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CHAPITRE 2 – CADRES THÉORIQUE ET D’ANALYSE

2.1. Cadre théorique : trajectoires d’exclusion sociale

2.1.2. La disqualification sociale selon Paugam (1991)

Le concept de la disqualification sociale de Paugam (1991) s’applique particulièrement à la pauvreté et est directement lié à l’identité. La disqualification réfère à la stigmatisation et à l’étiquetage des personnes défavorisées, perçues comme inférieures. Ces personnes en situation de pauvreté sont nommées « les bénéficiaires » par Paugam. Le statut social est déterminé par la société, mais les travailleur.ses sociaux.les qui les aident dans le cas d’assistance, de même que les bénéficiaires eux.lles-mêmes, contribuent à l’acceptation ou au refus de ce statut. En effet, les bénéficiaires peuvent refuser l’étiquette qu’on leur renvoie ou l’intégrer, de même qu’y résister. Le processus de disqualification sociale reprend celui de désaffiliation, tout en ajoutant une dimension essentielle pour Paugam, soit la possibilité de négocier son identité. Les marges de manœuvre d’action des individus sont influencées par leurs conditions de vie. Paugam divise les bénéficiaires en trois catégories : les fragiles; les assisté.es; et les marginaux.les. Ces trois catégories constituent les étapes du processus de disqualification sociale et forment sept types

d’expériences vécues (Paugam, 1991).

La première catégorie, celle des fragiles, est expliquée comme une situation économique précaire nécessitant une intervention sociale temporaire pour atténuer la précarité économique. Les fragiles sont caractérisé.es par un fort sentiment d’infériorité affectant l’identité, qui s’explique par l’instabilité dans les activités professionnelles. Les fragiles se divisent en deux formes d’expérience : la fragilité intériorisée ou négociée. Dans le premier cas, la fragilité

intériorisée est liée à un sentiment d’échec, à une humiliation, car la dignité est atteinte.

L’utilisation des services d’aide est perçue comme une contrainte, car elle rappelle sans cesse une incapacité. Dans le deuxième cas, la fragilité négociée est plus présente chez les jeunes, qui rationalisent leur situation en réaffirmant son caractère temporaire. Les services sont utilisés dans le but de mettre fin à la situation d’échec (Paugam, 1991).

La deuxième catégorie regroupe les assisté.es, caractérisé.es par une évolution de la perception de la situation d’échec, ce qui influence la transformation de la personnalité des individus. Paugam décrit les trois expériences de l’évolution de la personnalité des assisté.es, comme des phases, sans pour autant que le passage dans chacune de ces étapes ne soit linéaire ou obligé. Premièrement, l’assistance différée se rapproche de la fragilité intériorisée, mais la dépendance envers les services sociaux est plus grande. Les individus ont le fort désir de se réinsérer en emploi et refusent l’identité d’assisté.e. Deuxièmement, l’apprentissage de cette identité peut évoluer vers l’assistance installée, où les individus semblent moins convaincu.es de leur capacité à se trouver un emploi. Leur discours sur l’assistance se modifie et des justifications de leur situation émergent. Différentes stratégies sont adoptées auprès des services d’aide afin d’obtenir une assistance et des avantages satisfaisants grâce à des relations d’intervention positives. L’identité d’assisté.e est donc davantage intériorisée et acceptée. Troisièmement, l’assistance revendiquée est une étape où l’acceptation de sa nouvelle identité et la perception qu’il n’y a pas de solution possible se consolident, en plus d’une croissance de la fréquentation des services d’aide (Paugam, 1991).

La troisième catégorie aboutit à la marginalité, lorsque les individus n’ont pas de revenu et ne bénéficient pas d’assistance. Ils.Elles sont perçu.es négativement et ont une longue histoire de stigmatisation. Pour ne pas avoir à subir la réprobation et la honte, ils.elles ont adopté d’autres normes que celles généralement partagées, ce que Paugam nomme la « fuite en avant » pour qualifier le besoin de « s’évader » (Paugam, 1991, p. 130). Les marginaux.les expérimentent cette situation de deux façons : de façon conjurée ou organisée. Dans le premier cas, la

marginalité conjurée s’explique par une situation qui n’est plus supportable et où une

modification de comportements est nécessaire pour favoriser sa réinsertion, bien que cette dernière risque d’être ardue. Dans le deuxième cas, la marginalité organisée se qualifie par une « appropriation de l’espace habité » (Paugam, 1991, p. 137) et se structure autour d’activités informelles, c’est-à-dire que les individus dorment dans d’autres lieux que leur propre logement (refuges, squat) et qu’ils.elles pratiquent la mendicité, par exemple. La marginalité organisée, c’est donc la construction d’un cadre normatif différent des normes dominantes et donc acceptable pour les individus en marge. Il n’y a pas de lien direct de causalité entre la classe sociale et la catégorie des marginaux.les. Bien qu’il existe une multitude de trajectoires, elles

sont souvent marquées par des difficultés familiales, des invalidités et diverses expériences affectant l’identité et la dignité (Paugam, 1991).

Pour terminer, Paugam dresse un lien « entre les ruptures professionnelles et les ruptures familiales et sociales » (Debordeaux, 1994, p. 97), sans toutefois corroborer à l’idée que la détérioration d’un axe affecterait nécessairement l’autre. Il y a corrélation, mais pas causalité. Bien que les situations économiques et sociales jouent un rôle important dans l’expérience de la disqualification, les personnes défavorisées demeurent actrices dans la perception de leur situation et donc dans la définition de leur identité (Paugam, 1991). La pertinence de la disqualification sociale selon Paugam permet de mieux comprendre comment l’identité des personnes vivant une situation d’itinérance se redéfinit en fonction de son processus d’insertion et donc de l’impact de ces identités sur leurs agirs et leurs marges de manœuvre.