• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE I PROBLÉMATIQUE

1.1 Constats globaux par rapport au vécu scolaire des jeunes issus de l’immigration

1.1.2 Caractéristiques familiales

Selon les données de PISA 2015, dans la plupart des pays de l’OCDE, le statut socioéconomique affecte la performance scolaire des jeunes issus de l’immigration (Gurrìa, 2016). De fait, dans la plupart de ces pays, les élèves issus de l’immigration proviennent de familles ayant un statut socioéconomique moins élevé comparativement à leurs pairs natifs (Gurrìa, 2016). En général, les jeunes issus de l’immigration sont affectés par le statut socioéconomique moins élevé de leurs parents (Schleicher, 2015). Toutefois, en tenant compte de tous les aspects du profil familial de ces élèves (statut socioéconomique, profil migratoire), ils ont un niveau relativement élevé de performance scolaire dans les pays suivants : Canada, Danemark, Estonie, Hong Kong (Chine) et Macao (Chine) (Gurrìa, 2016).

Avec le Rapport Coleman (1966) intitulé Equality of Educational Opportunity, les analyses pour expliquer la réussite scolaire ont été orientées vers les caractéristiques des élèves et de leur milieu familial. Avant ce rapport, la situation scolaire des élèves était principalement analysée sous l’angle des ressources des établissements scolaires (Coleman, 1966). Ce rapport s’est focalisé sur les caractéristiques individuelles et familiales des élèves issus de l’immigration.

 Facteurs prémigratoires et migratoires

Chaque famille immigrante a son projet d’immigration spécifique et tente de mettre en œuvre des stratégies pour pouvoir s’intégrer dans le nouveau contexte selon ses ressources. Une des visées principales du projet migratoire est d’offrir une meilleure vie aux enfants : une bonne

éducation garantit un meilleur futur pour ces familles. De ce fait, le projet migratoire influence le vécu scolaire des élèves issus de l’immigration (Kanouté et al., 2008). Pour Potvin et Leclercq (2014), le concept de trajectoire migratoire renvoie à un chevauchement de plusieurs éléments subjectifs et objectifs en lien avec le passé, le présent et le futur des individus.

En effet, le type de trajectoire migratoire est un facteur déterminant dans la socialisation scolaire et sociale des enfants immigrants. Les conditions de vie avant la migration et les évènements que les familles ont connus peuvent influencer le vécu scolaire des jeunes. Ceux dont les parents ont eu un projet volontaire d’immigration ne vivent pas le même cheminement scolaire que ceux dont les parents sont arrivés avec le statut de réfugié dû à la guerre, la pauvreté, l’insécurité ou d’autres conditions défavorables (Ogbu et Simmons, 1998). Toutefois, les immigrants volontaires peuvent également vivre des conditions défavorables imprévues. Il reste que le fait d’avoir un projet planifié d’immigration, c’est-à-dire d’avoir prévu les ressources et formulé les aspirations bien avant l’immigration, facilite l’intégration de la famille dans la société d’accueil et le cheminement scolaire des enfants (Kanouté et al., 2008).

Selon Zhou et Bankston (1998), l’impact des conditions prémigratoires peut se généraliser à l’ensemble d’un groupe ethnique. Par exemple, les douleurs et les répressions de l’exil sont devenues fréquentes chez les élèves vietnamiens aux États-Unis. Les élèves appartenant à ce groupe ethnique vivent des cheminements scolaires difficiles qui influencent leur performance scolaire. Les changements dans la situation familiale influencent également le cheminement scolaire des jeunes issus de l’immigration. Ainsi, la séparation des membres de la famille crée une vulnérabilité pouvant mener à l’échec scolaire des jeunes issus de l’immigration (Suárez-

Orozco, Suárez-Orozco et Todorova, 2009; Zhou et Bankston, 1998). De ce fait, sous l’impact de la trajectoire migratoire, les familles immigrantes peuvent avoir des rapports différents en regard de l’éducation de leurs enfants dans la nouvelle société d’accueil.

Le rapport des parents à l’éducation et l’établissement scolaire fréquenté par leurs enfants a un impact sur la réussite scolaire de ces jeunes (Kanouté et al., 2008; Suárez-Orozco, Todorova et Louie, 2002). Afin de creuser davantage la nature de ce rapport, Kanouté et al. (2008) ont tenté d’analyser les situations de réussite des enfants d’origine immigrante selon le profil familial. Les auteurs développent leur hypothèse autour de la dynamique d’acculturation, des facteurs qui alimentent le stress d’acculturation, de la mobilisation du capital humain et social familial et des facteurs de résilience. Ces chercheurs modélisent trois profils familiaux : « réussite-continuité », « réussite-promotion » et « réussite pour la famille ». Pour les élèves ayant le profil familial « réussite-continuité », c’est la mobilisation du capital culturel et scolaire élevé de la famille qui oriente l’enfant vers la réussite scolaire. Le profil « réussite- promotion » représente les élèves dont les parents compensent un capital humain moins élevé que celui de la catégorie précédente par une utilisation intensive des ressources sociales et scolaires; elles misent sur l’ancrage dans la société d’accueil pour neutraliser les souvenirs d’un contexte prémigratoire difficile. Les élèves ayant le profil « réussite familiale » sont ceux dont les familles misent beaucoup sur les ressources matérielles et symboliques des communautés culturelles auxquelles elles s’identifient.

Pour les familles immigrantes, l’éducation est souvent vue comme étant le moyen principal d’avancement social. Autrement dit, en valorisant l’intégration de leurs enfants dans le système éducatif et productif du pays d’accueil, ils souhaitent vivre une mobilité sociale

(Levels et Dronkers, 2008). En effet, en l’absence d’autres ressources, le système d’éducation fournit une opportunité de mobilité sociale pour leurs enfants. La réussite dans le système d’éducation permet aux enfants immigrants d’obtenir des emplois plus qualifiés et mieux rémunérés, de même qu’une mobilité sociale ascendante. Selon Dronkers (2010), dans les sociétés postindustrielles, l’éducation est le chemin le plus favorable pour les immigrants vers une mobilité sociale.

 Réseau social

Le réseau social est une autre composante des caractéristiques familiales. Les familles immigrantes s’appuient sur l’ensemble de leurs ressources pour établir des relations avec d’autres familles, avec leur communauté et avec l’école. Ces réseaux sociaux influencent les résultats scolaires des élèves issus de l’immigration. En fait, plus les réseaux sociaux sont grands, plus les familles possèdent de ressources pour favoriser l’intégration socioscolaire de leurs enfants. Elles développent leurs réseaux sociaux (les amis, les connaissances) en suivant leurs attentes et leurs valeurs. Chaque famille peut avoir des valeurs spécifiques en fonction de son origine ethnoculturelle.

Zhou et Bankston (1998) mettent l’emphase sur l’impact de la communication des familles immigrantes avec leur communauté ethnoculturelle. Ces relations, basées sur des appartenances et des croyances communes, peuvent faciliter l’adaptation de ces familles et de leurs enfants à la société d’accueil (Bouteyre, 2004; Kanouté et al., 2008). En outre, les relations des familles immigrantes avec les organismes d’intégration des immigrants du pays

d’accueil peuvent réduire les malentendus mutuels qui peuvent exister entre la population immigrante et la population native (Bakhshaei, 2013; Mc Andrew, 2010; Sun, 2014).

 Aspirations

Selon les données de PISA (2003-2012), les parents immigrants ont de fortes aspirations pour le futur de leurs enfants comparé aux parents non immigrants (Schleicher, 2015). Les aspirations scolaires et professionnelles des familles immigrantes transmises à leurs enfants sont ainsi une autre caractéristique qui a attiré l’attention des chercheurs qui s’intéressent au vécu scolaire des jeunes issus de l’immigration. Les trajectoires prémigratoires des familles immigrantes sont en lien avec leurs aspirations pour l’avenir de leurs enfants dans le pays d’accueil (Mc Andrew, Garnett, Ledent, Sweet, 2011; Zéroulou, 1988). Les attitudes mobilisatrices des parents peuvent orienter leurs enfants vers des études universitaires, même s’ils ont un capital scolaire faible. Ces familles visent ainsi une ascension sociale à travers l’éducation de leurs enfants dans le pays d’accueil (Mc Andrew et al., 2011; Zéroulou, 1988). Toutefois, il semble que l’origine ethnique et le statut générationnel jouent un rôle important dans les différences entre les aspirations (Finnie et Muller, 2010; Zéroulou, 1988). Au Canada, mis à part des élèves d’origine latino-américaine qui ont des aspirations scolaires moins élevées que les natifs du Canada, les élèves issus de l’immigration de première et de deuxième génération démontrent des aspirations scolaires élevées (Finnie et Muller, 2010). Selon Kamanzi et Murdoch (2011), les élèves appartenant aux minorités visibles démontrent des aspirations scolaires plus élevées que ceux d’origine européenne. Toutefois, ces aspirations élevées n’aboutissent pas nécessairement à la diplomation de tous les élèves issus de l’immigration. Quant aux minorités visibles d’origine africaine, un statut socioéconomique

moins favorable diminue l’impact positif des aspirations scolaires élevées pour la poursuite des études universitaires. En comparaison, chez les minorités visibles originaires de l’Asie du Sud-Est, les caractéristiques ethnoculturelles (dont nous parlerons plus bas) basées sur la survalorisation des études semblent pallier l’impact d’un statut socioéconomique moins favorisé. Quant aux élèves issus de l’immigration d’origine européenne, qui ont des aspirations scolaires moins élevées que celles des minorités visibles, le statut socioéconomique des parents et leur niveau d’éducation influencent positivement leur parcours universitaire.

Les résultats de l’étude quantitative de Kamanzi et Murdoch (2011) apportent davantage d’éclairage sur l’hétérogénéité ethnoculturelle des élèves issus de l’immigration aussi bien que sur l’interrelation des facteurs intervenant dans leur vécu scolaire. Toutefois, en tenant compte de cette hétérogénéité et de cette complexité, il nous semble que les données quantitatives sont loin de permettre à elles seules de vérifier les stratégies que ces jeunes, appartenant à des groupes ethniques différents, peuvent mettre en œuvre pour réaliser leur intégration socioprofessionnelle après une réussite ou un échec aux études postsecondaires, et ce, en négociant leur marge de manœuvre face aux autres facteurs macrosociologiques comme les caractéristiques du système scolaire et du marché du travail. De plus, les données quantitatives fournissent un portrait global de chaque groupe ethnique, occultant ainsi l’hétérogénéité présente dans chaque groupe (Mc Andrew, Garnett, Ledent, Ungerleider, Adumati-Trache et Ait-Said, 2008).

Les constats internationaux présentés ci-dessus ont montré que le vécu scolaire des jeunes issus de l’immigration varie selon le contexte national. De fait, les caractéristiques individuelles et familiales, voire les facteurs microsociologiques, ne peuvent pas expliquer à

elles seules les différences entre le vécu scolaire des jeunes issus de l’immigration et leurs pairs natifs. Ainsi, dans les lignes qui suivent nous présentons les caractéristiques qui révèlent des facteurs macrosociologiques : « caractéristiques des groupes ethniques», « caractéristiques du contexte d’accueil» et « caractéristiques des systèmes éducatifs ».