• Aucun résultat trouvé

7. SERVICES D’ACCUEIL ET D’INTÉGRATION POUR ÉTUDIANTS AUTOCHTONES

7.4. Les services de soutien culturellement adaptés

7.4.1. Soutien scolaire et politiques d'admission

Nombreux sont les jeunes issus des communautés qui ne sont pas préparés adéquatement sur le plan scolaire pour terminer leur secondaire au niveau régulier, ni pour s’intégrer au sein des cursus postsecondaires (Hull 2000; Malatest 2002; Bastien 2008; Loiselle 2010). Pour certains, le défi se situe particulièrement au niveau de l'adaptation linguistique et de la littéracie (Bérubé 2015 : 44). Les informateurs ont également évoqué des facteurs extrascolaires, soit des difficultés psychosociales, individuelles et familiales (suicide, mortalité, consommation, etc.) pour expliquer leur perte de motivation par rapport aux enseignements scolaires. Les conditions de vie, l'état de santé (notamment les otites et pertes auditives des enfants des communautés) et l'accès difficile aux soins appropriés constituent aussi des entraves notables à l'apprentissage (Sioui 2012). De plus, dans certaines institutions comme l'UQAT, une importante proportion des étudiants font leur entrée à l'université sur une base d'admission d'étudiants dits matures (Loiselle 2010: 14), à la suite d'un arrêt prolongé des études. Parmi ceux-ci, on retrouve de nombreux étudiants parents. L’accès, voire le retour, aux études constituant en lui-même un défi de taille, ils doivent également rattraper le retard

93

accumulé au sein de leur scolarité, en plus d'apprenre à composer avec de nouvelles exigences postsecondaires et organisationnelles (Bérubé 2015: 45).

Le sous-financement des écoles des communautés constitue un obstacle considérable à la préparation scolaire des élèves et étudiants. Contrairement aux écoles allochtones, les écoles autochtones ne bénéficient d’aucune structure de soutien de types commissions scolaires ou ministère de l’Éducation76 (Bastien 2008). De fait, seules les écoles proprement dites sont financées, selon une formule qui n’a été revue qu’une seule fois depuis 1988 (en 1996) par le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada (ibid. ; Canada 2011). Cette insuffisance budgétaire se fait sentir au niveau de la qualité et de la disponibilité du matériel didactique, de l’embauche et de l’encadrement du personnel, ainsi qu’en matière de développement et d’évaluation des programmes (Sioui 2010). De plus, le financement par élèves fréquentant les écoles de bandes est de 1000$ inférieur à celui des élèves du système provincial (Richards 2011). En réponse aux conclusions de l'Institut Fraser77 selon lesquelles l'éducation autochtone serait suffisamment, voire surfinancée (Bains 2014), le CEPN (2014) rappelle entre autres que les budgets des écoles québécoises varient en fonction de facteurs socioéconomiques, des besoins spéciaux des élèves, des langues minoritaires, de l’éloignement et de la taille des écoles. Considérant que les contextes socioéconomiques et culturels de nombreuses communautés « correspondent aux définitions du risque d'inadaptation scolaire et sociale utilisées par le Conseil scolaire de l'île de Montréal ainsi que par la plupart des organismes gouvernementaux québécois » (Larose et al. 2001: 152), le financement serait d’autant plus inadéquat et constituerait un obstacle à la réussite scolaire des étudiants de Premières Nations (CEPN 2014).

Ayant enseigné les sciences à l’école secondaire de la communauté crie de Chisasibi, Jacky Vallée78 postule que le roulement de personnel et le niveau de motivation de certains enseignants ne sont probablement pas non plus étrangers à ce phénomène (Vallée, Montréal

76 À l'exception des nations conventionnées, qui disposent de leur propre commission scolaire: Commission

scolaire crie et Commission scolaire Kativik.

77http://www.cepn-fnec.com/PDF/cepn/Communiquepresse_etudeFraser_fr.pdf (consulté en mai 2015).

78 Au moment de l'enquête, Jacky Vallée était doctorant au département d'anthropologie de l'Université de

94

23-01-13). À son arrivée en poste, il est choqué d’apprendre que les enseignements de son prédécesseur allochtone, lui-même suppléant, se limitaient à faire retranscrire par les élèves les réponses écrites au tableau, sur des feuilles volantes. Vallée raconte que jamais les cahiers d’exercices destinés aux élèves n’avaient été sortis de leurs boîtes. Bien que cet exemple de laxisme, voire d’inadéquation didactique, ne soit pas caractéristique de l’ensemble du personnel enseignant en communautés, les témoignages d'un grand nombre d'étudiants interrogés laissent présager qu’il ne s’agit pas non plus d’anecdotes isolées :

Il y avait juste un seul groupe, secondaire 4 et 5 ensemble, faque nous autres on était comme laissés à nous-mêmes. On allait dans une autre classe pis le prof s’occupait des secondaires 4. Faque… j’ai poché mon dernier cours de maths, Mathématiques 514 et je n’ai pas eu mon diplôme (Lucie, Odanak, 14-04-14) Quand j'étais en 4e année du primaire j'avais un professeur qui était raciste, elle me détestait... j'étais tellement tannée de ça que j'avais décidé de plus aller à l'école sans dire la raison à ma mère. Après l'année terminée, ils m'ont laissée aller à la 5e année… et ainsi de suite même si j'avais de la difficulté à avancer dans mes cours. Arrivée au secondaire, ils m'ont tout fait recommencer ma 4e année du primaire! (Shany, Montréal, 09-08-14)

We have shitty education up north. I didn’t even know how to write an essay when I came here [au cégep] or like... never had presentation to do. And so, when we come here and there is a bunch of people ahead of us, we need to catch up (Alasie, Montréal, 11-03-16).

Se remémorant l'attitude et le niveau d’investissement de certains de leurs professeurs venus du Sud, plusieurs informateurs vont jusqu'à supposer que leur séjour professionnel en communauté éloignée était strictement motivé par des intérêts financiers. Des étudiants évoquent également la possibilité que certains enseignants allochtones n'aient pas été préparés adéquatement pour s'adapter aux réalités des communautés et apprendre à composer avec les nombreux chocs culturels inhérents à leurs nouveaux environnements :

But the teachers, doctors that come up north, it’s hard for them too… it’s hard for them to adapt to that different lifestyle […] And also, it is more money for them because they are going up. They have everything provided for them and some of them just go for the money and you can tell [...] And we don’t get homework because that’s how the culture is. We don’t really want to do it […] It is very hard for the teachers to push kids to do it and nobody is really motivated to go to school because […] they don’t really teach us that much. You know what I mean? Because the teachers let the students take control of the class environment where the teacher is supposed to be the one that says : sit down, now we’re gonna do our work. You’re gonna learn today, kids! (Alasie, ibid.)

95

En d'autres mots, le manque d’enseignants autochtones (CRPA 1996) et de personnel qualifié, compétent et capable de s’adapter aux contextes socioéconomiques et culturels des communautés autochtones, constituerait un obstacle considérable à la préparation scolaire des jeunes autochtones en vue de leur intégration au niveau postsecondaire. Le portrait statistique du personnel enseignant des écoles de la Commission scolaire crie et Kativik semble corroborer ce constat. Celui-ci serait plus jeune, moins expérimenté et de scolarité reconnue moins élevée que celui des autres commissions scolaires au Québec (MELS 2013 : 13-14). Cette situation témoigne entre autres d'une difficulté de rétention du personnel enseignant au sein des écoles des communautés éloignées. Il faut par ailleurs souligner que depuis 1990, ces écarts sont en régression constante (ibid.). D'autre part, bien que le nombre d’enseignants autochtones du niveau secondaire ait augmenté depuis cette même année de référence, il reste proportionnellement constant considérant l'augmentation des besoins en effectifs (ibid.). Si ces constats peuvent présager une certaine amélioration de la qualité de l’enseignement dans les écoles de certaines communautés, il reste tout de même que les étudiants actuels ont été majoritairement scolarisés dans un contexte et avec des effectifs qui n’ont pas permis de les préparer adéquatement à leur intégration postsecondaire.

En l'absence de services de soutien scolaires adaptés, plusieurs des étudiants autochtones qui réussissent à se faire admettre et qui osent l’expérience postsecondaire finissent par se décourager et décrochent du système (Malatest 2002 : 18). Laissés à eux-mêmes, ils sont insuffisamment outillés sur le plan scolaire pour rattraper l’écart et suivre le nouveau rythme imposé. Des informateurs racontent avoir ressenti une certaine réticence à l'idée d'aller solliciter de l'aide auprès des instances postsecondaires allochtones, par timidité ou par crainte de s'attirer un jugement dépréciatif de leurs capacités intellectuelles. Ce constat est notamment confirmé par les résultats d'une recherche collaborative initiée par le Cégep de Baie-Comeau et l'UQAC auprès d'étudiants innus (Santerre 2015: 22). Ce type d’expériences d’inadéquation vient affecter leur confiance en leurs propres capacités, et finit par les convaincre que l’université « n’est pas faite pour [eux] ».

Ainsi, pour tenter de soutenir les étudiants dans une perspective de sécurité culturelle, la majorité des espaces consacrés offre un soutien didactique adapté aux besoins et réalités des

96

étudiants autochtones. On y offre des services de tutorat, de mentorat, de révision linguistique des travaux et/ou d’ateliers de renforcement scolaire adaptés aux défis linguistiques, conceptuels et scolaires de leurs étudiants. Selon les mesures proposées, ce suivi peut être réalisé de façon individuelle ou collective par des personnes internes ou externes au centre, ou encore, par des pairs. Selon l’expérience de Julie-Anne Bérubé, conseillère au soutien et à l'apprentissage pour le SPP de l'UQAT, il peut s'avérer préférable de se montrer disponible aux demandes spontanées et particulières des étudiants plutôt que de tenter d’organiser un calendrier serré de rendez-vous et de formations (Bérubé 2014). Les deux formules sont tout de même offertes de façon ponctuelle ou périodique (ibid.). En plus des défis scolaires et linguistiques, Bérubé identifie une série de besoins en renforcement pour l'adoption d'attitudes et de méthodes de travail facilitant la réussite au sein de l'institution postsecondaire:

Pour certains en découlent des difficultés de compréhension de lecture, de synthèse, de transfert des connaissances, de compréhension de concepts abstraits ou de rédaction. Quant au métier d'étudiant, les défis qui s'y rapportent sont souvent relatifs au rythme des études, à la motivation et au sentiment de compétence de l'étudiant, à l'établissement d'une routine, aux méthodes d'étude, aux échéances et au manque de stratégies d'apprentissages efficaces et efficientes (2015 : 44).

Il s'agit donc de démystifier les attentes du système postsecondaire et de donner aux étudiants des outils supplémentaires pouvant leur permettre de répondre aux exigences de celui-ci. Pour ce faire, plusieurs moyens ont été développés par l'équipe du SPP. Par exemple, une semaine d'accueil et d'orientation est offerte à la rentrée dans le but de leur présenter les services offerts ainsi que de renforcer leurs compétences organisationnelles, et des ateliers de renforcement de compétences sont organisés selon les besoins rencontrés en cours de scolarité (ibid.: 45). Ces mesures figurent parmi les plus appréciées des bénéficiaires de services. Ils contribuent à la mobilisation des étudiants autochtones au sein des espaces consacrés, à la sécurité psychologique, à la mise à niveau des compétences essentielles et donc, à la réussite des étudiants autochtones.

L'offre de tutorat est identifiée par plus du tiers (près de 37%) des persévérants autochtones préuniversitaires ayant répondu au questionnaire écrit comme un facteur pouvant les aider dans leur réussite (voir Graphique V, p.103). Cet indicateur semble démontrer que les étudiants autochtones sont a priori conscients des carences partiellement héritées de leur

97

mauvaise préparation scolaire. Cet état de fait peut contribuer au manque de confiance en soi dont il a été question au chapitre 6, et entraver l'accès aux études postsecondaires d'un bon nombre de ceux-ci. En contrepartie, l’offre de services culturellement adaptés et individualisés contribue à sécuriser les aspirants aux études supérieures et à offrir une meilleure égalité des chances en vue de la réussite postsecondaire.

Considérant les nombreux obstacles auxquels sont confrontés les étudiants autochtones en cours de scolarité primaire, secondaire et collégiale, certains établissements postsecondaires présentent également des politiques d’admission spécifiques. Par exemple, le registraire de l'Université McGill traite les demandes d'admission de ses étudiants autochtones de façon personnalisée, par l'étude globale de leurs dossiers plutôt que de se restreindre à une simple évaluation de la cote R (Cook, Montréal, 14-03-14). Le Programme des facultés de médecine du Québec pour les Premières Nations et les Inuits, présenté en cours d'introduction, offre pour sa part un programme d'admission particulier (et de soutien subséquent) pour les aspirants étudiants. C'est d'ailleurs grâce à ce type de mesure préférentielle qu'a été formé le premier chirurgien autochtone du Québec à l'Université de Montréal, le docteur Stanley Vollant (présenté dans la section portant sur la question générale de recherche), qui a été admis dans les années 1980 grâce au pouvoir discrétionnaire du vice-doyen de l'époque (Dr Rivest), suite à un refus initial (Sauvé 2013 : 43).