principales recommandations concernant les sujets à ultra haut risque sont les suivantes:

-Si des éléments cliniques indiquant la présence d'un état à ultra haut risque sont présents, le sujet devrait être évalué et son état mental suivi régulièrement (toutes les 2 à 4 semaines). L'intervention de référence est la TCC.

-Les informations sur le niveau de risque de transition devraient être données avec précaution, en tenant compte du contexte social et culturel.

-Les comorbidités comme les addictions ou la dépression, et les problèmes interpersonnels, scolaires ou professionnels et familiaux devraient être pris en charge de manière adaptée.

-La TCC pourrait réduire la symptomatologie psychotique et prévenir ou retarder la transition. -Elle pourrait également améliorer le fonctionnement social.

-Les traitements antipsychotiques ne devraient être prescrits qu'en cas de symptômes positifs francs maintenus pendant au moins une semaine. Les cas où des symptômes plus brefs ou plus légers s'aggraveraient rapidement ou seraient associés à un risque auto ou hétéro-agressifs pourraient constituer une exception.

-Les acides gras oméga 3 poly-insaturés pourraient prévenir ou retarder la transition psychotique.

La thérapie cognitivo-comportementale pendant le stade UHR est centrée sur les symptômes et se base sur des techniques comme la psycho-éducation, l'amélioration des stratégies de coping par rapport aux symptômes positifs, le renforcement de l'estime de soi, le renforcement des capacités de gestion du stress. Les objections à l'instauration d'un traitement au cours de la phase à risque sont précisées dans ce guide de bonnes pratiques. Elles sont nombreuses. On peut citer les effets indésirables potentiellement graves et délétères chez des sujets jeunes (dysfonction sexuelle, prise de poids, syndrome extra pyramidal, sédation), la stigmatisation associée à la prise d'un traitement, la faible acceptabilité des traitements pharmacologiques par les sujets UHR et également le risque de faux positifs.

7.2.2 Le case management

Le case management est un modèle de prise en charge médico-décentrée, recommandé quel que soit le stade, dans lequel le case manageur a un rôle de pivot aussi bien au plan médical que psycho-social. Ses interventions sont fréquentes (quotidiennes s'il le faut), ambulatoires, au plus près du lieu de vie du patient. Les prises de décision doivent être partagées avec ce dernier. Ses missions sont multiples: coordonner et faciliter l'accès aux soins (psychiatriques et somatiques), favoriser les relations sociales, familiales et amicales, développer l'autonomie et aider le patient à atteindre ses objectifs personnels. Il s'agit d'aider ces jeunes à trouver leur propre voie vers la guérison, c'est à dire vers une vie épanouissante et riche de sens selon leurs propres valeurs plutôt qu'un simple retour à leur état de base. Pour cela le case manager doit entretenir une vision optimiste et permettre au jeune de consolider son identité et ses rôles sociaux (familiaux, amicaux, professionnels) ainsi que ses compétences pour atteindre ses buts. Ces différents aspects du case management sont détaillés dans le guide de recommandations de bonnes pratiques australien.

7.2.3 Interventions en fonction du stade clinique Stade 0

A ce niveau, les interventions pourraient viser les facteurs de risques périnataux, sociaux ou environnementaux plus tardifs, avant que les symptômes et la détresse associée ne se manifestent. Cependant il n'existe pas encore de stratégies de prévention dont l'efficacité soit démontrée pour réduire le risque de psychose dans cette situation. Pour le moment, la seule qui soit réalisable est la surveillance et l'éducation des sujets à risque génétique de schizophrénie et leur famille, même si seulement 10 % d'entre eux développeront un trouble psychotique ultérieurement. L'enrichissement de la littérature scientifique portant sur cette population à risque pourrait à terme permettre d'améliorer leur prise en charge précoce. Stade 1

-1a: enrichissement de la littérature, psycho-éducation des familles, réduction des consommations de toxiques, traitement des comorbidités si nécessaire.

-1b: idem plus TCC et psycho-éducation individuelle, agents neuro-protecteurs, accompagnement vers l'orientation scolaire et professionnelle (Mc Gorry et al., 2010).

Une méta-analyse suggère que des psychothérapies de courte durée (6 à 12 mois) peuvent diviser par deux le risque de survenue d'un trouble psychotique (van der Gaag et al., 2013), mais pour l'heure, aucune intervention n'a encore fait la preuve de son efficacité à long terme.

Cependant les patients pris en charge en service spécialisé et qui développent un trouble ultérieurement ont une DPNT nettement inférieure aux autres (11 jours versus 1 an en moyenne) (Valmaggia et al., 2015). Ils nécessitent également moins d'hospitalisation suite à la survenue d'un premier épisode (46% versus 68%) et moins d'hospitalisation sous contrainte (30% versus 62%) (Valmaggia et al., 2015).