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CHAPITRE 2 – CADRES THÉORIQUE ET D’ANALYSE

2.3. Objectifs de recherche

La préoccupation pour la situation des femmes âgées en situation d’itinérance, leur invisibilité et le manque de connaissances du phénomène et donc le manque de services adéquats, m’amènent à vouloir approfondir les trajectoires qui les ont menées vers l’itinérance. La notion de marge de manœuvre expliquée plus tôt, en lien avec la désinsertion sociale, est pertinente pour étudier le parcours de ces femmes, car ce concept dépeint autant les ressources individuelles que structurelles avec lesquelles les femmes âgées peuvent agir lorsqu’elles tentent d’éviter une situation d’itinérance ou lorsqu’elles la vivent. Ainsi, la théorie de la désinsertion sociale permet d’analyser les éléments déclencheurs et les étapes qui s’en suivent, en fonction des dimensions individuelles, sociales, structurelles et symboliques du processus menant à l’itinérance. Plus encore, le cadre théorique de la désinsertion sociale permet de comprendre la trajectoire des femmes rencontrées à partir d’un modèle singulier de trajectoire, aux influences diverses et dans une analyse à la fois structurelle et subjective, ce qui s’inscrit tout à fait en cohérence avec l’analyse intersectionnelle. Justement, l’intersectionnalité vient compléter l’analyse pour approfondir les dimensions d’âge, de genre et de classe, et potentiellement de l’origine culturelle, des identités et des orientations sexuelles, etc., indissociables de l’histoire de vie de ces femmes et de leur processus de désinsertion.

Plus spécifiquement, les objectifs de la recherche sont les suivants :

Mieux comprendre l’influence des conditions structurelles dans les trajectoires de désinsertion des femmes âgées de 50 ans et plus vivant ou ayant vécu une situation d’itinérance : 1. Peut-on identifier des conditions structurelles récurrentes dans le processus de désinsertion des femmes âgées itinérantes?

2. Quelles sont les trajectoires des femmes vivant une situation d’itinérance à 50 ans et plus?

3. Quelles sont les marges de manœuvre dont disposent les femmes âgées de 50 ans et plus pour agir sur leur trajectoire d’itinérance?

Pour répondre à ces objectifs de recherche, les femmes en situation grande précarité et donc à risque d’itinérance font partie de la population étudiée. Le fait d’inclure ces personnes à risque d’itinérance est non seulement conforme à la typologie de l’itinérance développée par Gaetz et al. (2012), mais permet également de mettre en lumière l’itinérance cachée, caractéristique des femmes âgées en situation d’itinérance, en plus d’inscrire cette précarité économique et résidentielle dans une trajectoire qui n’est pas fixe. La combinaison de l’intersectionnalité et de la désinsertion sociale permet alors d’approfondir la question en donnant un modèle de trajectoire précis, celui de la désinsertion sociale pour orienter l’analyse intersectionnelle. De même, l’intersectionnalité permet d’approfondir davantage les enjeux d’oppressions et d’agentivité, en donnant notamment une lunette féministe à la désinsertion sociale.

2.3.1. Pertinence sociale et scientifique

Les objectifs de cette recherche et plus largement, la question de l’itinérance chez les femmes âgées, sont pertinents car la problématique est peu connue et demeure invisible, alors que les maisons d’hébergement font la démonstration qu’elle est en augmentation. Avec le vieillissement de la population, de plus en plus de personnes atteindront un âge avancé. S’interroger sur l’impact des conditions structurelles dans la désinsertion de ces femmes, processus qui peut aboutir à l’itinérance, permet non seulement d’approfondir la compréhension de l’itinérance, mais également de la concevoir dans sa complexité pour mieux y faire face.

S’intéresser à la question de la trajectoire permet de mieux comprendre les éléments qui agissent sur le processus d’exclusion, de même que sur les agirs des personnes dans la structuration de leur vie (Bellot, 2000). Les mentions récentes des personnes âgées ainsi que la spécificité des femmes en situation d’itinérance dans les plans d’action gouvernementaux témoignent de la reconnaissance des nouveaux visages de ce problème social (MSSS, 2014). Il importe alors que des politiques et des programmes spécialisés soient mis sur pied pour répondre aux besoins de cette population. Ainsi, ces nouvelles réalités doivent être énoncées, étudiées et documentées.

Outre la pertinence sociale de prendre conscience de ce problème, de mieux le comprendre et de mieux agir collectivement pour le réduire, la démarche en soi s’avère pertinente sur le plan humain. Plusieurs femmes ayant participé à la recherche ont dit ne pas le faire pour elles-mêmes, car elles avaient déjà raconté leur histoire à trop d’intervenants-es. Or, elles acceptaient de le faire une fois de plus, par solidarité pour les femmes qui ont vécu la misère de la rue, afin que cette problématique soit connue et pour éviter que d’autres se retrouvent dans des situations comparables. Ainsi, cette recherche (Bellot et al., 2015-2017) a permis à certaines femmes d’avoir une voix, d’être reconnues dans leur savoir expérientiel, de pouvoir agir pour un changement, de mettre leurs expériences en commun afin de créer des connaissances plus générales qui serviront, je l’espère, la cause de l’itinérance chez les aînées.

Bref, l’existence d’un problème social affectant des personnes vulnérables, sans pour autant être en mesure de maîtriser ses contours, son ampleur, ses déterminants et ses caractéristiques, mérite d’être retenu et qu’une attention particulière soit accordée. Ce mémoire vise donc à s’inscrire dans un continuum de connaissances pour mieux en saisir la complexité, et surtout, mieux agir. De plus, analyser cette problématique en combinant l’intersectionnalité et la désinsertion sociale s’avère un exercice théorique original et pertinent.