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A –Aux sources des processus de croissance, de convergence et des interactions spatiales

Le travail de recherche que nous avons mené se caractérise notamment par l’utilisation de données spatiales. Celles-ci sont des observations d’une variable X quelconque en des localisations différentes réparties dans l’espace. Ce type de données combine donc une information sur les attributs ainsi qu’une information sur la localisation de ces attributs. Les données spatiales possèdent des caractéristiques particulières et doivent être traitées de manière différente des données a-spatiales. Nous analyserons donc les raisons sous-jacentes à la prise en compte des effets spatiaux, puis nous présenterons les deux effets spatiaux qui caractérisent les données spatiales :

l’hétérogénéité spatiale et l’autocorrélation spatiale et qui nous permettrons de mettre en lumière les caractéristiques de l’espace européen.

1 – Les apports de l’économétrie spatiale

Dans la majorité des études empiriques menées sur la convergence régionale du PIB par tête, les auteurs emploient les mêmes hypothèses que celles utilisées pour la convergence internationale du PIB par tête [Baumol, 1986 ; Barro et Sala-I- Martin, 1991,1995 ; Bernard, 1991]. Ces analyses ignorent la dimension spatiale des données, car les auteurs supposent implicitement que chacune des économies est une entité géographiquement indépendante des autres, ignorant la possibilité d’interactions spatiales entre ces entités.

Comme nous l’avons vu dans le premier chapitre, l’analyse spatiale s’est depuis longtemps intéressée aux phénomènes de concentration, de diffusion et d’interactions entre les différentes entités géographiques et par voie de conséquence aux asymétries de développement qui en découlent. Ainsi, Myrdal [1957] décrit le processus de développement localisé par une relation de « causalité circulaire et cumulative ». Le développement d’une région est enclenché par une condition géographique ou historique particulière, ce que Krugman [1993a] qualifie de cause de première nature. Les salaires réels et les rendements du capital sont plus élevés dans cette région qui va ainsi attirer de nouveaux facteurs de production. La concentration de l’activité économique dans une région va conduire à des rendements d’échelle croissants en raison de l’accumulation importante des connaissances et des savoir-faire issus de la forte concentration géographique. La présence de ces rendements croissants va alimenter l’écart de productivité des facteurs. La boucle est ainsi bouclée et un cercle « vertueux » de développement enclenché. Les différences initiales de technologie peuvent donc conduire à un développement irrémédiablement inégal des régions. Pour Hirshmann [1958], ce sont les « effets d’entraînement amont et aval » qui conduisent à un développement inégal des régions. Les liens, par le jeu des demandes, entre les différents secteurs, conduisent les entreprises à s’agglomérer afin de minimiser les coûts de transport. L’agglomération des activités alimente alors le processus auto-entretenu de développement. D’autres auteurs tels que Kaldor [1970], Perroux [1955] ou Aydalot [1980], pour ne citer qu’eux, se sont intéressés au développement inégal des

régions. L’économie spatiale et régionale s’est donc, très vite, centrée d’une part sur l’explication des disparités régionales – en décrivant les phénomènes de polarisation, les processus auto-entretenus de croissance – et d’autre part, sur les rendements croissants – le cadre de la concurrence pure et parfaite n’étant pas adapté à l’explication de la localisation des activités.

Depuis peu, avec le développement des outils et techniques de la statistique spatiale et de l’économétrie spatiale [Anselin, 1988, 1990a, 1990b, 2001 ; Anselin et Bera, 1998], l’existence et la détection des effets spatiaux ont été affinées dans les travaux empiriques. Ainsi, en ce qui concerne les régions européennes, les travaux dans ce domaine se sont fortement développés en quelques années [Fingleton, 1999, 2001, 2003 ; Le Gallo, 2002, Le Gallo et al., 2003 ; Baumont et al., 2003 ; Dall’Herba 2004]. En outre, les théories relevant de la nouvelle économie géographique et de la synthèse géographie–croissance offrent un fondement théorique pour l’intégration explicite de l’espace dans l’analyse des processus de croissance, de convergence et des interactions spatiales. En effet, selon ces approches, les forces qui conduisent au processus de localisation / agglomération / dispersion et donc, in fine, à la création et à la dynamique d’un développement plus ou moins inégal reposent sur des variables qui ont des composantes géographiques fortes. Ces variables, à la base du processus d’agglomération, que nous avons déjà évoquées, sont : la productivité [Lopez- Bazo et al., 1999], les infrastructures de transports [Martin et Rogers, 1995 ; Charlot, 1997, 1999], le commerce [Krugman et Venables, 1995, 1996], la technologie et les externalités du savoir [Martin et Ottaviano, 1999], la mobilité des facteurs [Krugman, 1991a, 1991b ; Puga, 1999], la population [Thisse, 2002] ou encore la concurrence locale [Fujita, Thisse, 1997]…

Dans le cas de la politique régionale européenne et plus généralement des politiques de développement régional, il semble essentiel de prendre en considération l’espace, puisque les interactions entre les régions européennes fondées sur les variables évoquées plus haut sont indéniables. En outre, une grande partie des fonds structurels servent à la réalisation d’infrastructures publiques, notamment de transport, qui ont, par nature des effets d’externalités sur les régions voisines. Les effets de ces variables, décrits précédemment, sur la croissance des régions alentours sont eux aussi pris en compte dans les effets spatiaux.

2 - La différenciation spatiale des comportements : l’hétérogénéité spatiale

L’hétérogénéité spatiale se traduit par une instabilité dans l’espace des relations économiques. Pour illustrer ce phénomène, l’exemple de la segmentation des marchés immobiliers sur les espaces urbains peut être utilisé. En effet, dans ce cas précis, les caractéristiques et les prix des logements varient sensiblement selon leur localisation, rendant caduque toute estimation d’une relation globale, entre le prix du logement et ses caractéristiques, s’appliquant sur l’ensemble de l’aire urbaine. En outre, ce phénomène est multi-scalaire, c'est-à-dire qu’il existe à plusieurs niveaux spatiaux, les comportements et les interactions économiques ne sont pas les mêmes que l’on se situe dans le centre d’une ville ou dans sa périphérie, dans une région urbaine ou dans une région rurale, dans le centre de l’Europe ou en périphérie. Cette notion peut se manifester sous deux formes : une instabilité structurelle et de l’hétéroscédasticité.

Dans un modèle de régression, l’absence de stabilité des comportements dans l’espace se manifeste par des coefficients qui varient selon leur localisation. Ainsi, il est donc nécessaire d’utiliser des modélisations permettant de prendre en compte les caractéristiques spécifiques de chaque localisation.

L’hétéroscédasticité se manifeste par des variances du terme d’erreur différentes entre observations. Elle peut résulter de variables manquantes ou de toute autre forme de mauvaise spécification. Ainsi, dans notre cadre d’étude qui est celui des régions européennes, les unités spatiales n’étant jamais de taille ou de forme identiques, et leurs caractéristiques économiques variant, la présence d’hétéroscédasticité est très probable. Elle peut prendre la forme de représentations géographiques spécifiques de type Est- Ouest, Nord-Sud ou encore centre-périphérie, nous incitant alors à mobiliser le concept de club de convergence [Le Gallo, 2002 ; Dall’Erba et Le Gallo, 2005].

3 - Non indépendance entre les variables géographiques : l’autocorrélation spatiale

Le second effet spatial dont nous avons à tenir compte est l’autocorrélation spatiale ou dépendance spatiale qui fait référence à la coïncidence entre la similitude des attributs et la proximité de localisation [Anselin, 1988]. La présence de cet effet a été

suspectée par Student, dès 1914, entraînant ainsi l’abandon de l’hypothèse statistique fondamentale d’observations indépendantes. Anselin et Bera [1998] donnent de ce phénomène une définition relativement intuitive : « Spatial autocorrelation can be

loosely defined as the coincidence of value similarity with location similarity. »

Ainsi, nous pouvons conclure, que lorsqu’il existe de l’autocorrélation spatiale positive dans l’espace, alors apparaît une concentration de valeurs faibles ou élevées d’une variable aléatoire. A contrario, l’autocorrélation spatiale négative nous incite à conclure que chaque localisation est entourée par des localisations voisines pour lesquelles la variable aléatoire prend des valeurs différentes. Dans notre cas d’étude, si nous détectons de l’autocorrélation spatiale positive, cela signifie que les régions européennes riches sont entourées de régions dans la même situation économique, et que les localisations dites pauvres tendent à être géographiquement proches d’entités géographiques similaires. Nous pourrons ainsi caractériser la structure de l’espace européen au travers des concentrations, de valeurs faibles ou fortes, existantes en son sein. Enfin, l’absence d’autocorrélation spatiale signifie que la répartition spatiale des valeurs de la variable est totalement aléatoire. Ainsi, déceler de l’autocorrélation spatiale pour une variable nous indique que nous sommes en présence d’une relation fonctionnelle entre ce qui se passe en un point de l’espace et ce qui se passe ailleurs. Nous obtenons donc une information supplémentaire par rapport à celle apportée par les statistiques traditionnelles sur la façon dont se répartissent les valeurs dans l’espace.

L’autocorrélation spatiale a deux sources principales : d’abord, elle peut découler du fait que les données sont affectées par des processus qui relient des lieux différents et qui sont à l’origine d’une répartition particulière des activités dans l’espace [Odland, 1988]. Ainsi, les processus d’interaction sont à l’origine d’autocorrélation spatiale lorsque les événements en un point de l’espace affectent les conditions en d’autres lieux. Ensuite, l’autocorrélation spatiale peut résulter d’une mauvaise spécification du modèle (variable omise spatialement autocorrélée, forme fonctionnelle incorrecte, erreurs de mesure) qui peut apparaître lorsque l'amplitude du phénomène étudié ne coïncide pas avec les unités spatiales d’observation (problème MAUP).

B – Un approfondissement de la modélisation des interactions