• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE II CADRE CONCEPTUEL

2.2 ExpérienceS de vie constitutiveS des parcours de vie

Le concept d’expérience se veut constitutif du concept de parcours de vie. Autrement dit, les parcours biographiques des individus sont des parcours d’expériences multiples (Bertaux, 2010). Ce concept inscrit les parcours de vie constitués d’expériences dans une trame temporelle longitudinale, soit pour étudier les événements qui jalonnent une vie de la naissance jusqu’à la mort (Spini et Widmer, 2009), soit pour la prise en compte de l’effet des déterminants sociaux (macro) en lien avec l’effort de l’individu pour construire son propre chemin (micro) (Bessin, 2009a). Mais le concept de parcours s’intéresse aux expériences individuelles, aux bifurcations, aux continuités ainsi qu’aux ruptures, ce qui évoque la prise en compte d’une longue temporalité (Abbott, 2009; Bidart, 2006). La subjectivité des individus est donc valorisée pour appréhender la dynamique existant entre les déterminants structurels et l’action individuelle (Thomas, Znaniecki et Strübing, 1984). Toutefois, le concept de parcours de vie ne traite pas uniquement la subjectivité dans la dialectique établie entre les déterminants et l’action, il permet également de rendre compte des contextes sociohistoriques au sein desquels les expériences pratiques se produisent (Bertaux, 2010; Bessin, 2009a) en

questionnant l’organisation de la vie humaine et son déroulement dans le temps (Bessin, 2009a).

[…] ces ruptures, mises en scène dans les récits biographiques, vont au-delà des dynamiques personnelles. Si les événements marquent et structurent les parcours de personnes, ils sont aussi la résultante de processus sociaux et constituent des moments de recomposition, de redéfinition, tant de soi que des rapports sociaux dans lesquels ils s’insèrent. (Bessin, 2009a, p. 17)

D’ailleurs, le concept de parcours prend en compte l’effet des différents facteurs psychologiques, sociaux, biologiques et historiques qui sont structurés par des logiques diversifiées; il prend également en compte le contexte de réalisation des actions (Spini et Widmer, 2009). Une des dimensions du concept de parcours est la dynamique de l’avancée en âge. Cette dimension permet de rendre compte des changements qui sont le résultat de l’ancrage des expériences individuelles dans un contexte sociohistorique (Bessin, 2009a). Ainsi, ce concept rend compte du temps biographique aussi bien que du temps historique, dans le sens que le temps historique construit le contexte où se déroule la succession des évènements. Le temps biographique permet la prise en compte du passage des étapes, comme le passage de l’adolescence à l’âge adulte. De plus, le concept de parcours, en mettant l’accent sur le lien entre les structures sociales et le cours de la vie, rend possible l’analyse d’évènements sur une longue durée. La sociologie des parcours de vie vise également à identifier les « systèmes de structuration des biographies, fussent-elles individuelles » (Bessin, 2009a, p. 16). Pour Bessin (2009a), la visée des approches basées sur les parcours de vie est de procéder « à l’identification des normes et des contraintes, culturelles et matérielles, qui orientent l’avancée en âge » (p. 16). Ainsi, ce concept peut être emprunté pour appréhender les régularités aussi bien que les singularités des expériences hétérogènes qui jalonnent les parcours de vie. Bessin (2009b) souligne également l’importance de la prise en compte des

émotions faisant partie intégrante des bifurcations et des ruptures pour une compréhension sociologique approfondie des phénomènes sociaux. Or, les émotions « se reproduisent dans un rapport à l’autre, à la transformation et à l’étrangeté, ce qui leur donne une dimension sociale importante » (Bessin, 2009b, p. 325). Ajoutons toutefois que le concept d’expérience sociale développé par Dubet tient également compte des états émotionnels vécus par l’acteur en lien avec l’hétérogénéité des principes qui entrent en jeu pour donner sens à son expérience sociale (Pilote, 2005)

Il faut ajouter que, dans le domaine de l’éducation, l’usage du concept de parcours est souvent, à tort, associé à celui de cheminement. Le concept de cheminement prend en compte les étapes linéaires prescrites par le système éducatif, ce qui rend difficile la possibilité d’appréhender la réversibilité des parcours. En fait, les cheminements scolaires représentent la succession des places occupées par les individus dans le système scolaire (Doray, 2012). De ce fait, les « parcours », envisagés sous cet angle, se dessinent largement sur l’organisation de la scolarité, avec des variables comme le passage d’un ordre à un autre, la réussite aux cours, l’accès aux différents programmes, l’accès à l’université, etc. Or, le concept de parcours pour lequel nous optons permet davantage l’analyse des allers-retours possibles, des renversements de situations ou bifurcations, bref la prise en compte de la non-linéarité des itinéraires scolaires (Doray 2012), tel que le passage de l’université vers la formation professionnelle ou vers le cégep.

Dans le cadre de notre perspective interprétative et de notre approche relationnelle, situer le concept d’expérience d’orientation au fil des parcours de vie permet de nous écarter des recherches quantitatives centrées sur l’accès aux études postsecondaires et au marché du

travail. En effet, ces recherches impliquent bien souvent un portrait transversal des performances scolaires plutôt qu’un portrait longitudinal de l’expérience d’orientation. Or, les évènements de l’expérience du passage au postsecondaire et au marché du travail ne se succèdent pas de façon linéaire au Canada et au Québec. Par conséquent, les parcours d’expérience d’orientation ne peuvent pas être interprétés uniquement en fonction du taux d’accès. Nous considérons donc les parcours d’orientation linguistique postsecondaire et professionnelle des jeunes adultes issus de l’immigration comme étant parsemés d’étapes non linéaires, par de nombreux allers-retours.