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Chapitre 2- Caractérisation de complexes non-covalents par spectrométrie de masse structurale

1. Les approches natives

1.2. La spectrométrie de masse native couplée à la mobilité ionique (IM-MS native)

1.2.1. Principe

La spectroscopie de mobilité ionique consiste à séparer des ions en fonction de leur charge et de leur conformation, au sein d’une cellule remplie de gaz sous l’influence d’un champ électrique ; cette approche peut être assimilée à de « l’exclusion stérique en phase gazeuse » (figure 8). Les ions de conformations plus compactes subiront alors moins de chocs avec le gaz résiduel que des ions avec une conformation étendue, et seront alors drainés plus rapidement au sein de la cellule IMS. Toutefois la conformation des ions n’est pas le seul paramètre influant sur leur temps de dérive au sein de la cellule. En effet, la charge de l’ion aura aussi une incidence. Ainsi, à conformation « égale », un ion plus chargé répondra plus favorablement au champ électrique et sera alors drainé plus rapidement qu’un ion plus faiblement chargé [59, 60] (figure 8).

Figure 8. Représentation schématique de la séparation des ions en fonction de leur conformation et de leur charge, au sein de la cellule IMS.

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1.2.2. Informations accessibles

Si cette approche peut être utilisée comme une dimension de séparation supplémentaire pour une analyse protéomique [61], elle permet d’accéder à un niveau structural lors d’analyses en conditions natives :

- En effet, la mise en évidence de différences au niveau du temps de dérive au sein de la cellule de mobilité ionique peut révéler des différences de conformations globales [62]. - A partir de la mesure des temps de dérive, il est possible de déterminer les sections

efficaces de collision (CCS) des analytes (cf. paragraphe 1.2.5.). La CCS est représentée

comme l’aire projetée du volume en phase gazeuse occupé par la molécule analysée. - Le suivi de ces temps de dérive et/ou CCS peuvent permettre la mise en évidence de

changements conformationnels durant l’assemblage de complexes multi-protéiques

[48, 63] (cf. partie 4 chapitre 2).

- La nature des informations permet notamment d’étudier la dynamique d’oligomérisation [64], ainsi que les mécanismes de dépliement/repliement des protéines [65].

- Cette approche a aussi montré son intérêt pour la caractérisation de systèmes protéines-ligands. Ainsi le criblage de ces systèmes non-covalents par IM-MS peut mettre en évidence des changements conformationnels très fins (Δ CCS de ~ 1%), et participer à la pré-sélection de candidats thérapeutiques [46, 66].

- La dimension mobilité ionique combinée à une activation de la conformation des ions en phase gazeuse permet d’accéder à des informations d’ordre de stabilité. Si dans certains cas, la résolution effective en mobilité ionique permet de mettre en évidence des différences globales entre deux systèmes, l’application d’énergie croissante peut mettre évidence des différences au niveau des profils de dépliement de la protéine ou du complexe en question [67, 68]. Cette approche est connue sous le terme de CIU (« Collision Induced Unfolding »).

1.2.3. Instruments utilisables en IM-MS native

A l’heure actuelle, il existe deux types d’instruments permettant d’utiliser la spectroscopie de mobilité ionique pour la caractérisation structurale de complexes supramoléculaires :

- La gamme Q-TOF 6560 proposée par Agilent Technologies - La gamme Synapt de chez Waters.

29 D’un point de vue conceptuel, ces deux gammes sont assez différentes dans le sens où :

- Pour l’instrument Agilent, la cellule de mobilité ionique est placée entre la source d’ionisation et le quadripôle ; alors que sur les instruments Waters, cette cellule se trouve entre le quadripôle et l’analyseur TOF.

- Les cellules de mobilité aussi sont différentes : le premier instrument cité, possède une cellule IM de type DTIMS (« Drift Tube Ion Mobility Spectrometry »), alors que la gamme Synapt est équipée d’une cellule de type TWIMS (« Travelling Wave Ion Mobility Spectrometry »).

Au cours de cette thèse, les expériences de mobilité ionique ont été réalisées sur un Synapt G2 HDMS (Waters) (figure 9).

Figure 9. Représentation schématique du Synapt G2 HDMS (Waters) en mode IM-MS native. La cellule de mobilité ionique est encadrée en pointillés rouges.

Cet instrument possède donc une cellule de mobilité ionique « Travelling Wave », constituée de guides d’ions SRIG (« Stacked Ring ion Guide »). Les premières lentilles sont alimentées en Hélium de manière à thermaliser les ions entrants, alors que le reste de la cellule est sous Azote. Les ions seront alors drainés au travers de la cellule de mobilité par des vagues de potentiels se propageant de lentille en lentille. La séparation des ions se produit alors sous l’effet de chocs avec les molécules de gaz. Les ions qui seront alors ralentis jusqu’à un certain

30 point, subiront des phénomènes de « retour en arrière » (« roll-over ») ; et seront alors entrainés par les vagues de potentiel suivantes [69] (figure 10).

Figure 10. Séparation des ions dans la cellule TWIMS. Les vagues de potentiel successives drainent les ions ralentis par les chocs avec les molécules de gaz (adaptée à partir de [59]).

Toutes les autres parties de cet instrument seront détaillées dans le chapitre 1 de la partie 3.

1.2.4. Optimisations instrumentales

En plus des prérequis liés à une analyse en conditions natives (cf. 1.1. MS native), l’utilisation de la dimension mobilité ionique nécessite une optimisation fine de certains paramètres instrumentaux, de manière à atteindre un pouvoir de séparation maximum tout en conservant la conformation native des espèces séparées.

Dans ce contexte, l’optimisation de deux couples de paramètres est primordiale [66] : - Hauteur et vitesse de vague

- Débit de gaz dans la cellule TWIMS

ð Influence de la hauteur et vitesse de vague

- Une augmentation de la vitesse de vague (WV) va entrainer un nombre de « retour en arrière » ou « roll-over » plus important. Ce phénomène aura tendance à augmenter le temps de passage des ions dans la cellule IM et donc à améliorer la résolution de séparation (figure 11) (l’équation permettant de calculer la résolution de séparation en IM-MS est présentée en annexe du manuscrit). Toutefois, il nécessaire de ne pas dépasser une valeur

31 limite à partir de laquelle des phénomènes de diffusion ou élargissement des pics apparaitront, ces derniers entrainant une diminution de la résolution (figure 11).

- Concernant la hauteur de vague (WH), une augmentation de cette valeur diminue les mouvements de « roll-over » ; ainsi, le temps de passage dans la cellule IM se trouve diminué. Cependant, des valeurs de WH trop faibles favorisent les phénomènes de diffusion et entrainent une diminution de la résolution (figure 11). Une valeur de WH permettant d’obtenir une résolution suffisamment importante sans faire sortir les ions de la cellule IM trop rapidement doit ainsi être déterminée.

Figure 11. Influence de la hauteur et vitesse de vague sur la résolution de séparation (Rs) pour le complexe Bcl-xL apo et holo ABT-737 (adaptée à partir de [66]).

ð Influence des débits de gaz dans la cellule TWIMS

L’autre couple de paramètre à optimiser, est le rapport des gaz hélium/azote présents au sein de la cellule IM. Si les paramètres de hauteur et vitesse de vague conditionnent le nombre de mouvements de « roll-over », la pression en gaz de la cellule TWIMS permet de moduler le nombre de collisions entre les ions analysés et les molécules de gaz. Dans ce contexte une augmentation de pression jusqu’à un certain point permet d’augmenter la résolution de séparation (figure 12), cependant là aussi une valeur seuil ne doit pas être dépassée afin de ne pas entrainer de phénomènes de diffusion.

Il est ici important de noter qu’il n’existe pas une valeur optimale pour les paramètres de vague, débit et pression de gaz ; il est possible de trouver plusieurs couples de valeurs permettant d’obtenir une résolution de séparation équivalente (figure 12 a).

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Figure 12. Influence du rapport des pressions He/N2 de la cellule TWIMS sur la résolution de séparation (Rs) pour le complexe Bcl-xL apo et holo ABT-737. Le panel (a) présente les facteurs de résolution calculés pour différents ratio QHe/QN2 ; le panel (b) présente les mobilogrammes et les facteurs de résolution associés pour différents ratios QHe/QN2 (adaptée à partir de [66]).

1.2.5. Calculs de CCS

ð CCS expérimentales

Comme énoncé précédemment, la caractérisation du temps de dérive au sein de la cellule IM permet de calculer des CCS [62].

Dans une cellule IM de type « Drift Tube » la mobilité d’un ion, notée K, est définie par le rapport entre sa vitesse dans la cellule IM (vd) et le champ électrique (E). Le fait que ce champ électrique soit ici linéaire, l’équation de Mason-Schamp permet de corréler directement la mobilité d’un ion à une section efficace (CCS) [70].

Pour une cellule IM de type « Travelling Wave », ce champ électrique n’est pas linéaire [71], et l’équation de Mason-Schamp reliant CCS et mobilité ionique ne peut être directement utilisée. La détermination des CCS avec une cellule TWIMS (TWCCS) doit alors passer par l’utilisation d’une droite d’étalonnage. Cette dernière est réalisée à l’aide de protéines modèles dont les CCS ont été déterminées avec un instrument de type DTIMS (DTCCS) [72]. Les équations permettant de déterminer une CCS expérimentale à partir de données TWIMS sont décrites en détail en annexe du manuscrit.

33 ð CCS théoriques

La CCS d’une molécule peut être calculée in silico, à partir d’une structure haute résolution obtenue en cristallographie, RMN ou cryo-EM. En effet un programme comme MOBCAL, développé par l’équipe de Jarrold et mis à jour par Ruotolo et al., [62], simule et intègre les collisions entre les atomes de la molécule et le gaz tampon. De cette simulation, la CCS peut être déterminée selon trois algorithmes :

- L’algorithme « Projection Approximation » (PA) : cette méthode de simulation assimile les atomes à des sphères dures, et la CCS est déterminée par une moyenne des aires projetées de ces sphères. Si cette approche facilite le calcul et augmente sa rapidité, elle a tendance à sous-estimer les valeurs de CCS étant donné qu’elle ne considère pas l’ensemble des collisions entre atomes.

- L’algorithme « Exact Hard Sphere Scattering » (EHSS) : cette approche permet de tenir compte d’une partie des collisions entre les ions et les molécules de gaz. Cet algorithme permet alors de déterminer des CCS plus fiables, néanmoins la considération d’un modèle de sphère dure occulte certaines interactions.

- L’algorithme « Trajectory Method » (TM) : cette méthode de simulation permet de déterminer les CCS les plus justes, étant donné que l’ensemble des interactions se produisant entre les ions et les molécules de gaz est considéré. Cette approche nécessite cependant un temps de calcul plus important.

Toutefois, en l’absence de structures hautes résolution, il est aussi possible d’estimer une CCS à partir de la masse d’une protéine, et de l’équation proposée par Ruotolo et al., [62] (cette approximation étant basée sur un modèle sphérique) :

π ൌ ʹǤͶ͵ͷ ൈ ܯଶȀଷ.

1.2.6. Discussion

L’utilisation de la dimension mobilité ionique permet d’accéder à un certain niveau de caractérisation structurale d’une molécule ou d’un complexe en conditions natives : détermination des CCS et mise en évidence de changements conformationnels assez fins. Toutefois, l’activation de ce mode entraine une diminution de la sensibilité (~ facteur 10), et la détermination de CCS avec un Synapt G2 (cellule IM remplie d’azote, TWCCSN2) passe par

34 l’utilisation d’une droite d’étalonnage avec des molécules dont les CCS ont été déterminées par DTIMS (cellule IM remplie d’hélium, DTCCSHe). Le choix des étalons est alors primordial pour la détermination d’une CCS fiable [73, 74].

2. Les approches de protéomiques