• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5 Variable dépendante : les centres névralgiques de l’entreprise

5.1 Sources de profits

Les sources de profits représentent les sources de revenus de l’employeur, soit au niveau de sa production, c’est-à-dire la rentabilité de ses installations, soit au niveau de sa capacité de vente, réaliser un retour sur son investissement (Juravich, 2007). Nous avons

13 La Presse : http://affaires.lapresse.ca/economie/200901/06/01-680557-les-employes-dalcan-a-alma-

62

identifié trois indicateurs de la dimension des sources de profits chez RTA : la production d’aluminium et d’hydroélectricité, les ventes, et les coûts de production reliés au produit et aux conditions de travail des employés.

L’aluminium d’Alma est produit au centre de revêtement des cuves. Pendant le conflit, le centre de revêtement des cuves a été ralenti alors que le deux-tiers des opérations a cessé. Des cadres et des briseurs de grève ont maintenu la production du tiers des opérations. La requête syndicale à la Commission des relations du travail pour contester l’utilisation des briseurs de grève a été incluse dans le règlement du conflit, aucun jugement n’est intervenu. Le conflit affecte déjà la production de l’aluminium et donc le centre de profit principal pour l’employeur. Dans le respect de leur mobilisation sans grabuge, le syndicat n'a pas bloqué les rails de train acheminant du matériel à l'intérieur et hors de l'usine. Il n'y a pas eu de bris d'équipement ou de demande de boycott. La baisse de production de l’aluminium relève donc principalement du lock-out et représente un coût potentiel pour l’employeur.

L’employeur produit aussi de l’hydroélectricité. Au niveau des sources de profits, il est difficile d’évaluer les gains de vente de l’hydroélectricité. Rappelons qu'un contrat dévoilé par le journal Le Devoir dans le premier mois du conflit, indiquait que l'entreprise étatique Hydro-Québec devait acheter au prix du marché tout surplus d'électricité produit par RTA dans le cadre d'un conflit de travail14. Selon le discours du syndicat, l’employeur continuait

ainsi à faire du profit simplement en faisant fonctionner à pleine production ses barrages hydroélectriques. Le journaliste rencontré nous confirme que la perception d'enrichissement était plus ou moins juste. « Tu ne peux pas prendre une usine de 1 milliard et la rentabiliser juste en vendant du courant. Oui la compagnie a perdu de l’argent. »(Ent4). Avec l'entente secrète, le syndicat via les médias, et les médias eux- mêmes, ont avancé que l'employeur s'enrichissait sur le dos des travailleurs. En effet, le rachat du surplus produit s'est effectué par Hydro-Québec. RTA continuait donc à faire fonctionner les barrages hydroélectriques à pleine capacité et revendait sa production à la société d'État. « Je peux te jurer qu’ici l’argent tombe du ciel. » avait dit l’employeur en parlant des barrages hydroélectriques (Ent1). Il n’est pas possible d’établir l’impact précis de pouvoir maintenir la production d’électricité pour la revendre au prix du marché, mais ce revenu a permis de limiter les pertes pour l’entreprise et de réduire, potentiellement, l'impact du conflit sur les profits.

Au niveau des ventes, l’usine d’Alma est une installation profitable pour RTA. La technologie est supérieure, l’alliage est reconnu et les barrages privés permettent une autogestion de l’électricité nécessaire à la production. Par contre, comme nous le verrons dans l'hypothèse traitant du contexte économique, à l'époque du conflit, le prix de l'aluminium était en baisse. Jacinthe Côté, une représentante de l’employeur, le confirme dans une présentation faite lors d’une conférence mondiale sur l’aluminium à Abu Dhabi

14 Le Devoir : http://www.ledevoir.com/politique/quebec/343928/le-lockout-peut-liberer-rio-tinto-alcan-

63

en mai 2012 (pendant le conflit de travail à Alma) : « There is lingering uncertainty about the global economy and, from a short-term perspective, there have been better days for the global aluminium industry… Turning to inventory, global levels remain high. » Au niveau des stocks, l’employeur ne pouvait pas les écouler avec une marge de profit intéressante puisque le marché connaissait un ralentissement. Il avait intérêt à moins produire (Ent1/Ent3). Aucune information ne permet d’identifier si l’employeur a perdu des contrats ou n’a pas réussi à répondre à une commande déjà engagée. Avec la diminution de la production, les ventes ont diminué, l’employeur a dû subir une perte avec les stocks emmagasinés. Par contre, cet impact sur le centre de profit semble relever davantage du contexte du marché que du conflit de travail.

Un autre élément des sources de profits est la notion de coût de production. Le syndicat nous souligne le coût d'un potentiel redémarrage. L'usine a continué à fonctionner partiellement, mais un représentant local du syndicat nous a parlé des impacts de prolonger le conflit. Si l'employeur avait à fermer le centre de revêtement des cuves en totalité, le coût de redémarrage serait significatif. Les procédés chimiques présents et la capacité des machines nécessitent un roulement constant (Ent3). L’employeur serait plus à risque si le conflit perdurait, ce qui pourrait renforcer le pouvoir du syndicat en ce qui a trait au centre des profits.

Le syndicat peut avoir un impact sur le coût de production au niveau des conditions de travail. La masse salariale et les clauses monétaires d’une convention collective ont un impact direct sur le budget de l’entreprise. En maintenant une pression contre l’utilisation de sous-traitance par exemple, le syndicat exerce alors une pression sur les centres de l’employeur. Deux ans auparavant, l’employeur avait coupé des postes pour utiliser des sous-traitants. Cette fois-ci, l’employeur souhaitait obtenir pour chaque départ à la retraite, un transfert des tâches vers un sous-traitant. Au niveau des travailleurs de l’entretien et des emplois de services, l’employeur souhaitait la suppression de 189 emplois (Ent3). Pour les travailleurs au niveau des procédés chimiques, on parlait d’environ 300 emplois. L’employeur voulait pouvoir diminuer ses coûts de production à travers la gestion de la masse salariale. Le salaire d’un sous-traitant est moitié moins élevé que le salaire d’un travailleur syndiqué. La sous-traitance - le litige au cœur du conflit - mettait en relief l'importance de cet enjeu. L'employeur voulait mettre en place un modèle de production à moindre coût tandis que le syndicat cherchait à défendre les emplois de qualité et l'intégrité de son unité de négociation.

Outre le débat de la sous-traitance, peu d’éléments monétaires étaient en jeu dans la négociation de 2011-2012. Les salaires sont négociés dans une lettre d’entente reconduite depuis quelques négociations déjà et les augmentations salariales sont automatiquement faites en fonction du marché de l’aluminium. « D’ailleurs depuis 1998, on ne négocie plus les salaires, il y a un processus d’évaluation en fonction de ce qui se donne dans l’industrie. » (Ent3). Le syndicat nous a donc confirmé qu'« habituellement, côté salarial, ils règlent, ce n’est pas là que ça accroche. C’est plus sur la gestion de l’entreprise et les coûts de production. » (Ent3). La stratégie du syndicat pour influencer

64

l’employeur ne se jouait pas au niveau des clauses monétaires de convention collective, mais davantage sur celles qui avaient trait à la portée de la sous-traitance. Il est à noter que l’employeur économisait les salaires pendant le conflit. Un coût de règlement hâtif serait peu attrayant pour l'employeur.

La production, les ventes et les coûts de production sont les indicateurs importants pour la dimension des sources de profits. Le syndicat a un intérêt à mettre de la pression sur les sources de profits si cette stratégie lui permet d’obtenir un règlement plus rapide du conflit ou un règlement à son avantage. La production, les ventes ou les coûts de production ne permettaient au syndicat d’influencer l’employeur au point où il le forçait à revenir à la table de négociation. La production était au ralentie, les ventes aussi, mais avec le marché en baisse et l’hydroélectricité dans sa poche, l’entreprise pouvait vivre quelques mois de conflit sans trop affecter sa marge de profits. La seule ombre au tableau à propos des sources de profits avait trait à un conflit dont la durée trop longue impliquerait des coûts de redémarrage jugés prohibitifs. Les entrevues avec des interlocuteurs divers indiquaient que tous envisageaient un conflit de longue haleine pouvant perdurer aussi longtemps que le prix de l’aluminium ne serait pas en hausse. Outre la question hypothétique d'un redémarrage possible des opérations, l'employeur semblait peu vulnérable sur le plan des sources de profits.