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angles : (1) le rôle de la fratrie dans la violence subie et (2) le soutien reçu de la part du parent qui n’est pas l’agresseur.

Le rôle de la fratrie dans la violence subie. Une caractéristique qui distingue les jeunes qui expriment peu de détresse de ceux qui en expriment beaucoup est la place qu’occupent les membres de la fratrie dans la violence que les jeunes subissent. Pour les jeunes exprimant peu de détresse, la plupart du temps lorsqu’ils abordent la présence de leurs frères et sœurs, ils rapportent que ces derniers sont victimes de violence au même titre qu’eux:

Depuis plusieurs semaines, il y a des guerres incessantes entre mes parents. Mon père a frappé et lancé contre le mur à plusieurs reprises ma mère. J’ai dû intervenir même. Moi, je pratique des arts martiaux de l'aïkido, du karaté et du judo et grâce à ces arts martiaux, ça m’a permis de sauver ma mère des quelques coups en bloquant les coups de poing et coups de pied de mon père et le pire, c’est que j’ai un petit frère qui a 5 ans et il écoute et parfois malheureusement voit ce qui ce passe et lui il a peur, je dois m’occuper d’essayer de le distraire. (C241, G-12);

[…] quand je suis chez elle (mes parents sont séparés), j'ai l'impression d'être en prison. Elle nous empêche constamment de vivre. Il faut tout le temps qu'il y ait quelque chose qui ne marche pas, elle est sans cesse en train de me reprocher des choses, de me donner des défauts. […] Il y a déjà mon demi-frère qui a décidé d'aller habiter chez sa mère puisqu'il n'était plus capable de ma mère, mais je crois qu'elle ne se rend pas compte qu'elle blesse tous ceux autour d'elle. (C246, F-14).

Par contre, chez les jeunes exprimant beaucoup de détresse, ce qui est le plus souvent rapporté par rapport à la fratrie, c’est soit qu’elle subit de la violence au même titre qu’eux ou qu’elle contribue à la violence. En effet, il semble que le frère ou la sœur peut agir à titre d’agresseur comme le font les parents. Dans tous les cas, la fratrie n’assure pas un soutien. Une présence de violence fraternelle d’ordre psychologique et physique émerge du discours des jeunes exprimant beaucoup de détresse :

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Ma mère et mon frère ont souvent des propos désobligeants envers moi et ça me rend triste et dépressive, et pourtant ils le savent que je n’ai pas d'estime de moi. (C058, F-

16);

Parlant de mon petit frère, il a 9 ans puis moi j’en ai 13 puis il me frappe soit avec son bâton de baseball (en métal) ou bien avec son bâton de hockey puis après j’ai plein de bleus puis il va dire à mes parents que je le frappe puis après mes parents me frappent. J’ai passé tout un été une fois avec le bras tout cassé avant que mes parents m’envoient voir un médecin parce que ma mère m’a pogné le bras puis elle n’a pas senti l'os dans tout mon bras qui était cassé de partout à cause de mon frère. (C133, F-

13).

La littérature nous apprend que plus les jeunes sont victimes de violence de la part de leurs parents, plus ils le sont aussi de la part de leurs frères et sœurs (Straus, 1983). Pour ces derniers qui sont aux prises avec un lourd stress psychologique, l’usage de la force pourrait être devenue un mode de résolution de conflits (Kiselica & Morrill-Richards, 2007). Les jeunes les plus à risque de subir de la violence fraternelle seraient également ceux dont les parents ne sont pas disponibles pour répondre à leurs besoins et les aider à résoudre équitablement les conflits qu’ils éprouvent avec leurs frères et sœurs (Kiselica & Morrill-Richards, 2007). Par ailleurs, lorsque les jeunes vivent dans un environnement familial conflictuel, la qualité de leur(s) relation(s) fraternelle(s) influencerait le risque que des symptômes sur les plans émotionnel et comportemental se développent. Moins de symptômes se développeraient chez ceux qui ont une relation proximale et chaleureuse avec leur fratrie que chez ceux qui entretiennent une relation hostile avec leur fratrie (Gass, Jenkins, & Dunn, 2007; Jenkins, 1992). Une étude longitudinale réalisée auprès de 132 familles qui ont fait face à des expériences de vie stressantes montre que les jeunes qui ont maintenu une bonne relation avec leur fratrie sont moins susceptibles de développer des problèmes internalisés que les jeunes qui n’en ont pas maintenu (Gass et al., 2007).

La situation la plus souvent rencontrée est celle d’un frère qui devient violent avec sa sœur victime de CPPV. Un consensus existerait quant au fait que les victimes de violence fraternelle sont plus souvent des filles (Pinel-Jacquemin & Scelles, 2012). Cela peut en partie s’expliquer par la théorie féministe qui soutient que l’inégalité des sexes et la hiérarchie du pouvoir patriarcal contribuent au développement de violence familiale (Pinel-Jacquemin & Scelles, 2012).

Le soutien reçu de la part du parent qui n’est pas l’agresseur. Une autre caractéristique qui

différencie les jeunes exprimant peu de détresse de ceux qui en expriment beaucoup concerne la relation que le jeune a avec le parent non agresseur, et par conséquent la perception que le jeune

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entretient du soutien que ce dernier peut lui apporter. Dans leurs propos, les jeunes exprimant peu de détresse, lorsqu’ils font mention de la présence du parent non agresseur, laissent comprendre que ce parent ou beau-parent a une attitude protectrice, soutenante pour eux :

C'était la fin de semaine ou j'étais chez mon père, mais j'étais seule avec ma belle- mère. Nous avons parlé, ri, versé des larmes, mais pour le mieux. Tout s'éclaire. Maintenant, je sais clairement en moi que je préfère ma belle-mère à ma mère. Cette situation est difficile à vivre. Les choses que j'ai vécues avec ma belle-mère, je ne les aurais jamais imaginées. Elle m’a montré ce que jamais je n'aurais cru possible. Ses souvenirs, ses secrets. La plus belle journée de ma vie. (C177, F-14);

Moi avec mon père c'est différent, avec lui, je m'entends à merveille pourtant je ne change pas quand je suis chez lui, je suis la même que quand je suis chez ma mère. Mais lui, il sait me comprendre. J'aimerais bien aller vivre chez lui, mais j'ai peur de comment réagirait ma mère, mais je ne suis plus capable de la supporter. (C246, F-14).

Toutefois, dans les courriels de jeunes exprimant beaucoup de détresse, la plupart des parents non agresseurs ne semblent pas être en mesure de protéger, supporter leur enfant. Parfois, ils sont victimes eux-mêmes de violence du parent agresseur, d’autres fois, ils ont des problèmes de santé qui les empêchent de jouer efficacement leur rôle de parent, figure protectrice, ou même, dans certains cas, ils sont physiquement absents :

Mon père, c’est la personne que j'haïs le plus au monde. Il traite ma mère et moi comme de la vraie merde, tout en nous criant après. Des fois, il me plaque au mur et il regarde de la pornographie à l'insu de ma mère. Il est violent verbalement et il fait peur, car il est vraiment fort. Je ne suis plus capable de cela, mais je ne sais pas quoi faire. Si je le dénonce, je ne suis pas sûr que ma mère va me soutenir, car elle a peur. (C279, G-16); Elle raconte des histoires sur nous, mais même ma sœur avoue qu’elle est vraiment méchante avec moi…je veux vraiment m’en aller, j’ai déjà voulu me suicider…je ne peux même pas habiter chez mon père…il est alcoolique…il m’a déjà presque frappé... (C033, F-15);

La semaine, je vis seulement avec ma mère à cause de mon père qui travaille à l'extérieur, et ma mère se fout royalement de moi. (C015, F-16).

Dans les propos des jeunes exprimant beaucoup de détresse, les parents ne semblent pas disponibles pour leur enfant. Il est possible que ce soit en raison du fait que les parents n’ont pas accès eux-mêmes à un soutien social. En effet, la perception qu’ont les parents de leur soutien social est associée à l’agression psychologique répétée (Clément et al., 2013). Bien des études concluent que le soutien social est un facteur modérateur des effets de l’abus dans l’enfance sur la santé

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physique et psychologique à l’âge adulte, agissant ainsi comme un facteur de protection contre la détresse psychologique (Chu, Saucier, & Hafner, 2010; S. Cohen, 2004; Collishaw et al., 2007).

En somme, le contexte familial dans lequel la violence psychologique survient semble différer en certains points en fonction du niveau de détresse que le jeune exprime. Plus particulièrement, le soutien que le jeune perçoit de sa famille semble influencer son niveau de détresse. En effet, les jeunes exprimant beaucoup de détresse sont les seuls à rapporter subir de la violence de leur fratrie et à ne pas pouvoir compter sur le support et la disponibilité de leur parent ou beau-parent qui n’agit pas à titre d’agresseur en matière de violence psychologique. Ainsi, la présence de violence fraternelle et l’incapacité du beau-parent ou du parent non-agresseur à protéger l’enfant de la violence psychologique qu’il subit peuvent être compris comme des indicateurs de sévérité de la violence psychologique.

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