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Chapitre 1 : Caractérisation d’ADCs par MS native haute résolution

3. Résultats

3.2. Cas du trastuzumab emtansine

3.2.1. MS dénaturante vs. MS native

La stratégie de synthèse de cet ADC s’appuie sur la conjugaison d’un linker sur les lysines puis le couplage d’une drogue sur les lysines accessibles de l’anticorps. Si les espèces générées sont strictement covalentes, nous avons souhaité ici s’il pouvait y avoir un bénéfice à utiliser la MS native pour l’analyse d’espèces covalentes. En Ms dénaturante (figure 22a), nous observons une superposition de profils d’ions multichargés entre 2250 et 4250 m/z. Une distribution de D0 à D7 est caractérisée, toutefois le D8 n’est pas observé. Ceci est dû au fait que les états de charges associés à ce DAR se superposent avec d’autres états de charges. La résolution effective de l’instrument ne permet pas ici de tous les séparer, la différence de masse entre deux Dn consécutifs n’étant que de 957.5 Da. L’analyse de ce même échantillon en conditions native classiques a pour effet de « décaler » les profils multichargés vers des plus hauts rapports m/z : effet de réduction des charges en conditions natives (figure 22b), permettant ainsi de résoudre plusieurs états de charges qui se superposaient en conditions dénaturantes. L’état de charge z diminuant, les faibles différences de masse Δm deviennent ainsi mieux résolues. Toutefois certains états de charges des espèces caractérisées se superposent toujours, et le D8 n’est pas observé. Par ailleurs le DAR moyen évalué en MS dénaturante est 3.5 ± 0.1, ce qui est en accord avec la valeur de 3.5 caractérisée par LC-MS [56]. En MS native le profil de distribution est légèrement décalé vers les DARs plus faibles expliquant la valeur de 3.2 ± 0.2. Cependant si les DARs moyens sont relativement proches (MS Native) ou en totale adéquation (MS dénaturante) avec ce qui est attendu (3.5), ce n’est que par effet de compensation des différents états de charge des différents Dn non observés.

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Figure 22.Analyse du trastuzumab emtansine en condition dénaturante (a) et native (b) sur le Synapt G2 HDMS. Les spectres de masses sont présentés en partie gauche, les spectres déconvolués associés sur la partie de droite. L’échantillon est infusé à 2 µM (H2O/ACN/HCOOH : 50/50/1) (Vc : 50 V, Pi : 2.1 mbar) en condition dénaturante (a) et à 10 µM (AcONH4 150 mM, pH 7.5) (Vc : 180 V, Trap et Transfer CE : 20 et 10 V, Pi : 6 mbar) en condition native. Les astérisques * indiquent la présence d’adduits covalents de +220 Da dus la fixation de linkers ces derniers n’ayant réagis avec aucune drogue.

3.2.2. Apports de la MS native combinée à la réduction de charge

Dans la lignée de ce qui a été observé au paragraphe précédent avec l’effet de la réduction de charge due aux conditions d’analyse en MS native, nous avons souhaité ici vérifier si une réduction de charge supérieure, en ajoutant un composé chimique, permettait d’améliorer la séparation entre les différents états de charges de chaque Dn. La réduction de charge dans ce cas est le résultat d’une compétition d’affinité pour les protons présents en solution entre l’additif basique (dans notre cas de l’imidazole) et la protéine, au terme de la désolvatation [57, 58]. Cette approche de réduction de charge a initialement été utilisée pour montrer le lien entre état de charge et stabilité des protéines en phase gazeuse. Le laboratoire de Robinson a largement contribué à montrer l’effet stabilisateur d’agents réducteur de charge pour des

160 protéines multimériques présentant une cavité en leur sein [59], ou sur des protéines membranaires nécessitant l’utilisation d’énergies de collision élevées [60].

Dans le cadre de notre étude, nous n’avons pas visé à stabiliser le trastuzumab emtansine en phase gazeuse, mais à utiliser les propriétés de l’imidazole pour déplacer notre signal vers des plus hauts rapports m/z. Cette stratégie a été mise en place de manière à vérifier s’il est possible de discriminer des espèces qui se superposent à plus bas rapport m/z (entre 5500 et 7000 m/z), et ainsi de voir si la réduction de charge est une alternative à la MS native haute résolution.

Cet effet réducteur de charge est visible sur la figure 23, sur laquelle nous pouvons voir que sans agent réducteur de charges, le profil est centré sur l’état de charge 25+, alors qu’après ajout de 10 mM d’imidazole, ce profil est largement déplacé vers des plus hauts rapports m/z (8000-11000) avec une distribution centrée sur l’état de charge 16+. La superposition des états de charges majoritaires respectifs dans les deux conditions montre bien ici la capacité à séparer tous les Dn pour un état de charge donné. De plus, il est à souligner que la réduction de charge couplée à la MS native classique permet de détecter le D8. Le spectre déconvolué associé à la condition avec imidazole est réalisé sur la base des états de charges réduits majoritaires (15+ à 18+). En termes d’évaluation du DAR moyen, la MS native couplée à la réduction de charge détermine une valeur de 3.3 ± 0.2, cette dernière étant légèrement plus fidèle à ce qui est attendu, avec un profil mieux centré sur le DAR 3.

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Figure 23.Analyse du trastuzumab emtansine en condition native avant (a) et après ajout d’imidazole (b) sur le Synapt G2 HDMS. Les spectres de masses sont présentés en partie gauche, les spectres déconvolués associés sur la partie de droite. L’échantillon est infusé à 10 µM (AcONH4 150 mM, pH 7.5) (Vc : 180 V, Trap et Transfer CE : 20 et 10 V, Pi : 6 mbar) avant (a) et après ajout de 10 mM d’imidazole (b). Les astérisques * indiquent la présence d’adduits covalents de +220 Da dus la fixation de linkers ces derniers n’ayant réagi avec aucune drogue.

3.2.3. MS native haute résolution

L’analyse du trastuzumab emtansine déglycosylé sur l’Exactive Plus EMR, a permis de démontrer les bénéfices de la haute résolution pour ce type d’ADC Lys. Les effets de meilleure désolvatation et meilleure résolution de cet instrument sont visibles sur le comparatif d’une d’analyse Q-TOF et Orbitrap (figure 24). En effet si les états de charges 25+ D0, 26+ D7, 26+ D8 se superposaient respectivement avec les états de charges 26+ D6, 25+ D1 et 25+ D2 sur le Synapt G2 HDMS (figure 24a), ces derniers sont totalement résolus avec l’Orbitrap (figure 24b). Pour ce qui est de la précision de mesure de masse, le gain est ici considérable. Si l’erreur de masse oscille entre 75 et 130 ppm pour toute la distribution Dn sur le Q-TOF, cette erreur sur l’Orbitrap est inférieure à 5 ppm pour les D0 à D5, inférieure à 10 ppm pour les D6 et D7, et en dessous de 30 ppm pour le D8. Ces résultats soulignent aussi la

162 différence entre l’analyse à haute résolution entre ces deux composés : nous observons des erreurs de masses 10 à 20 fois moins importantes pour le trastuzumab emtansine que pour le brentuximab vedotin. Ceci peut provenir d’une efficacité de désolvatation plus importante pour le trastuzumab emtansine et/ou que les masses théoriques pour le brentuximab vedotin aient été calculées sur la base d’une ré-oxydation totale des ponts disulfures après le greffage des drogues. Il se pourrait que des formes partiellement réduites demeurent toujours présentes en solution.

La caractérisation du DAR moyen de 3.4 ± 0.1 en MS native haute résolution est ici bien concordante avec la valeur attendue, et présente une distribution gaussienne centrée sur le DAR 3. Les expériences de MS native haute résolution soulignent ici les apports de cette méthodologie en termes de précision de mesure de masse, et détection de toutes les espèces présentes en solution (D0 à D8) tout en s’affranchissant d’une étape de réduction de charge préalable.

Figure 24. Comparaison d’un spectre de masse natif du trastuzumab emtansine obtenu sur le Q-TOF (a) et l’Orbitrap (b). Les échantillons sont infusés à 10 µM (AcONH4 150 mM, pH 7.5) sur le Synapt G2 HDMS (Vc : 180 V, Trap et Transfer CE : 20 et 10 V, Pi : 6 mbar) (a) et l’Exactive Plus EMR (CID : 75 eV, CE : 0 eV, injection-inter-bent flatapôles : 8-7-6 V, PUHV : 1,1.10-9 mbar, Rnom : 35000) (b). Les spectres de masses sont présentés en partie gauche, les spectres déconvolués associés sur la partie de droite. Les tableaux présentent les masses expérimentales des différents DAR avec les erreurs de masses en Dalton et ppm par rapport aux masses théoriques.

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4. Conclusions

La MS native et la MS native haute résolution se présentent désormais comme des techniques références pour la caractérisation d’anticorps thérapeutiques [61], mais aussi d’ADCs, que la stratégie de couplage vise les cystéines [55, 61] ou les lysines [62]. L’Orbitrap Exactive Plus EMR permet non seulement de transmettre les composés sans détériorer les édifices non covalents mais aussi de les caractériser avec des précisions de mesure de masses grandement améliorées comparé à un instrument de type Q-TOF. Ce gain en résolution effective (≈ 7000 pour l’orbitrap, et ≈ 1000 pour le Q-TOF @ 6000 m/z) permet notamment de résoudre les différents états de charges chevauchant quand l’incrément de masse apporté par la drogue est relativement faible, et ainsi de mieux quantifier les proportions relatives de chaque distribution de DAR.