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Introduction

L’histoire, ainsi que les processus de globalisation et d’intégration économique ont structuré l’espace européen. Celui-ci est caractérisé par une concentration des fonctions stratégiques de commandement, des services de haute technicité et des hommes sur un espace allant de Londres à Milan en passant par Paris et Munich. Cette « banane bleue » est le lieu privilégié de la croissance polarisée européenne. La géographie économique de l'Europe est donc déséquilibrée. La poursuite du processus d’intégration européenne a exacerbé la concurrence, provoquant une reprise des processus cumulatifs de développement au profit des espaces déjà les plus favorisés et les mieux situés [Hirshmann, 1958 ; Perroux, 1955 ; Krugman, 1991a]. La mondialisation de l’économie pousse à concentrer les investissements sur les localisations les plus avancées, renforçant cette polarisation du développement économique sur certains espaces centraux [Fujita, Krugman, Venables, 1999 ; Fatas, 1997]. On observe un mouvement de dualisation de l’espace tel qu’il a pu être identifié par Aydalot [1980]. Il y a donc un risque de voir se déclencher une dynamique de marginalisation.

Afin d’éviter la poursuite, souvent jugée inéluctable, d’un scénario exclusif de renforcement des grandes régions métropolitaines du coeur de l’Europe, les autorités européennes ont engagé des réflexions autour de la notion d’aménagement du territoire européen. Ainsi, le Schéma de Développement de l’Espace Communautaire (SDEC) dans sa dernière version de 1999 [Commission Européenne, 1999], publiée à la suite de la conférence de Postdam, envisage un nouveau modèle d’organisation spatiale polycentrique pour l’Europe. Il nous offre une vision à long terme du territoire européen qui remet en cause les schémas spatiaux traditionnels fondés sur la double opposition centre-périphérie et urbain-rural. La proposition du polycentrisme suggère la recherche d’un nouvel équilibre spatial en Europe. L’objectif stratégique serait donc de tendre «vers un développement spatial équilibré et durable du territoire de l’Union européenne » grâce à un projet d’aménagement du territoire suffisamment volontariste pour s’opposer aux tendances lourdes de la polarisation et de la métropolisation au profit de la dorsale européenne et de ses principales agglomérations, notamment les deux «global cities » de Paris et Londres. La globalisation de l’économie a en effet pour

conséquence une recomposition territoriale qui privilégie « spontanément » les régions les plus avancées, celles offrant déjà les meilleurs avantages comparatifs, telles que celles du polygone Londres, Paris, Milan, Munich, Hambourg. Ceci interpelle directement les politiques urbaines et d’aménagement régional. Si l’on y ajoute les effets de l’affaiblissement de la pertinence des cadres nationaux en Europe, on comprend aisément que la problématique de l’équilibre territorial occupe une place essentielle dans des documents stratégiques tels que le SDEC ; ne serait-ce que parce que la pérennité d’un modèle centre-périphérie à l’échelle européenne menacerait fortement les perspectives d’intégration de l’espace communautaire.

La proposition stratégique du SDEC de formation d’un espace polycentrique, comme modèle alternatif aux tendances évoquées ci-dessus, se fonde notamment sur l’idée que l’histoire a légué un système de villes suffisamment régulier [Hohenberg et Lees, 1992 ; Moriconi-Ebrard et Pumain, 1996], en dépit d’une inégale densité, pour contrebalancer une excessive concentration métropolitaine et mailler l’ensemble de l’espace européen, tout en favorisant la constitution de grands ensembles transrégionaux. L’Europe pourrait ainsi s’articuler sur plusieurs centres de gravité. En effet, une définition possible du polycentrisme pourrait être la suivante : un système urbain polycentrique est une organisation spatiale de villes caractérisée par une division fonctionnelle du travail, une intégration économique et institutionnelle et une coopération politique. Ainsi, la stratégie d’un développement polycentrisme voulu par le SDEC doit être nécessairement pensée de manière multiscalaire [Carrière, 2002] et à toutes les échelles, de la ville et de la région à l’ensemble continental, il doit être un polycentrisme maillé [Guigou, 2002].

Cette volonté de correction des déséquilibres territoriaux exprimée par la promotion du SDEC et d’un développement plus polycentrique peut apparaître comme un premier pas vers une Europe « s’affirmant en tant que territoire » [Guigou, 2002]. Ce sont les bases de cette vision de l’aménagement du territoire européen d’une part, et l’impact sur la structure de l’espace européen, d’autre part, qu’il nous paraît important d’analyser. En effet, sur quelles bases théoriques se fondent non seulement le SDEC mais aussi le polycentrisme ?

Le SDEC est certes un document politique, mais il contient une vision volontariste de l’aménagement du territoire européen. Cet espace communautaire, nous l’avons souligné précédemment, est caractérisé par une structure centre-périphérie

prégnante. L’étude de cette structure nous semble être une clé d’analyse de la géographie européenne, un point de départ obligé. D’une part, non seulement elle exprime une réalité, mais surtout elle nous permet, en nous situant en opposition, d’appréhender les fondements théoriques du polycentrisme au travers des coûts générés par le modèle monocentrique et de la mise en place d’infrastructures, notamment. En outre, nous tentons de mettre en lumière les modalités opérationnelles de cette ambition. Celles-ci se traduisent d’une part, par une plus grande cohérence entre politiques communautaires ayant des effets spatiaux et d’autre part, par le renforcement de stratégies telles que celle du programme Interreg III. De plus, la définition de nouveaux concepts concernant les aires urbaines et leurs interrelations sont à la base de cette structuration volontariste de l’espace européen. En effet, c’est à travers la croissance de ces structures et l’évolution de l’arbitrage entre ses coûts/avantages que nous trouvons la justification de l’émergence de pôles secondaires dont la mise en réseau pourrait permettre un rééquilibrage de la structure de l’espace européen.

Section 1 – Les fondements théoriques d’une vision

volontariste

Le Schéma de Développement de l’Espace Communautaire est un document politique volontariste dans le sens où il incite à la mise en place d’un scénario spatial contre-tendanciel, caractérisé de polycentrique. En effet, la géographie de l’Europe illustre parfaitement la structure du modèle centre-périphérie. De plus, le polycentrisme n’est pas la suite logique du monocentrisme, au contraire ces deux configurations de l’espace sont concurrentes. Dès lors, c’est en se définissant par opposition à cette structure centre-périphérie que le SDEC et le polycentrisme trouvent leurs fondements théoriques dans l’analyse spatiale.

A – Le modèle centre-périphérie : une réalité européenne