• Aucun résultat trouvé

Chapitre II. Méthodes d’étude in vitro des phénomènes d’oligomérisation et d’agrégation pathologiques de protéines

4. Les méthodes séparatives

4.4. La spectrométrie de masse couplée à la mobilité ionique

Dès le début des années 2000, l’analyse de hIAPP monomérique ainsi que de fibres a été réalisée (Larson et al., 2000) par ESI-MS. Une solution de hIAPP à 25 µM préparée dans l’HFIP d’abord puis diluée dans une solution d’acétate d’ammonium 150 mM / Tris 1 mM pH 7,4 a été infusée dans un spectromètre à temps de vol (TOF) après ionisation à température ambiante et pression atmosphérique. Cette méthode a notamment permis de suivre en temps réel la décroissance de l’état de charge +4 du monomère (m/z 976, Figure 43a). Les auteurs ont également montré la très bonne reproductibilité du suivi de la disparition du monomène par ESI-MS sur 4 analyses indépendantes (Figure 43b). rIAPP a été utilisé comme standard interne à 2 µM pour la quantification car il ne forme pas de fibre contrairement à hIAPP. Les auteurs ont montré par ailleurs qu’en co-analysant le monomère et les fibres de hIAPP, uniquement des signaux correspondant au monomère étaient détectés. Ceci est cohérent avec la difficile redissolution des fibres amyloïdes, mais aussi avec leur ionisation peu efficace ainsi qu’une masse hors de celles mesurées par le spectromètre. On peut également supposer une dissociation importante dans l’instrument pour ces fibres.

Figure 43 : (a) Suivi de la diminution du pic de monomère 4+ de hIAPP par ESI-MS (TOF) en présence de rIAPP utilisé comme standard interne ; (b) Étude de la reproductibilité du processus (n=4) (Larson

2000)

Plus récemment, une nouvelle approche a été développée : la mobilité ionique. Cette variante de la spectrométrie de masse est en plein essor, le nombre de publications traitant de la mobilité ionique couplée à la spectrométrie de masse ayant d’ailleurs décuplé depuis le début des années 2000 (source : PubMed « ion mobility mass spectrometry). Le schéma d’un spectromètre de masse quadrupole – temps de vol (Q-TOF) à mobilité ionique est présenté Figure 44a. La cellule de mobilité

est ici insérée entre le quadrupole et la détection par temps de vol. Cette cellule est précédée de deux guides d’ions (trap et transfer), qui peuvent également servir de cellules de collision.

La mobilité ionique repose sur le déplacement de molécules chargées et de formes différentes en phase gazeuse au sein d’un « drift tube » rempli d’un gaz inerte. Les molécules sont transportées dans le tube sous l’effet d’un champ électrique (Borsdorf & Eiceman, 2006). Plus la densité de charge est élevée et plus le volume hydrodynamique de la molécule est faible, plus elle va se déplacer rapidement dans le tube. Cette technique permet notamment une séparation d’oligomères isobares ainsi que de conformères (Figure 44b) (Pacholarz et al., 2012; Woods et al., 2013). Un paramètre utilisé pour caractériser cette séparation est la section de collision efficace (CCS), représentant la section apparente de la molécule en tenant compte de sa forme et de son déplacement dans la cellule de mobilité. Cette CCS est directement reliée au volume hydrodynamique de la protéine et peut être déterminée précisément à partir des « drift times » avec un étalonnage préalable.

Figure 44 : (a) Schéma d’un spectromètre de masse Q-TOF à mobilité ionique (Synapt G2-Si, Waters) ; (b) Séparation d’oligomères isobares et de conformères par IMS-MS (adapté de Pacholarz 2012) Cette technique est adaptée pour séparer des conformères de protéines ce qui était jusqu’alors impossible avec d’autres techniques. Ainsi, une étude a permis en 2013 la résolution de plus d’une dizaine de conformères de l’ubiquitine (Shvartsburg & Smith, 2013). Ces avancées ont donc ouvert de nouvelles voies concernant l’analyse des processus pathologiques amyloïdes, et notamment dans le cas du diabète de type 2 avec hIAPP (Bleiholder et al., 2011; Dupuis et al., 2011; Dupuis et al., 2009; Ilitchev et al., 2016; Li et al., 2015; Riba et al., 2015; Woods et al., 2013).

En 2014, par exemple, l’équipe du Professeur Radford a proposé une méthode pour identifier les intermédiaires oligomériques produits lors de l’agrégation de hIAPP par IMS-MS, avec le même instrument que celui présenté Figure 44a, équipé d’une source nanoESI. De manière générale, les paramètres ont été choisis de façon à préserver les intermédiaires oligomériques. La tension de capillaire pour l’ionisation est fixée à 1,7 kV, avec une température de source de 60 °C. La tension de cône a été optimisée afin de favoriser la transmission des plus gros oligomères. Leurs résultats

78

montrent la formation d’oligomères jusqu'à l’hexamère (Figure 45a) (Lydia M. Young et al., 2014). Cette technique offre donc une nouvelle dimension de séparation, et permet par exemple de distinguer deux conformères pour le monomère 2+ (Figure 45b).

Figure 45 : (a) Spectre 2D d’IMS-MS obtenu après deux minutes d’incubation de hIAPP à 50 µM dans un tampon acétate d’ammonium 20 mM pH 6,8 à 37 °C permettant d’observer du monomère (1) à

l’hexamère (6) ; (b) Mobilogramme associé au monomère2+ montrant l’existence de deux conformations différentes (7.21 et 10.81 ms) et leur proportion relative associée (adapté de Young

2014)

Cette technique a été employée pour tester des inhibiteurs sur hIAPP. Young et al ont étudié l’influence de l’EGCG à différents rapports molaires. Les oligomères sur lesquels se fixent EGCG sont déterminées grâce à la spectrométrie de masse. Ainsi ils ont pu montrer que la production d’oligomères était réduite de manière importante en présence de l’inhibiteur, et ce d’autant plus que le ratio molaire EGCG/hIAPP augmentait (Figure 46).

Figure 46 : Mise en évidence par IMS-MS de l’influence de l’EGCG à différentes concentrations sur l’inhibition de la formation d’oligomères de hIAPP (Young 2014)

En 2015, les mêmes auteurs ont appliqué cette méthode (seuls deux paramètres influençant peu la stabilité des oligomères ont été optimisés) au screening de 10 molécules testées vis-à-vis de leur activité inhibitrice de l’oligomérisation de hIAPP (Young et al., 2015). Ces études ont fourni également des informations sur la nature de l’interaction entre certains inhibiteurs et le peptide (spécifique, non-spécifique ou colloïdale). Cette stratégie a été employée à relativement haut débit. Les échantillons

ont été placés dans des plaques 96 puits, ce qui réduit la quantité de protéine nécessaire à l’analyse. En 2017, le même groupe a inclus cette technique dans une stratégie plus globale allant du design de l’inhibiteur à ses tests d’activité (Young et al., 2017). Cette technique est en effet la seule à permettre l’observation de différents conformères avec leur identification de manière certaine et en ligne. Les limites de cette technique seront discutées dans la partie expérimentale de ce manuscrit.