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L’Édit des prix de Dioclétien fut une réponse directe à l’inflation qui sévissait à travers l’Empire au début du IVe siècle. En 301, l’Empereur décrète alors des prix maximum sur plus de 1000 denrées et services. Si cette tentative de fixation des prix a été un échec, sauf en ce qui concerne les soldats, cette source reste fondamentale pour étudier les métiers et le monde du travail de l’Antiquité tardive. De plus, il faut rappeler que tous les métiers n'y étaient pas représentés et que le prix des produits manufacturés est, somme toute, peu représentatif des prix réels de 30192. Les salaires journaliers et à la pièce qui y sont mentionnés nous informent non seulement sur le degré et la valeur de spécialisation des métiers romains, mais aussi sur le pouvoir d’achat des salariés93. Ce document a servi à établir des ratios comparatifs de salaire en blé ou en paniers de provisions94. Toutefois, on doit rappeler que les fragments épigraphiques retrouvés de ce document proviennent en majorité de la partie orientale de l’Empire ; un seul fragment a été retrouvé en Italie, aucun en Espagne ou en Gaule95. L’Édit visait certainement une application panimpériale, en accord avec les volontés unificatrices de Dioclétien ; cependant, la qualité de ce texte à représenter la réalité économique gallo-romaine reste à mesurer.

Les articles qui nous semblent pertinents pour notre recherche sont essentiellement les listes de salaires journaliers (EP. 7) de salaires à la pièce (EP. 20, 21, 22, 23, 24 28) et 92 Federico Morelli, « Tessuti e indumenti nel contesto economico tardoantico: i prezzi », Antiquité

Tardive, 12 (2004), p. 55-78.

93 Miriam J. Groen-Vallinga et Laurens E. Tacoma, « The Value of Labour: Diocletian’s Price Edict », Koenraad Verboven et Christian Laes, éd., Work, Labour, and Professions in the Roman World, Boston, Brill, 2016, p. 105-117.

94 Walter Scheidel, « Real Wages in Early Economies: Evidence for Living Standards from 1800 BCE to 1300 CE », Journal of the Economic and Social History of the Orient, vol. 53, n° 3 (2010), p. 435- 453 ; Seth G. Bernard, « Workers in the Roman Imperial Building Industry », Koenraad Verboven et Christian Laes, éd., Work, Labour, and Professions in the Roman World, Boston, Brill, 2016, p. 78- 84.

95 Edictum Diocletiani et collegarum de pretiis rerum venalium : in integrum fere restitutum e latinis graecisque fragmentis, Gêne, Istituto di storia antica e scienze auxiliarie, 1972, p. 35-36.

de prix d’esclaves (EP. 29). Les données chiffrées de l’Édit doivent cependant être traitées avec précaution étant donné qu’elles nous sont données en deniers dévalués. L’approche la plus fiable dans ce cas est de fonctionner par ratios et par échelles de valeurs96. Une fois établis, ces échelles et ces ratios pourront être comparés à d’autres données similaires comme celles présentes dans les lois germaniques.

Promulgué par Théodose II vers 438 à Constantinople, le Code Théodosien est un recueil de lois, constitutions et édits des empereurs romains qui datent principalement du IVe siècle. Cette compilation parle alors surtout de la réalité du IVe et du début du Ve siècle. Malgré sa composition imposante, le Code Théodosien ne représentait pas l’ensemble des lois romaines, mais bien seulement les lois impériales ; les lois et coutumes provinciales y sont alors absentes. Sa reprise par le Bréviaire d’Alaric (Lex Romana Wisigothorum) au VIe siècle témoigne de son influence en Gaule tout au long du Ve siècle, cependant plusieurs lois sont écartées dans cette version wisigothique. En fait, il faut voir la constitution de la

Lex Romana Wisigothorum comme un désir de supplanter le Code Thédosien, puisque la

promulgation par Alaric l’invalide. C’est étonnamment dans le nord de la Gaule, chez les Francs et les Burgondes, et non dans le Sud, que le Code Théodosien survit le plus longtemps. Sans jamais être invalidé dans ces royaumes, le Code Théodosien influence plusieurs édits, lois et constitutions, en plus de faire partie des lectures obligées des érudits qui l’étudient jusqu’au VIIIe siècle97. Il convient alors de se questionner sur la portée de son application en Gaule du Ve siècle et du VIe siècle surtout concernant les aspects socio- économiques.

En effet, plusieurs gens des métiers y font l’objet de constitutions, une liste d’artisans se trouve même en annexe de CTh XIII, 4, 2, qui les exempte de certaines charges publiques. D’autres métiers se retrouvent plutôt dans CTh X, ces derniers sont essentiellement des occupations qui ont un lien direct avec l’État comme les armuriers (CTh X, 22) ou les metallarii. C. Freu, en analysant le cas des metallarii, rappelle que ces lois ne visaient pas nécessairement les ouvriers ou les tâcherons, mais surtout les 96 Miriam J. Groen-Vallinga et Laurens E. Tacoma, op. cit., 2016, p. 105-117.

gestionnaires de ces exploitations d’État98. La reprise de certains de ces articles dans les lois germaniques peut alors nous aider à identifier les secteurs économiques qui bénéficient encore au VIe siècle d’un intérêt étatique.

Les codes de lois germaniques se retrouvent tous dans les Monumenta Germaniæ

Historica, ce qui a facilité notre recherche. Si leur rôle normatif reste à nuancer, ils constituent un travail de synthèse et de réflexion important produit par des gens de l’époque. Comme ces textes sont des mises à l’écrit de coutumes juridiques déjà établies fortement inspirés des lois provinciales romaines, il faut considérer qu’ils représentent aussi des réalités antérieures à leur promulgation99. Cinq textes de la Gaule des VIe et VIIe siècles sont particulièrement intéressants : la Lex Burgundionum (474-516), la Lex Romana

Burgundionum (474-516), le Pactus Legis Salicarum (507-511), le Pactus Legis Alamannorum (584-629) et la Lex Alamannorum (709-730). D’autres textes de lois

germaniques seront aussi mis à contribution, même s’ils ne proviennent pas de la Gaule : la

Lex Visigothorum (569-586 pour les articles anciens et VIIe siècle pour les ajouts) et L’Edictum Rothari (643)100. Les leges Visigothorum, très complètes, sont centrales aux analyses que fait Laurent Feller de l’économie et du monde du travail du haut Moyen Âge101. De plus, leur proximité temporelle, géographique, politique et culturelle, surtout pour la Lex Visigothorum, avec la Gaule leur donne une certaine crédibilité si leur utilisation est faite avec précaution. Les Capitulaires de Villis (771-800) pourront aussi être utilisés afin de préciser certains termes de métier présents dans d’autres sources. Comme c’est une source carolingienne, il faut néanmoins se garder de trop s’y appuyer.

98 Christel Freu, « Le Statut du Metallarius dans le Code Théodosien », Pierre Jaillette, éd., Société,

économie, administration dans le Code Théodosien. XXIXe Colloque international de Halma, Lille,

Lille sous presse, 2012, p. 396-423.

99 Ian Wood, « The Code in Merovingian Gaul », Jill Harries et Ian Wood, éd., The Theodosian Code :

Studies in the Imperial Law of Late Antiquity, Bristol, Bristol Classical Press, 2010, p. 161-177.

100 Collectif, « Leges », Bibliotheca legum regni Francorum manuscripta, 2018, http://www.leges.uni- koeln.de/en/.

101 Laurent Feller, op. cit., 2014, p. 155-158 voir p. 162 pour la rémunération des maîtres de chantier à partir d’un texte, dont la date est située entre 650 et 720, annexée à l’Édit de Liutprand.

Les lois germaniques sont écrites pour poser les fondements d’une forme de résolution de conflit : la compensation. Cette justice essentiellement privée est fort intéressante pour notre propos puisqu’elle assigne fréquemment des valeurs à des gens, des choses et même à du temps de travail. Oliver remarque une distinction claire entre les travaux des champs et ceux qui s’exercent près de la maison102. Le Goff s’en sert comme un indicateur d’une hiérarchie générale du travail selon les tâches ou les matériaux travaillés103. Hermann Nehlsen a fait ressortir la place de certains métiers dans les sociétés germaniques des Ve et VIe siècles à partir des lois burgondes, franques, wisigothiques et lombardes104.

À notre avis, les lois germaniques ont été sous-utilisées dans la recherche récente pour comprendre le monde du travail du VIe siècle. En fait, ce corpus a surtout servi à l’étude de l’esclavage, ignorant les questions liées aux métiers et à l’économie105. En plus des travaux de Laurent Feller, l’œuvre de Renée Doehaerd, qui se base sur ce corpus de lois pour parler de l’organisation du travail au VIe siècle, fait office d’exception106. Nous comptons traiter ces lois par l’analyse des quelques données chiffrées relatives au travail, qui sont essentiellement des compensations pour meurtre selon les métiers (LB X ; LRB II ;

PLS X & XXXV ; PLA XXII & XLI ; ER 126-139; LA 74). Ces mêmes passages, ainsi que LB XXI ; ER 144-145 & 151 ; LV VII, 6 ; IX, 11 ; PLA XXVIII seront utiles à nos

réflexions sur l’organisation du travail et pour établir notre liste des métiers. En travaillant à l’aide de ratios, nous croyons qu’il est possible d’effectuer un traitement comparatif avec différents corpus des économies antiques.

Cette recherche nous a permis de constituer une liste de 97 termes de métier dont 26 proviennent exclusivement de sources périphériques. Afin d’alléger notre liste, pour les métiers les plus communs, comme ceux de l’élevage, nous avons sélectionné les mentions les plus pertinentes de chacun des vocables. Notre méthode procède donc par la constitution 102 Lisi Oliver, The body legal in barbarian law, Toronto, University of Toronto Press, 2011, p. 207-215. 103 Jacques Le Goff, op. cit., 1999, p. 113-117.

104 Hermann Nehlsen, op. cit., 1981, p. 267-283. 105 Pierre Bonnaissie, op. cit., 1985, p. 316-322.

de listes ; par l'analyse lexicale des mots dans leur contexte ; par des traitements comparatifs ; enfin par la formation de séries de termes et leur croisement systématique avec les études archéologiques. Pour les sources écrites, nous avons pu entreprendre une démarche qui tend vers l’exhaustivité, mais pour le croisement avec les sources archéologiques, nous avons dû utiliser des monographies, des études de cas ou de synthèses d’archéologues pour limiter la charge de travail.