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Chapitre IV. Développement d’une méthode de suivi de l’oligomérisation de hIAPP

2. La mobilité ionique couplée à la spectrométrie de masse (IMS-MS)

2.1. Etude de l’IMS-MS pour le suivi de l’oligomérisation en temps réel

La spectrométrie de masse couplée à la mobilité ionique permet la séparation des ions dans deux dimensions : selon leur rapport m/z mesuré ici à partir du temps de vol ainsi que leur mobilité ionique, déterminée à partir de leurs temps de drift mesurés dans la cellule de mobilité, qui est elle même dépendante de leur section efficace de collision (CCS). Ce paramètre caractérise le repliement d’une molécule dans l’espace, et donc sa conformation. Cette approche a été envisagée afin de suivre l’oligomérisation de hIAPP en temps réel, et éventuellement les différents conformères qui peuvent se former pour chaque oligomère. L’IMS-MS a déjà été employée pour le screening de molécules inhibant l’oligomérisation de hIAPP (Young et al., 2015, 2016; Young et al., 2014; Young et al., 2017) mais pas pour le suivi de l’oligomérisation. L’objectif ici est donc de suivre l’apparition et/ou la disparition des espèces impliquées dans la cascade amyloïde. Pour cela, le développement de la méthode s’est basée sur des paramètres déjà mis au point par l’équipe du Pr Van der Rest (LCP) pour l’étude de complexes non-covalents formés par la PrP dont la masse est de 23 kDa (Van der Rest et al., 2017). Etant donnée que la masse de hIAPP n’est seulement de 3,9 kDa, ces paramètres instrumentaux ont été optimisés pour l’observation de petits complexes non-covalents. Plus particulièrement, les paramètres de source

ont été optimisés, ainsi que ceux concernant la mobilité ionique pour se placer dans des conditions les plus douces possibles afin de favoriser le maintien des complexes non-covalents. Ainsi, la tension de capillaire est abaissée de 4,5 à 2,5 kV et les tensions de « cone » et de « source offset » sont diminuées de 150 à 40 et 50V respectivement. La température de source est portée à 60°C tandis que celle de désolvatation est réduite de 150 °C à 50 °C. Les énergies de « trap » et de « transfer » sont désactivées et le débit de gaz de désolvatation est réduit à 350 L/h. Les paramètres de mobilités sont également adaptés à la taille des complexes. L’objectif étant d’étudier la formation des différents oligomères au cours du temps, des acquisitions ont été réalisées à différents temps d’incubation (de 0 à 24h). Nous avons ensuite comparé les intensités des signaux obtenus pour chaque oligomère afin de détecter une éventuelle évolution de ces signaux (en intensité ou présence) au cours du temps. La Figure 51 montre les spectres de masses obtenus directement après la mise en solution de hIAPP dans un tampon acétate d’ammonium 50 mM pH 3,7 et après 24h d’incubation. On observe des espèces allant du monomère à l’hexamère pour les deux temps d’incubation, avec des sensibilités différentes. Du monomère au trimère, la sensibilité est bonne et on peut facilement distinguer les massifs isotopiques (rapport signal / bruit supérieur à 20). A l’inverse, du tétramère à l’hexamère, l’observation est plus compliquée avec un rapport signal / bruit inférieur à 6. Concernant le monomère, quatre états de charge différents sont observés (de +2 à +5) tandis que seulement deux sont observés pour le dimère (4+ et 5+). Pour tous les autres oligomères, seul un état de charge est observé pour chacun d’eux. L’étude de leur évolution au cours du temps a donc été réalisée sur le seul état de charge observable pour chaque oligomère.

Les deux spectres montrent de légères différences entre les deux temps d’incubation. Le rapport des intensités du monomère4+ /monomère3+ est de 0,4 directement après incubation, tandis qu’il augmente jusqu’à 2 après 24h. Il semblerait donc qu’après 24h, l’état de charge du monomère de hIAPP augmente, probablement en raison des conditions d’incubations acides (pH 3,7) qui favoriseraient la production d’espèces plus chargées. Parmi les deux états de charge de dimère, on observe d’ailleurs que la forme 5+ est plus intense que la forme 4+. Les mobilités associées aux différentes espèces ne sont en revanche pas affectées. Par exemple, pour le monomère4+, aucun nouveau pic n’apparaît après 24h d’incubation, signe qu’aucune nouvelle conformation de monomère4+ n’apparaît au cours du temps (Figure 52). L’augmentation d’intensité des deux mobilités observées à 7,17 et 9,48 ms est due à l’augmentation du signal du monomère4+ dans le spectre de masse. L’intensité du monomère5+ (m/z 781,2) est multipliée d’un facteur 2, confirmant que les conditions acides favorisent les états de charge élevés. Le signal du dimère5+ (m/z 1561,2) est également deux fois plus intense après 24h d’incubation. Le pic à m/z 683 n’est pas expliqué et ne semble par provenir de hIAPP étant donné son profil isotopique. Son intensité est néanmoins divisée par 4 après 24h d’incubation.

Figure 51 : Spectres de masses de hIAPP obtenus sur un spectromètre de masse à mobilité ionique directement après la mise en solution et après 24h d’incubation dans un tampon acétate

d’ammonium 50mM pH 3,7

Figure 52 : Mobilogrammes associés au monomère4+ (m/z 976,5) directement après la mise en solution (t = 0h) et après 24h d’incubation, montrant deux mobilités à 7,17 ms et 9,48 ms

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L’exemple du signal caractéristique du tétramère est présenté en Figure 3, avec une intensité très faible et peu d’évolution entre la mise en solution et 24h d’incubation (Figure 53).

Figure 53 : Évolution du signal caractéristique du tétramère7+ de hIAPP par IMS-MS entre 0 et 24h d’incubation, montrant une disparition puis une réapparition du signal

Les résultats obtenus sont assez surprenants puisque l’on n’observe pas d’évolution concordante avec une oligomérisation de hIAPP en termes d’intensité de signaux en fonction des différents temps d’incubation pour aucune des espèces oligomériques détectées. Ces résultats sont contradictoires avec l’hypothèse de la cascade amyloïde qui voudrait que la proportion d’oligomères au cours du temps augmente au détriment du monomère, ainsi qu’avec les résultats obtenus en électrophorèse capillaire (partie 2) et en spectrofluorimétrie à la ThT. Or nous n’observons ici que la conversion des formes de monomères entre elles vers les états de charge les plus élevés, sans évolution notable des proportions d’oligomères. Ce résultat est cohérent avec les résultats de l’équipe du Pr Radford (Young et al., 2014). Ces travaux montrent la présence du monomère à l’hexamère lorsque le peptide est analysé directement après la mise en solution, avec des conformations différentes pour chacune des espèces. Cependant, les expériences qu’ils ont menées après 5h d’incubation montrent une disparition des oligomères, lorsque le peptide est incubé dans un milieu de force ionique supérieure à 100 mM. A l’inverse, lorsque la force ionique est plus faible (20 mM), les auteurs n’observent pas de différences entre 0 et 5h d’incubation. Nous observons bien une diminution du signal du tétramère7+ avec notre milieu d’incubation de force ionique 50 mM (Figure 53), mais il ré-augmente à 24h. Ceci pourrait être dû à l’apparition et la disparition non-linéaires des différentes espèces. Cette hypothèse reste peu probable d’après les résultats de spectrofluorimétrie à la ThT et d’électrophorèse capillaire présentés

2220 2230 2240 2250 2260 0 5000 10000 15000

m/z

T0

T5

T24

m/z 2231

Tétramère

7+

formation d’espèces de hautes masses moléculaires. Cependant, dans certains cas à haute concentration, le peptide peut être au départ sous une forme agrégée off-pathway qui se redissocie ensuite en monomère (Wälti et al., 2015).

Une hypothèse plus probable ressort donc pour expliquer ces résultats : celle de la dissociation des complexes non-covalents (impliquant des interactions de faible énergie ou peu nombreuses) lors de l’analyse. En effet, la spectrométrie de masse met en jeu des énergies importantes au niveau de la source (plusieurs kV) ainsi que dans l’analyseur qui peuvent entrainer la dissociation des espèces les moins stables. La présence de gaz et de vides partiels peut également être à l’origine de ce phénomène. Si ces interactions sont suffisamment nombreuses et les énergies de liaison associées suffisamment élevées, il est possible d’observer ces complexes intacts. Il semblerait néanmoins que ce ne soit pas le cas pour hIAPP. En l’occurrence, si les plus gros oligomères sont détruits au profit des plus petits, il paraît alors logique de n’observer aucune évolution puisque tout le système reviendrait à son état initial après dissociation. En l’état, cette technique avec les paramètres employés pour ce travail semble donc limitée pour l’étude de l’oligomérisation de hIAPP. Elle demeure néanmoins capable d’identifier les différentes espèces et leurs conformations associées. La Figure 52 présente d’ailleurs deux conformations, dont les temps de drift associés sont de 7,17 et 9,48 ms, pour le monomère4+ (m/z 976,5). Afin de pouvoir exploiter cette technique, il sera nécessaire de s’affranchir de ce phénomène de dissociation, ou à défaut de pouvoir le quantifier pour en tenir compte. Pour cela, deux options peuvent alors être envisagées :

• Coupler la spectrométrie de masse à une méthode séparative comme la SEC afin d’estimer la fraction dissociée lors de l’analyse d’un oligomère donné.

• Utiliser la spectrométrie de masse en tandem sans énergie de collision afin de calculer un taux de conversion en utilisant les intensités des ions fils produits à partir d’un précurseur donné pour un oligomère.