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La sphère économique : des revenus limités et des loyers élevés

CHAPITRE 4 : L’ANALYSE

4.1. Les conditions structurelles : un décor contraignant

4.1.1. La sphère économique : des revenus limités et des loyers élevés

La sphère économique est d’abord liée aux revenus disponibles. L’ensemble des femmes rencontrées ont été confrontées à un moment dans leur vie à une pauvreté économique, plusieurs

ayant occupé des emplois précaires ou sur le marché noir, d’autres bénéficiant de l’aide sociale. Certaines ont vécu avec des revenus plus élevés, mais étaient dans une situation de dépendance financière, c’est-à-dire que les revenus d’une tierce personne les faisaient vivre. Pourtant, la plupart des femmes ont travaillé dans leur vie : chanteuse dans les bars; entrepreneure; commis à la vente; fonctionnaire publique; infirmière; professeure de dessin technique; travailleuse du sexe; en sont des exemples. Les emplois varient en fonction de la formation de chacune, mais les options demeurent limitées pour celles qui n’ont pas de qualification particulière :

« Après ça, pas de scolarité, pas rien… c’est ça que tu fais. Pas le choix… » (Claudine).

Or, les emplois plus précaires ne procurent pas nécessairement un revenu suffisant pour échapper à une situation de pauvreté, comme c’est le cas d’Éli au moment de l’entrevue :

« Mais moi, vu que c’est un petit travail à temps partiel au salaire minimum, j’ai pas assez de huit cents piasses, autour de cent et huit cents piasses par mois pour payer mon loyer, me vêtir, aller travailler, manger pis tout ça. Ça m’prend mes rentes pour payer mon loyer » (Éli).

Pourtant, presque l’ensemble des femmes rencontrées mentionnent un désir de travailler et d’être actives dans la société, mais ne sont pas en mesure de le faire, soit parce que la santé physique liée à l’âge et aux conditions difficiles de vie ne leur permet pas, soit parce qu’elles ne répondent pas aux normes du marché du travail (Grenier et al., 2016a), trop veilles ou pas assez qualifiées :

« J’ai déjà travaillé quinze heures par jour moi j’étais magnifiquement bien, je revenais à la maison, je dormais pis j’repartais. Pu capable de faire ça aujourd’hui moi… non le moteur là est fatigué, tu comprends? » (Bernadette);

« J’aurais aimé…j’envisageais, j’avais beaucoup espoir, même de travailler, même d’avoir deux jobs à la fois parce que je savais que c’était pas facile d’avoir un temps plein tout de suite. […] j’avais toutes les envies du monde de travailler, mais j’avais tout le temps un problème de santé » (Barbara);

« C’est pas le cœur qui me manque de vouloir me trouver un emploi parce que j’aimerais vraiment ça avoir plus de… santé là… Je retournerai sur le marché du travail » (Louise).

Dans ces circonstances où l’obtention d’un emploi pour améliorer ses conditions de vie est difficile, plusieurs d’entre elles se retrouvent alors à vivre de l’aide sociale, mais le montant peu élevé de cette aide financière rend la mise de côté d’argent difficile :

« One thing we receive the check, it’s almost gone. If we pay the rent, nothing left » (Bee);

« Côté monétaire, ça ne me tente pas de rester dans un petit trois et demi, pas de cour osti pis pas de vie. La vie, sur le BS, moé, j’suis pas capable. […] Moé, ça me tue bien raide faque j’essaie de penser à qu’esser je pourrais faire. […] Tu ne peux pas rien faire. Ça va prendre trois ans avant de me ramasser un trois mille piastres, t’sais! » […] Non. Ben non, c’est ça, quand t’as payé ton loyer, l’électricité, le téléphone, il ne reste pas grand-chose, t’sais » (Claudine).

Or, cette pauvreté économique, issue à la fois des difficultés d’accès à un emploi décent sur le marché du travail et des revenus d’aide sociale insuffisants, a une incidence directe sur les marges de manœuvre dont disposent les femmes pour survivre. L’une des sphères déterminantes dans la désinsertion sociale est justement le logement, fortement influencé par les revenus. Les femmes rencontrées ont d’ailleurs expliqué que dans certaines situations, elles se sont retrouvées coincées financièrement et la précarité financière a contribué à leur instabilité résidentielle et pour d’autres, à la perte de leur logement :

« Faque au lieu de payer mon loyer, bien j’ai payé ma physio. Faque là bon bien eux autres m’ont mis dehors comme de raison. […] Q : Vous avez été à la rue pendant ce temps-là? / R : Encore à rue! » (Madeleine).

Les participantes dénoncent les coûts élevés des loyers, inaccessibles à cause de leurs faibles revenus. La solution pour certaines a donc été de vivre dans des logements insalubres ou non sécuritaires, ou alors à tolérer des situations de harcèlement. Pour la plupart d’entre elles, si elles disposaient de plus d’argent, elles voudraient déménager dans un autre logement.

Cela étant dit, peu de solutions se présentent face à ce manque de logements abordables et adéquats. Au contraire, l’offre insuffisante de logements sociaux est dénoncée par des participantes, de même que les délais des listes d’attente, d’autant plus que les hébergements à loyer modique pour personnes âgées seules sont accessibles pour les 60 ans et plus, alors que les participantes éprouvent des besoins criants et des problèmes de santé avant ce seuil d’admissibilité. Au peu d’offres en logements subventionnés vient d’ailleurs s’ajouter des contraintes administratives complexes auxquelles les participantes en situation d’itinérance, souvent seules, sont confrontées :

« Là, j’arrive dans la galère de Montréal. Scusez de dire ça. Mais pour les logements à prix modiques, c’est une galère » (Barbara);

« J’ai fait énormément de démarches. Moi j’étais sur la liste pour les HLM, eh, là on m’a dit que j’avais refusé la troisième place, la troisième fois et c’est pas vrai. […] Mais j’ai dit ça me prend un adresse, je l’ai pas l’adresse. Ben oui, mais ça me prend une adresse pour mon transport adapté. Je l’ai pas l’adresse madame » (Suzy);

« For the waiting list. That’s why last time I was in, because I applied it and I did get the call from HLM people. And they put me on four years. But at the time, sixty years old, I think I don’t need that » (Bee).

Pourtant, pour plusieurs, c’est entre autres par l’obtention d’un logement subventionné à 25% de leurs revenus, pour certaines avec soutien communautaire, qu’elles ont pu sortir de leur situation d’itinérance. En effet, un logement convenable, sécuritaire et abordable s’avère une condition essentielle dans la prévention de l’itinérance (Gaetz, 2014).

Alors âgées et exclues du marché du travail, les femmes rencontrées se retrouvent dans une situation financière particulièrement précaire. Aucune d’entre elles n’a dit avoir de l’argent de côté pour bien vivre une fois plus âgée, la plupart ayant vécu une précarité financière toute leur vie. Elles se voient alors contraintes dans le choix de leur logement, ce dernier pouvant influencer la trajectoire de désinsertion sociale.

4.1.2. La sphère relationnelle : seule face aux multiples obstacles