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Chapitre 5 Variable dépendante : les centres névralgiques de l’entreprise

5.2 Plan de croissance

Le plan de croissance représente la planification stratégique de l’employeur ou sa façon de se vendre à de potentiels investisseurs et actionnaires (Juravich, 2007). Qu'il s'agisse des projets de développement ou de réorganisation, l’EMN se compare sur les marchés et prend des décisions d’affaire pour faire avancer ses différentes filiales. Nous avons identifié trois indicateurs de la dimension du plan de croissance : les projets de développement, les plans de réorganisation et la comparaison avec le marché.

La possible construction d’Alma 2, une toute nouvelle usine, faisait partie des plans de développement. Au niveau des procédés chimiques, l’aluminium produit à Alma est de type AP40, l’usine d’Alma était jusqu'à récemment (2015) la seule à produire ce type d’alliage. Nous le retrouvons, entre autres, dans une nouvelle génération de camions de la marque Ford15. Le développement d’Alma 2 devait se faire sur un plateau d’argent,

nous indique le journaliste (Ent4). Le syndicat nous a dit que la négociation de 2005 s’était réglée avec des promesses d’investissements qui ne se sont jamais concrétisés, quoiqu’il faut comprendre que la crise financière s’est interposée, tout comme l’achat d’Alcan par Rio Tinto et les problèmes d’endettement qui se sont intensifiés avec la chute des prix des métaux sur les marchés mondiaux.

RTA veut prendre de l’expansion, mais l’acquisition d’Alcan a été faite à haut prix et il doit

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absorber les coûts. Il faut aussi soulever, comme discuté avec le journaliste, que le créneau de Rio Tinto, au moment de l'achat d'Alcan, n’était pas l’aluminium. Les analystes du monde des affaires ont soulevé que Rio Tinto a payé cher son acquisition d’Alcan et que les résultats financiers n’étaient pas forcément au rendez-vous. Pour Rio Tinto, l’achat d’Alcan ne s’est pas encore révélé être profitable au moment du conflit. Les dirigeants doivent renverser la vapeur et s’assurer que l’usine d’Alma demeure en tête de file pour la production d’alliage spécifique. En entrevue, on nous parle d’Alma 2 comme étant encore sur la table à dessin. L’hydroélectricité est aussi présente dans le plan de croissance car les besoins énergétiques dépasseraient la capacité de production privée de RTA. L’EMN bénéficie d’une entente avec le gouvernement pour l’hydroélectricité qui sera éventuellement l'objet d'une renégociation à laquelle les gestionnaires locaux doivent demeurer sensibles.

Si RTA veut mettre de l’avant ce projet ou toute autre idée d’agrandissement, la gestion des coûts devra se faire avec le partenaire syndical. La vision pour une réorganisation des emplois syndiqués soulève la colère du syndicat. La réorganisation des emplois est une façon pour RTA de récupérer de l’argent pour la réinvestir autrement. La vision de l’employeur concernant la sous-traitance affecte le centre de profit, mais le plan de croissance également. Les coûts de la masse salariale sont ciblés par l’employeur. L'analyse d'un des représentants syndicaux est à l'effet qu'ils font face à un modèle précis que l'employeur souhaite implanter dans toutes ses usines (Ent3). Concernant la sous- traitance, le syndicat nous mentionne que « de négo en négo on essayait d’améliorer la clause de l’entretien, mais on savait déjà qu'une convention est restrictive pour le droit de gérance, on n’a même pas été capable de lever un grief sur les 69 gars aux opérations. C’est ce qui a été fait à Arvida [un autre site de production dans la région] avec des clauses semblables aux nôtres, c’est un modèle d’affaire. » (Ent3) L'employeur veut réduire ses coûts en diminuant le nombre de salariés à haut salaire et avec des conditions de travail plus élevées, c’est-à-dire, les emplois syndiqués. Avec une gestion de la masse salariale plus malléable, l’employeur peut aller réduire ses coûts de production et se dégage alors pour lui une marge de manœuvre pour son plan de croissance.

Sur les marchés, RTA est en bonne position, mais avec le prix de l’aluminium en baisse, le plan de croissance est à découvert. En entrevue, on apprend qu’un autre type d’alliage, AP60, fait partie des projets (Ent4). Nous retrouvons également cette information dans la présentation de l’employeur : « In Quebec, Phase One of our AP60 smelter project is in full construction mode… AP60 will deliver a $60-to-$90 full economic cost advantage per tonne…» (Côté, 2012) RTA est en compétition avec des usines au Moyen-Orient qui produisent de l’aluminium financé à même le marché pétrolier et de gaz naturel. « With its smelters mostly powered by natural gas, the Middle East also enjoys a carbone mission intensity advantage over many other aluminum-producing regions… The challenge will be to continue providing energy at competitive rates. » (Côté, 2012) Cet avantage financier pour ses compétiteurs exerce une pression sur les dirigeants de RTA. Le plan de croissance doit répondre aux mandats des actionnaires. De plus, l’entreprise a besoin de l’hydroélectricité à rabais pour l’aider à financer sa production. De cette façon, il peut

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rester compétitif face à ses concurrents qui ont accès aux richesses du pétrole pour financer leur usine d’aluminium.

Le plan de croissance regroupe les projets de développement, les réorganisations et une comparaison avec le marché. Plusieurs éléments de cette dimension rendent l’employeur vulnérable à la pression du syndicat. Les projets de développement, autant pour Alma 2 que pour l’entente concernant l’hydroélectricité, met à découvert le plan de l’entreprise. Le développement d’une entreprise multinationale est sujet aux commentaires et influences des acteurs de l’environnement. Le syndicat voit ici des possibilités d’intervenir sur les projets de développement d’Alma 2 parce que l’entreprise a besoin de main-d’œuvre qualifiée. Au niveau de la réorganisation interne, l’employeur est davantage en position de faiblesse. Il s’agit d’une opportunité pour le syndicat de renforcer son pouvoir sur l’entreprise. Il peut aussi avoir une influence sur les plans de réorganisation en utilisant la négociation collective pour ralentir l’employeur. Au niveau du marché du travail, l’employeur se sent peut-être plus protégé des actions locales. Il s’agit du défi pour le syndicat de traverser le mur international qui regroupe les activités de l’entreprise. L’usine d’Alma est en bonne position sur le marché, ce qui peut être à l’avantage du syndicat parce qu’il y a peu de menace à la fermeture d'un investissement si important dont la production est en demande. Au niveau du plan de croissance, l’entreprise manifeste une certaine vulnérabilité que nous verrons davantage dans les relations clés, mais l'entreprise peut aussi brandir les possibilités d'expansion future comme menace à l'avenir de nouveaux emplois.