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CHAPITRE 4 : L’ANALYSE

4.1. Les conditions structurelles : un décor contraignant

4.1.2. La sphère relationnelle : seule face aux multiples obstacles

La sphère relationnelle constitue une autre condition influençant la désinsertion sociale. Il s’agit de la sphère regroupant les relations censées assurer une certaine forme de soutien social (De Gaulejac et Léonetti, 1994). Dans l’analyse des récits des participantes, l’isolement social s’est avéré comme une condition récurrente et déterminante dans la trajectoire des participantes, ces dernières se retrouvant sans ressources pour affronter les diverses difficultés auxquelles elles étaient confrontées, notamment en lien avec la pauvreté et le logement.

Pour certaines, elles sont complètement seules et ne peuvent compter sur aucune personne significative dans leur vie. Pour d’autres, elles entretiennent un bon lien avec une ou des personnes, mais elles ne s’inscrivent pas dans des réseaux sociaux soutenants, sauf pour Bernadette, qui dit être entourée par un réseau lié à des groupes religieux. Pour une majorité des neuf femmes, ce sont encore une fois les problèmes physiques, qui rendent les déplacements difficiles et qui augmentent considérablement leur isolement social, les empêchant d’entretenir

de relations. Cette solitude pèse pour plusieurs d’entre elles, qui ont conscience de leur isolement:

« Vraiment, tout l’été, j’suis pas capable… J’pense que j’suis sortie trois fois. S’il fait trop chaud, que c’est humide, j’suis pas capable de respirer faque je reste chez nous à l’air climatisé. C’est ça, le côté social, y’est pas trop, trop fort. Mmm… » (Claudine);

« Bien l’avenir, j’aimerais ça retrouver mes jambes là. D’être capable d’être autonome pis euh pas de dépendre de tout un chacun pour aller à des places là t’sais. […] Ouais, j’suis, j’suis, j’suis forcément dépendante à cause de mon état physique. Bien mental aussi, mais physique ... c’est mon état physique qui m’empêche de sortir présentement » (Madeleine);

« J’m’arrange quand même bien au niveau financier, mais j’vis beaucoup seule. Je suis pas mal toujours toute seule. Eh, retirée. Ah ça… » (Suzy).

Certaines participantes expliquent entre autres leur isolement par la difficulté d’être en contact et en relation avec autrui à cause de l’accumulation des difficultés vécues. Ainsi, certaines s’isolent, par peur d’être blessées à nouveau et parce qu’elles ont de la difficulté à faire confiance :

« Pis que, pis des fois on a tellement besoins, de besoins, que des fois, la vie est tellement difficile pour aller chercher tous les besoins qu’on a […] chacun travaille pour sa petite affaire pis on dirait que des fois ça nuit à la vraie amitié là» (Barbara);

« Ben, ben, j’ai beaucoup peur des gens maintenant énormément de me faire blesser, de me faire du mal, de me faire, surtout à coopérative, parce que y m’ont fait beaucoup de mal. […] Y m’ont vraiment fait perdre le peu d’estime de moi que j’avais » (Suzy);

« Q. : Pis, présentement, est-ce que vous êtes en relation amoureuse? / R : Non, non. Oublie ça. Ça, c’est terminé. […] Pis les blessures de ça, ça fait trop mal pour moi, c’est assez » (Claudine).

Justement, la violence est pratiquement omniprésente dans les récits de vie des participantes, tout comme le révèlent diverses recherches (Conseil des Montréalaises, 2017; Rheault, 2016). La violence constitue souvent un événement marquant dans la trajectoire de désinsertion, s’inscrivant dans un ensemble de relations interpersonnelles complexes, augmentant l’isolement des femmes rencontrées, précipitant un départ d’un logement. Sept femmes sur les neuf ont dit avoir vécu de la violence sous diverses formes : physique; psychologique; sexuelle; se déroulant dans l’enfance; dans la vie conjugale; dans les logements;

dans la rue. Comme le dit Éli, juste le fait d’être en situation d’itinérance, c’est vivre une certaine forme de violence :

« Déjà c’est violent d’être dans rue là » (Éli).

Cela étant dit, ces multiples traumas amènent une vulnérabilité et un stress constant, indissociables de la condition de ces femmes. Les participantes témoignent de la crainte permanente d’être attaquée, volée, violée, particulièrement une fois en situation d’itinérance :

« Ah mon Dieu j’ai été longtemps dans rue sur le gros nerf que quelqu’un vienne m’assommer là t’sais. Beaucoup de stress, beaucoup de peur » (Madeleine); « R : On peut pas rester dans rue, on peut pas survivre dans rue. C’est dangereux. C’est dangereux. / Ben c’est, moi j’me suis sentie en danger. Ouais. / Q : Mais c’est-à-dire menacée physiquement par d’autre gens? / R : Oui j’ai été, j’ai été projetée en bas d’un escalier déjà par un gars qui est un fou que j’ai rencontré sur la plage, me souviens entres autre de ça. Ou des abus sexuels, c’est violent » (Éli);

« Bien c’est toujours plus difficile parce que t’as toujours, t’sais t’es en état de faiblesse pis de ... faut que tu quêtes pour toute. Faque euh des fois bien les hommes s’attendent d’avoir autre chose en retour là t’sais » (Madeleine).

Bref, l’isolement social a été une caractéristique récurrente dans les récits de vie des participantes, ce qui va dans le même sens que la littérature quant aux femmes âgées en situation d’itinérance (Essombé, 2014; Grenier et al., 2016b; Kisor et Kendal-Wilson, 2002). Le manque de soutien social peut donc être considérable pour influencer une trajectoire de désinsertion sociale, les femmes se retrouvant seules et sans ressources lorsqu’elles sont confrontées à des obstacles multiples. De même, l’omniprésence de la violence dans les récits est directement liée au genre féminin et à l’oppression quotidienne à laquelle elles font face. Les sphères sociales et relationnelles réfèrent certes à des conditions individuelles, mais également structurelles, car leur réseau social ne permet pas de créer un filet de protection sociale suffisant pour ces femmes âgées et défavorisées. Ces sphères sont donc indissociables de la production de la désinsertion sociale.