• Aucun résultat trouvé

2.2. Thèmes, valeurs et messages d’Harmonium

2.2.4. Spontanéisme et spiritualité

Une autre valeur fondamentale au cœur de cette mouvance hippie que l’on retrouve dans l’œuvre d’Harmonium est l’idéal de la spontanéité et le règne de l’émotion et du moment présent. La contre-culture célèbre alors la spontanéité, qu’elle soit réfléchie, satirique ou carrément absurde.

95 Michel Poitras, « Harmonium », p. 44. 96 Robert Léger, La chanson québécoise…, p. 85. 97 Robert Léger, La chanson québécoise…, p. 77.

79

L’objectif est de s’écarter du rationalisme froid et de la mise en tutelle des émotions98 qui sont alors ouvertement récusés par cette mouvance qui lui préfère l’expression spontanée des passions et sentiments99. Bien que cette idéologie soit surtout caractéristique des mouvements artistiques et des communes hippies, au Québec, ces idéaux inspirent aussi de jeunes partis politiques (Front de libération populaire; FLP et Mouvement de libération populaire; MLP)100. Si plusieurs auteurs s’accordent sur l’idée que politiquement, les évènements d’octobre 1970 marquent la fin de la spontanéité101, on constate cependant qu’une sensibilité générationnelle pour cet idéal demeure bien ancrée, comme en témoigne la section d’entrevue consacrée à Michel Normandeau à Mainmise en 1976 : « Je ne tiens pas à voir clair. Je ne tiens plus à voir clair. Parce que cela implique une mise en tutelle de mes sentiments et une abstraction de tout ce qui m’entoure pour en arriver à une rationalisation froide102 ».

À cette mouvance spiritualiste, on peut ajouter un élément particulier du Québec qui a contribué au succès de ces nouvelles formes de spiritualité. En effet, au tournant des années 1960-1970, le vide laissé par le déclin rapide des pratiques religieuses au Québec aurait favorisé l’essor de nouvelles pratiques et croyances spirituelles103. Le spiritualisme et le communautarisme que l’on retrouve au sein de l’œuvre d’artistes des années 1970 comme Harmonium serait peut-être à inscrire dans la formation de nouvelles pratiques en vue de répondre au vide spirituel et au manque de communion et de cohésion collective de la génération du baby-boom qui est assez disparate malgré l’image que l’on s’en fait généralement104. Centrés

sur l’émotivité et l’expérience subjective de l’être humain, les thèmes musicaux d’Harmonium afficheront avec l’heptade un spiritualisme et un mysticisme assumé105. En regard de ces idéaux,

98 Doug Owram, Born at the Right Time…, p. 232.

99 Serge R. Denisoff, « Generations and Counter-Culture : A Study in the Ideology of Music », p. 35-38; Jules

Duchastel, « La contre-culture, une idéologie de l’apolitisme », p. 260-261.

100 Effectivement, ces groupements politiques s’inspirent des idéaux anarchistes et fonctionnent selon cette

idéologie spontanéiste; Jacques Pelletier, Question nationale et lutte sociale, p. 28.

101 Doug Owram, Born at the Right Time…, p. 160. et Jacques Pelletier, Question nationale et lutte sociale, p. 28

et 180.

102 Michel Normandeau en entrevue avec Georges A. Turcot, « Harmonium : tout part du ventre », p. 16.

103 On fait ici référence au déclin des pratiques d’introspection concrètes plutôt qu’à une notion abstraite de perte

de repères pouvant être orchestrée par les tenants d’une approche néoconservatrice : Martin Petitclerc, « L’histoire comme projet démocratique », Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 64, no. 1, 2010, p. 93; Michael Gauvreau, Les origines catholiques de la Révolution tranquille, p. 7-10.

104 Stéphane Kelly, À l’ombre du mur…, p. 230-231.

80

il faut aussi nuancer le raccourci historique selon lequel, au tournant des années 1960-1970, la trinité « religion, tradition et autorité » est remplacée par celle du « sex, drugs and rock’n’roll106 ». Effectivement, la spiritualité de la contre-culture telle qu’on l’on retrouve dans l’heptade d’Harmonium est une quête en soi et un travail sur soi et non une simple échappatoire à la dureté de la vie.

Plus que tout autre, l’heptade, reflète cette tendance spiritualiste. Les entrevues auxquelles a participé le groupe nous informent sur les inspirations ésotériques impliquant le chiffre sept qui a une portée presque magique : sept jours de la semaine, sept cieux, sept planètes, sept musiciens au sein du groupe, sept chansons sur l’album, sept niveaux de conscience et sept étapes d’évolution de l’humain107. Le mémoire de Marie-Andrée Rodrigue nous apprend aussi que ces thématiques, très populaires à l’époque, sont reliées à certaines théories bouddhistes qui suggèrent que l’humain accèdera au Nirvana après avoir franchi sept étapes successives, sept niveaux de conscience108. Le groupe se serait entre autres inspiré d’un ouvrage central du renouveau spiritualiste de la contre-culture des années 1970 en reprenant les concepts du livre d’Anthony Campbell paru en 1974 : Seven States of Consciousness: A Vision of Possibilities Suggested by the Teaching of Maharishi Mahesh Yogi, livre qui s’inspire des enseignements du controversé Yogi ayant enseigné aux Beatles lors de leur voyage spirituel en Inde.

Comme en témoigne l’entrevue de Michel Normandeau à Mainmise, Harmonium tentait consciemment d’entretenir une relation spirituelle d’Harmonium avec son public. Par ses prestations, le groupe tentait de ramener un sentiment de communion spirituelle et de le partager avec son public grâce à sa musique : « Les gens accolés les uns aux autres à la fin d’un spectacle, comme les vieux qui sortaient jadis de la messe le dimanche, avec cette joie intérieure après un message d’amour, c’est ça l’ultime but d’Harmonium109 ». La quête artistique d’Harmonium

doit donc être située à la jonction entre recherche musicale et projet spirituel et son succès sur

106 Ce raccourci historique est notamment repris par Stéphane Kelly, À l’ombre du mur…, p. 42.

107 Louis-Guy Lemieux, « Harmonium arrive avec sa mise en scène de L'heptade », p. D9. et Georges A. Turcot,

« Harmonium : tout part du ventre », p. 15-16.

108 Marie-Andrée Rodrigue, Le récit de l'Heptade d'Harmonium…, p. 1-4.

81

la scène progressive internationale s’explique notamment en regard de cet équilibre entre virtuosité et authenticité émotive de la performance artistique.