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2.2. Thèmes, valeurs et messages d’Harmonium

2.2.3. Nature

Notons d’abord que les thématiques de la nature et du spiritualisme sont à inscrire dans l’air du temps et dans la contre-culture populaire des années 197088. L’omniprésence des thèmes de la

nature, de l’émotion humaine et du spiritualisme inspirés des religions orientales dans les compositions d’Harmonium témoignerait en ce sens des affinités du groupe avec les aspirations des mouvements hippies des années 1960. Toutefois, il semble ici que l’optimisme lyrique qu’identifiait François Ricard au sein de la première vague de baby-boomers89, se transforme vers le milieu des années 1970 en un projet plus modeste qui se présente comme une révolution personnelle au travers du contact avec la nature et une quête spirituelle. Bien que les thèmes de

87 Line Grenier, « Je me souviens... en chansons… », p. 42; Caroline Durand, Chanson québécoise…, p. 110-111. 88 Bruno Roy, « Lecture politique de la chanson québécoise », p. 206.

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la nature et du spiritualisme soient difficilement dissociables, nous commencerons par une étude du premier des deux thèmes, puisque un album entier d’Harmonium y est dédié.

Le deuxième album du groupe, Si on avait besoin d’une cinquième saison (1975), suit la ligne directrice du rythme et de l’émotion dégagée par le changement des saisons et suggère l’idée d’un manque et d’une œuvre à compléter en regard de la relation de l’être humain à la nature. Tout comme d’autres groupes de rock progressif québécois de l’époque, comme Maneige qui chante le paysage québécois, on sent dans la musique d’Harmonium l’importance du changement des saisons sur l’humain, où la légèreté de l’été (Dixie) contraste avec la déprime automnale (Depuis l’automne). Se rapprochant du courant romantique du XIXe siècle, avec Depuis l’automne, Harmonium partage un sentiment d’aliénation et d’isolement produit par la mésadaptation aux valeurs et conventions sociales de son temps90. La dernière composition de l’album, Histoires sans paroles, dont la première partie est nommée L’isolement, propose comme remède à ce sentiment d’aliénation la fuite dans un songe91. Rappelant le Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy, Histoire sans paroles nous emporte dans un univers féérique qui révèle avec vivacité la sensibilité lyrique et la vision romantique de la nature de la génération du baby-boom. D’ailleurs, en suggérant que la cinquième saison, l’œuvre à compléter, est celle de l’émotion humaine, cet album d’Harmonium rejoint le thème du spiritualisme. Selon Olivier Cruchaudet, Harmonium suggère qu’il manque quelque chose à l’ordre actuel; une cinquième saison, un temps nouveau92, peut-être une révolution culturelle

ancrée dans la prise de conscience individuelle comme chez Mainmise93? Cet album est à

inscrire dans la même sensibilité utopique que l’on retrouve chez le groupe progressif britannique Yes chez qui le cynisme de la contre-culture existentialiste disparaît entièrement au profit de l’affirmation d’un monde nouveau en symbiose avec les idéaux de la jeunesse et avec la nature où le libre développement de l’esprit est possible94.

90 Sur la place du romantisme dans le rock progressif, référer à Chris Anderton, « A many-headed beast... », p. 424. 91 Sur cette analyse du romantisme, référer à E.F., Kravitt, « Romanticism today », The Musical Quarterly, 76/1,

1992, p. 100.

92 Olivier Cruchaudet, « Harmonium - Dis-moi, c'est quoi ta toune ? ». 93 Andrée Fortin, Passage de la modernité…, p. 197-198.

94 Bill Martin, Listening to the Future…, p. 6; Jay Keister et Jeremy L. Smith, « Musical Ambition… », p. 443-

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Toutefois, cette utopie semble ici être en marge de la réalité québécoise de plus en plus urbaine. Contrairement au groupe Octobre qui assume cette urbanité, Harmonium nous propose plutôt une fuite vers la nature et les paysages fantastiques. La pochette du deuxième opus La cinquième saison fait foi de cette tendance alors que les membres du groupe sont présentés dans un paysage féérique avec leurs cheveux et barbes longues et des ailes de papillon au dos95. Évidemment, l’imaginaire de la nature possède une importance indéniable au Québec où l’idéal du retour à la terre refait sporadiquement surface comme une échappatoire à l’environnement urbain. De l’idéalisation de la vie à la campagne par rapport à la vie en ville dans Bonheur d’Occasion de Gabrielle Roy, à l’escapade fantastique que nous propose Harmonium avec sa Cinquième Saison, on ne peut que constater la récurrence du thème de la nature qu’on oppose à l’univers urbain. D’ailleurs, Serge Fiori achètera une maison de campagne à Saint-Césaire, dans les Cantons de l’Est, où Harmonium composera l’heptade, une œuvre à inscrire dans l’esprit communautaire de retour à la terre des communautés hippies96. Fiori est aussi très proche des Séguin. Après Harmonium il enregistrera avec Richard Séguin l’album Deux cents nuits à l’heure. Cette proximité est significative, car les Séguin prônent alors le retour à la terre et la simplicité volontaire en vivant, comme plusieurs jeunes Québécois de l’époque, dans une commune hippie sur une ferme. En trame de fond d’Harmonium on retrouve ainsi les valeurs du communautarisme et du rapport harmonieux à la nature qui caractérisaient le flower-power américain des années 196097. Ce projet reflète toutefois une réalité quelque peu différente de

celle des années 1960, car il semble plus axé sur le parcours spirituel individuel que sur un projet de révolution globale. Comme l’affirme le groupe en entrevue, la cinquième saison est celle de l’émotion humaine dégagée par le changement des saisons.