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Spécificités du cas québécois et montréalais : portrait linguistique et social

CHAPITRE I PROBLÉMATIQUE

1.3 Spécificités du cas québécois et montréalais : portrait linguistique et social

Le Québec, province francophone, partage avec les autres provinces canadiennes les enjeux et les particularités propres aux parcours postsecondaires et scolaires des jeunes adultes issus de

l’immigration. Toutefois, l’intégration linguistique de ces jeunes à la langue française et à l’identité québécoise constitue l’enjeu crucial de cette province (Mc Andrew, 2010). La sélection québécoise des immigrants se base sur les mêmes principes que la politique d’immigration canadienne (non discriminatoire, visant l’établissement permanent, accordant la priorité à l’immigration économique). Toutefois, la politique d’immigration québécoise inclut également la « connaissance du français » comme critère de sélection des immigrants. Ainsi, en raison de l’importance accordée à la connaissance du français, davantage d’immigrants issus de l’Afrique (notamment de l’Afrique du Nord) sont accueillis au Québec.

Au Québec, la problématique linguistique constitue une dimension macrosociale qui intervient activement dans les parcours de vie des jeunes adultes issus de l’immigration, à la fois dans les parcours d’orientation postsecondaires (choix d’une institution anglophone ou francophone) et dans les choix d’orientation postsecondaire et professionnelle qui se font en lien avec les langues exigées sur le marché du travail. La socialisation linguistique et culturelle des jeunes adultes issus de l’immigration constitue ainsi un enjeu qui se trouve au cœur des politiques linguistiques et éducatives du Québec.

Décrivons d’abord brièvement la diversité linguistique de la province québécoise, et plus spécifiquement sur l’Île de Montréal, où les élèves dont la langue maternelle n’est ni l’anglais ni le français représentaient, en 2015, près de la moitié des effectifs scolaires (42,69 %) (CGTSIM, 2016). Au Québec, pour gérer cette diversité, la Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle du ministère de l’Éducation du Québec (MEQ) se focalise sur l’importance d’apprendre aux élèves à « savoir vivre ensemble dans une société francophone démocratique et pluraliste » (2006a, p. 7). Cette politique vise le développement des attitudes

d’ouverture à la diversité ethnoculturelle, linguistique et religieuse et l’inclusion du pluralisme dans les projets éducatifs (Mc Andrew, 2001). Des programmes de formation de l’école québécoise ont été mis en place dans le but de socialiser les élèves à vivre ensemble dans une société pluraliste (MEQ, 2006b et c). Toutefois, les programmes de formation de l’école québécoise ne favorisent pas la prise en compte explicite de la diversité linguistique dans les pratiques scolaires. En effet, la socialisation scolaire en français constitue une priorité gouvernementale qui transparaît dans les objectifs des commissions scolaires et les projets éducatifs des écoles (Armand et al., 2008).

L’école québécoise possède aussi un mandat particulier : socialiser les jeunes immigrants à la langue publique française commune. En effet, adoptée en 1977, la Charte de la langue française, aussi appelée « Loi 101 », valorise le statut du français au Québec en tant que langue de scolarisation, langue de travail et langue commune de la vie publique. Le volet éducation de la Charte prévoit la fréquentation obligatoire de l’école française pour les élèves immigrants allophones nouvellement arrivés. L’article 73, qui a pour objectif d’accueillir les immigrants à l’école française, n’accorde l’accès au système d’éducation anglais qu’aux élèves répondant au critère suivant : avoir un parent ayant reçu la majeure partie de son enseignement en anglais au Canada. Un objectif central de l’État québécois est de faire du français la langue commune de la vie publique. De ce fait, l’école française est désormais interpelée par le défi de l’intégration linguistique des immigrants (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport [MELS], 2014). Toutefois, la Charte de la langue française ne s’applique pas à l’enseignement collégial et universitaire. En 2011, 60 % des jeunes allophones issus de l’immigration et ayant fait leur primaire et/ou secondaire en français en vertu de la Loi 101 ont

choisi un cégep français (Mc Andrew et al. 2011). Ainsi, une certaine proportion de ces jeunes allophones issus de l’immigration, soit 38 %, optent pour le cégep en anglais. Pagé et Lamarre (2010) affirment que la langue d’enseignement du collège et de l’université que les jeunes choisissent devient souvent celle qu’ils souhaiteront utiliser au travail par la suite.

Un autre volet de la Charte de la langue française porte sur la langue de travail. La Charte fait appel à des programmes de francisation en milieu de travail. Ces programmes représentent un autre instrument visant à favoriser l’intégration des immigrants à la communauté francophone. Elle définit le français comme étant la langue officielle et en impose l’usage dans tous les domaines de la vie publique, pour qu’elle devienne la langue habituelle du travail (Pagé et Lamarre, 2010). Malgré le fait que le français soit la langue de travail la plus utilisée au Québec, l’anglais y occupe tout de même une place importante. Langlois (2009) souligne que la francisation des milieux de travail ne garantit pas non plus l’usage universel du français dans les communications internes à tous les niveaux. De ce fait, les immigrants doivent composer avec un milieu de travail où l’anglais et le français peuvent être utilisés. Ainsi, la francisation des entreprises ne signifie pas que la langue quotidienne de travail y soit effectivement le français ni que la langue française prédomine dans les communications internes entre les employés francophones et anglophones (Bélanger, Sabourin, Lachapelle, 2011; Langlois, 2009). La lecture prospective du milieu du travail peut influencer les choix d’orientation linguistique des jeunes adultes issus de l’immigration (Bélanger et al., 2011; Langlois, 2009; Pagé et Lamarre, 2010).

Ainsi, au Québec, le mandat de socialisation linguistique influence le parcours scolaire des jeunes issus de l’immigration du primaire jusqu’à leur insertion sur le marché du travail.

Toutefois, les enjeux linguistiques s’intensifient au stade des études postsecondaires durant lequel les jeunes adultes issus de l’immigration ont la liberté de faire leur propre choix d’orientation linguistique, et ce, surtout à Montréal où il existe un marché postsecondaire varié (institutions francophones et anglophones). Il faut également prendre en compte que l’intégration économique des jeunes adultes issus de l’immigration passe par le chemin de l’éducation. Ainsi, les choix au postsecondaire auront un impact sur l’insertion professionnelle des jeunes (Dronkers, 2010). En effet, au niveau macro, le système éducatif et les normes du système productif (marché du travail) de chaque contexte national influencent les choix et le sens que donnent les élèves à leur parcours scolaire (Dubar, 2001). Cette négociation entre les élèves, leur famille et les structures sociales se répercute sur le processus de construction de leur choix d’orientation postsecondaire et professionnelle (Dubet et Martuccelli, 1998). Ainsi, au Québec, le marché du travail constitue un terrain intéressant puisque deux langues, l’anglais et le français, s’y font concurrence. La situation de Montréal est encore plus saillante puisque la majorité des immigrants s’y installe et qu’il s’agit d’une ville marquée par un marché du travail bilingue (Bélanger et al., 2011). Selon Pagé et Lamarre (2010), les orientations linguistiques postsecondaires des jeunes Montréalais issus de l’immigration détermine en grande partie leurs orientations linguistiques professionnelles, et ce, en fonction de leur anticipation des normes linguistiques du marché du travail.

Le développement d’une identité québécoise sous-tend les objectifs étatiques de cette province (Chastenay et Pagé, 2007). Le Québec francophone possède un statut linguistique minoritaire au sein du Canada majoritairement anglophone (Mc Andrew, 2010). Le statut linguistique du Québec replacé en Amérique du Nord est davantage fragile, car la population francophone

constitue seulement 2 % de la population de l’Amérique du Nord (Montreuil et Bouhris, 2001). Or, les jeunes Québécois issus de l’immigration sont exposés à deux références identitaires au niveau provincial et fédéral. Toutefois, la revendication de l’identité québécoise chez les majoritaires d’origine québécoise est plus forte que chez les majoritaires canadiens (Breton, 2015). Selon Breton (2015), les majoritaires québécois sont moins ouverts à la diversité issue de l’immigration et ils se sentent plus menacés par le groupe minoritaire. La valorisation de l’identité québécoise est notamment alimentée par les discours souverainistes – des discours qui peuvent intensifier des attitudes d’exclusion des Québécois francophones envers les immigrants (Breton, 2015). Des recherches soulignent que les Québécois francophones tendent à catégoriser les immigrants dans les groupes valued et devalued (Berry, 2006; Montreuil et Bouhris, 2001) : les immigrants d’origine française sont plus valorisés par les Québécois majoritaires que les autres immigrants (originaires d’Amérique du Sud, etc.). Cette perception pourrait influencer les rapports intergroupes en milieu scolaire, car les élèves ou les étudiants québécois peuvent se montrer réticents à tisser des liens d’amitié avec leur pairs d’origine immigrante (autre que française).

Donc au Québec, les frontières « majoritaires/minoritaires » sont une partie intégrante de la réalité sociale dans ses formes scolaires et extrascolaires. Les recherches menées en contexte québécois soulignent la tendance des jeunes adultes issus de l’immigration, et notamment des minorités visibles, à s’identifier davantage à leur pays d’origine et au Canada plutôt qu’au Québec (Chastenay et Pagé 2007; Meintel et Kahn 2005; Potvin, 2007). Les jeunes adultes issus de l’immigration, dans leur expérience, en négociant les frontières « minoritaires/majoritaires », peuvent se distancier des jeunes du groupe majoritaire (Meintel,

1992; Steinbach, 2010). En fait, les relations qu’ils établissent avec le Québec francophone et les Québécois francophones majoritaires peuvent s’avérer conflictuelles (Magnan et Darchinian, 2014). Ces jeunes peuvent également rapporter un sentiment d’exclusion (Lafortune et Kanouté, 2007) ou de discrimination (Steinbach, 2010). Dans les lignes qui suivent, en synthétisant les éléments relevés de l’état du problème et du contexte global canadien et québécois, nous nous orientons vers le problème et les questions de la recherche.