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PARTIE 2 CADRE THEORIQUE

II. T RAVAILLER L ’ ECRIT AVEC UN RESEAU SOCIAL EN CLASSE DE FLE

2. Spécificités de l’écrit sur un réseau social

Écrire et interagir en ligne est un exercice qui comporte en effet quelques spécificités, en particulier sur un site social comme le Rézo Lumière.

La première des caractéristiques de l’écrit en ligne est son caractère public. Une grande partie de ce qui est écrit sur le web est visible par tous les internautes : sauf restrictions particulières (nécessité de s’inscrire par exemple, ou bien échanges privés par courriel ou par

chat), les pages web, blogs ou commentaires laissés sur des forums ou des sites de réseautage

social au sens large sont consultables par tous.

En second lieu, l’écrit en ligne s’inscrit dans la durée, il laisse une trace pérenne sur le web. Dans certains cas, la permanence de l’écrit sur Internet peut d’ailleurs poser des difficultés, notamment en matière de droit à l’oubli et de protection de la vie privée, et il faut donc prêter une attention toute particulière à ce qui est dit. Sous un angle plus positif, cette caractéristique permet de revenir à tout moment sur des contenus textuels publiés parfois longtemps en arrière, et peut se révéler très positive en matière d’apprentissage : ainsi, Degache et Nissen soulignent que dans le cadre d’une formation hybride, l’archivage des interactions en ligne « permet la consultation ultérieure des traces et un retour sur les corrections langagières » (Degache & Nissen, 2008, p. 75).

Le caractère public et pérenne des échanges écrits et de la communication sur le web autorise l’apparition d’un phénomène que Marcoccia (2004) baptise « lurking ». Soulignant le fait que sur de nombreux sites web « le dispositif technique rend possible et normale la position de celui qui « écoute aux portes » (celui qui se contente de lire les messages) » (Marcoccia, 2004, p. 10), l’auteur qualifie de « lurkers » (« lecteurs silencieux ») ceux qui, sur un forum de discussion, « se contentent de lire les messages et qui ne laissent aucune trace dans l’espace de l’interaction » (par opposition aux participants qui laissent des messages), mais souligne qu’ils font partie intégrante du groupe : « une personne qui se contente de lire les interventions sans jamais participer au forum appartient néanmoins au groupe de conversation dans la mesure où le cadre participatif spécifique d’un forum prévoit la lecture « à l’insu » comme forme de participation » (Ibid). Dans les communautés d’apprentissage en ligne, l’observation de l’apprentissage des autres et de leurs interactions fait bien souvent partie intégrante de l’apprentissage pour les apprenants, comme souligné par Grassin (2015) à propos du Rézo Lumière : « l’exploration silencieuse du site, le lurking, fait partie de l’apprentissage. Naviguer sur le site, voir et lire ce que font les autres, est une activité d’apprentissage à part entière et vécue comme telle » (p. 287). Il s’agit d’ailleurs de l’une des intuitions qui a conduit David Cordina à créer les premiers « réseaux apprenants » avec les sites Foreigner in Lille et

Mumbaikar in French. Reprenant les théories sur l’apprentissage de Vygotsky et Bandura

présentées précédemment, Cordina défend l’idée selon laquelle le caractère visible et public des interactions écrites qui caractérise un réseau socio-pédagogique permet de renforcer l’apprentissage individuel et l’apprentissage entre pairs, les apprenants pouvant à la fois y « apprendre en marge du discours de l’enseignant proprement dit » et bénéficier de l’observation des textes sur le site pour « acquérir des comportements ou des savoir-faire sans avoir à les élaborer graduellement dans un processus d’essais et d’erreurs » (Cordina, 2012, n. p.). Il propose le terme de « vicariance » pour décrire les processus d’apprentissage permis par la mutualisation et la consultation des écrits sur un réseau socio-pédagogique institutionnel.

Enfin, l’écrit en ligne se caractérise par l’existence de genres discursifs spécifiques qui ont émergé suite au développement d’Internet et de l’écriture numérique, et qui peuvent être définis comme « des formes communicatives qui se situent à l’interface entre les activités humaines et les productions langagières […]. Ils permettent ainsi d’articuler, d’une part, les contraintes liées à une situation d’énonciation (destinateur, destinataire, intention de communication, caractéristiques temporelles et spatiales) et, plus largement, à une pratique sociale, et, d’autre part, les différents niveaux de structuration d’un discours » (Mangenot & Soubrié, 2014, p. 4). Les termes sous lesquels sont désignés ces genres discursifs émergents varient d’un auteur à l’autre. Dans un cours de Master 2, Mangenot parle de l’apparition de « cybergenres » liés aux nouveaux types de discours numériques (Mangenot, n. d., p. 69). Paveau, de son côté, emploie le terme de « technogenres » pour désigner « les discours numériques “natifs”, c’est-à-dire produits dans l’écosystème numérique du web 2.0 : réseaux sociaux (Twitter, Facebook, Diaspora, Researchgate, Academia, Pinterest…), blogs, sites, wikis, plateformes de curation (Scoopit, Pearltrees), outils de veille (Google Reader, Diigo, Netvibes), outils d’annotation en ligne (Annotate, Lino it, MyStickies) » (Paveau, 2013, p. 6). Quel que soit le nom qu’on leur donne, ces nouveaux genres textuels font partie de ce que Thorne et Rheinhardt appellent les « littératies émergentes liées aux médias numériques » : pour ces auteurs, la maîtrise des nouveaux moyens de communication liés au développement d’Internet mais aussi des contextes et des genres dont ils causent l’apparition constitue une condition sine qua non pour prétendre à la maitrise avancée d’une langue (Thorne & Rheinhardt, 2008, p. 1). Comme souligné par Mangenot (n.d., p. 69), il est donc nécessaire d’enseigner aux apprenants à reconnaître ces cybergenres (identifier les spécificités

sémiotiques, technologiques et stylistiques) et à s’y conformer, en leur donnant l’occasion les observer, puis de s’entrainer à écrire en suivant les modèles identifiés21

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De par sa double dimension sociale et pédagogique et ses nombreuses fonctionnalités, un site comme le Rézo Lumière peut justement constituer un espace intermédiaire entre la classe et les pratiques authentiques du web 2.0, espace sur lequel les apprenants peuvent observer les différents genres d’écrit, s’entrainer à les produire et partager leurs textes avec une audience plus large que le seul enseignant en socialisant leurs productions.