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Spectroscopie tunnel polarisée en spin sur la surface Cr(001)

5.2 Structure électronique et magnétique de la surface de Cr(001)

5.2.1 Spectroscopie tunnel polarisée en spin sur la surface Cr(001)

Le schéma5.1(a) montre l’organisation cristalline bcc et l’ordre antifer- romagnétique topologique des plans de surface (cf. chapitre 2). Selon cette modélisation, chaque couche atomique successive présente un ordre ferro- magnétique dans le plan (001) où les spins des atomes de Cr sont couplés parallèlement à ce plan, donnant naissance à une aimantation globale non compensée, alternant avec celle des plans adjacents. Après une préparation correcte, décrite dans le chapitre 2, la surface présente des terrasses de hau- teur monoatomique de quelques dizaines de nm de largeur, donc accessibles au cours d’une même mesure STM et suffisamment grandes pour obtenir sur une même image un nombre statistiquement pertinent de molécules isolées les unes des autres. La figure5.1(b) montre sur une même zone une succes- sion de telles terrasses (image topographique en haut) et la différence d’am- plitude du signal dI/dU révélée par la SPSTS (image de conductance résolue en spin en bas). Cette surface constitue donc un substrat idéal pour y déposer des molécules et étudier le transport de spin dans des conditions identiques le temps d’une même mesure (structure électronique de la pointe STM notam- ment) sur des domaines d’aimantation opposée et sans champ dipolaire im- portant, du fait de la structure approximativement antiferromagnétique des derniers plans (voir la figure5.3), qui viendrait perturber la mesure SPSTS.

La figure5.2montre l’allure typique de spectres tunnel résolus en spin sur les deux ”types” de terrasses (”up” et ”down”). Ces spectres sont tirés de la CITS (mode spectroscopique décrit au chapitre 2) de la figure5.8et résultent d’une moyenne de spectres mesurés au-dessus d’un grand nombre de points sur la surface, situés entre les molécules sur chaque domaine. Nous reprodui- sons ces spectres ici puisqu’ils correspondent à un même état électronique de la pointe que la mesure5.8sur les C60 /Cr(001) que nous présenterons dans section5.3.2, et restituent correctement l’allure typique des spectres résolus en spin sur le Cr(001). Par ailleurs, au-delà de son intérêt fondamental, cette résonance étroite, bien connue (mais mal comprise) en STS sur le Cr(001), permet de s’assurer que l’état électronique de la pointe est peu dépendant de l’énergie et ne vient pas se convoluer avec le signal recherché sur l’échantillon, à l’instar de l’état de surface de l’Au(111) caractéristique du gaz d’électrons 2D (marche à -0.5 V dans les spectres, cf. chapitre 3).

[001]

[010]

Cr(001)

(a) (b)

FIGURE 5.1 – (a) : structure cubique centrée du Cr, antiferromagnétique dans la

direction [001]. Les directions [100] et [010] sont équivalentes avec cette conven- tion de repère. (b) : contraste magnétique entre terrasses adjacentes (U=100 mV, I=500 pA). Les flèches symbolisent l’aimantation nette des plans, alternant entre terrasses, ici de sens arbitraire mais de module identique.

- 1 , 0 - 0 , 5 0 , 0 0 , 5 1 , 0 d I/ d U ( u . a rb .) U ( V ) C r ( 0 0 1 ) d o w n C r ( 0 0 1 ) u p

FIGURE 5.2 – Spectres tunnel résolus en spin sur les terrasses up et down, extraits de la CITS présentée sur l’image5.8(boucle ouverte à U=1 V et I=300 pA).

La largeur de ces résonances reportées dans la littérature est typiquement de 60 meV (voir par exemple la figure2.2, modulation à 6 mV), contre environ 120 meV (up) et 250 meV (down) sur la figure5.2. Cette largeur dépend par ailleurs beaucoup de l’état électronique de la pointe.

5.2.2

Calculs ab initio de la densité d’états sur la

surface Cr(001)

Ces calculs ont été effectués par P. Habibi dans le cadre de sa thèse enca- drée par C. Barreteau. Le choix a été fait de retenir le cas purement antifer- romagnétique pour modéliser l’état initial et simuler la DOS en surface. Deux raisons sont avancées pour justifier ce choix : dans le cas de la modélisation par une onde de densité de spin, celle-ci se propagerait perpendiculairement à la surface, avec un moment magnétique maximal en surface et de valeur très proche du cas purement antiferromagnétique (HÄNKEet al. [202], 2005) et il n’est par ailleurs pas attendu en surface d’effets importants induits par l’onde de densité de spin. Nous n’entrons pas dans le détail des choix qui ont été faits pour mener les calculs, mais signalons tout de même que dans le cas du chrome, le choix de la fonctionnelle d’échange-corrélation est crucial : l’ap- proximation de la densité locale (LDA) mène à une solution non magnétique, il faut donc se rabattre sur l’approximation du gradient généralisé (GGA), qui ne décrit toutefois pas parfaitement le magnétisme du chrome. En particu- lier, la GGA surestime le moment magnétique de surface. La valeur trouvée par BIHLMAYERet al. [203] est de |µ|GG A= 2.6 µB par atome de surface (001).

STROSCIOet al. [199] trouvent une valeur de |µ|ST M = 1.75 µB/atome en uti-

lisant un ajustement pour reproduire les données expérimentales en STM ; il ne s’agit pas d’une mesure directe du moment magnétique par atome en STM. La figure5.3extraite de la thèse de Parwana Habibi montre l’effet de la brisure de symétrie cristalline par la surface sur l’aimantation des couches superfi- cielles du Cr(001). Le moment magnétique par atome de la couche de surface est d’environ 3µBdans ce calcul.

5.2.2.1 Densité d’états projetée sur les orbitales atomiques

La figure5.4montre la densité d’états projetée (PDOS) sur les orbitales dz2

et pz d’un atome de la surface de Cr(001) dans le cas antiferromagnétique.

Ces deux orbitales ont été retenues parmi les autres orbitales s, p et d , de sy- métries différentes, à cause de leur poids important près du niveau de Fermi dans les spectres PDOS (non montrés ici). La PDOS n’est par nature pas di- rectement comparable aux mesures SPSTS, qui sont une mesure de densité d’états dans le vide à une distance typique de quelques Å, où l’on sonde des fonctions d’ondes évanescentes. La PDOS présente toutefois l’intérêt de don- ner une indication sur le poids et la nature des orbitales dans la contribution à l’état de surface. Nous verrons cependant que pour de très courtes distances pointe-surface dans les simulations de LDOS dans le vide, ce calcul peut être rapproché des données expérimentales. A ce stade, les simulations ab initio laissent penser que la résonance étroite mesurée au niveau de Fermi est prin- cipalement d’origine dz2.

FIGURE 5.3 – Valeurs du moment magnétique en µB/atome de couche (001) en

fonction de sa profondeur, calculées par liaison forte (TB) et DFT. Le moment de surface (couche 1) n’est naturellement pas compensé par la couche 2 et est environ trois fois plus grand que le moment par atome en volume, pratiquement atteint à la couche 3.

FIGURE5.4 – PDOS sur les orbitalesdz2 etpz d’un atome de la surface de Cr(001) dans le cas antiferromagnétique pour les deux canaux de spin (up, panneau du haut).

5.2.2.2 LDOS dans le vide : simulation de spectres tunnel

Des calculs de conductance différentielle dI/dU suivant une version sim- plifiée et discrétisée (indice j ) du modèle de Tersoff et Hamann [204] donnent accès en DFT à une simulation de spectres tunnel dans le vide au-dessus d’un atome de Cr, assimilés à la LDOS :

dI dU ∝ X σ n σ tnσs(r, EF+ eU ) (5.1)

où nσt est la DOS de la pointe (t), dépendant du spinσ mais pas de l’éner- gie, et s(r, EF+ eU ) = X j |ψσs, j(r)|2δ(εj− EF− eU ) (5.2)

est la LDOS dans le vide de l’échantillon (s), dépendant du spin, à la posi- tion r de la pointe et à l’énergie eU des électrons tunnel.

On tient ainsi compte des effets induits par la distance pointe-surface. Ces calculs ont été menés pour des distances internucléaires z variant de 1 Å à 6.3 Å. Pour des z inférieurs à environ 3.5 Å, la LDOS est qualitativement simi- laire à la PDOS. La figure5.5montre deux cas, le premier pour une distance

z=2.5 Å qui se compare bien à la figure5.4où les contributions des deux orbi- tales considérées s’additionnent. Dans le second cas, où z=6.3 Å, plus réaliste pour des distances pointe-surface (ici la distance z est celle entre le noyau de l’atome à l’apex de la pointe du STM et le noyau de l’atome de Cr, le premier cas correspond donc pratiquement à une mesure au contact), l’évanescence dans le vide d’une orbitale pzétant moins rapide que celle de la dz2, la contri-

bution de cette dernière à 0.2 eV dans la LDOS up disparaît au profit de la composante pz.

Le spectre théorique ne reproduit donc pas les résonances d’égale ampli- tude observées expérimentalement pour les deux canaux de spin. Il est pos- sible que la surestimation par la fonctionnelle GGA du moment de surface ex- plique ce désaccord. Par ailleurs, la largeur de la résonance pzsubsistant dans

la LDOS down théorique est environ quatre fois supérieure à l’expérience (200 meV contre 60 meV), et la position en énergie est très différente, à 0.5 eV au- dessus des résonances mesurées. Ce dernier point est assez fréquent en DFT, mais un tel décalage reste problématique.

FIGURE 5.5 – LDOS calculée dans le vide au-dessus du chrome, pour le canal up

(panneau du haut) et down pour des distances internucléaires pointe-surface de

5.3

Spectroscopie tunnel polarisée en spin sur

des molécules uniques de C

60

/Cr(001)